Alliance Maersk/Hapag-Lloyd : un service premium pour quelle clientèle ?

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28.10.2014 Hamburg

Crédit photo ©Hasenpusch
Dans le cadre de sa conférence de presse annuelle le 14 mars pour la présentation de ses résultats financiers 2023, Rolf Habben Jansen, DG de Hapag-Lloyd, était notamment attendu sur sa future coopération avec Maersk. Ce réseau en étoile, articulé autour de ports pivots, d'escales limitées et d'une desserte par navettes, qui promet 90 % de ponctualité.

Hapag-Lloyd a tenu sa conférence de presse annuelle ce 14 mars à l'occasion de la présentation de ses résultats financiers pour l'exercice 2023 et ses perspectives pour l'année qui vient de s'ouvrir.

Mais au-delà des indicateurs, Rolf Habben Jansen, à la tête de l'armateur allemand de porte-conteneurs depuis 2014 et dont le contrat vient d'être renouvelé par le conseil de surveillance jusqu'au 31 mars 2029, était attendu sur un tout autre sujet, à savoir sa future coopération avec Maersk. Elle fera émerger la troisième plus grande alliance dans le conteneur avec une capacité consolidéede 3,4 MEVP, fournie à 60 % par Maersk et à 40 % par Hapag-Lloyd.

Future troisième alliance

Baptisée Gemini, annoncée en janvier dernier avec effet big bang et de ricochet, les numéros deux et cinq mondiaux dans le transport maritime de conteneurs vont partager des navires et une stratégie commune à partir du mois de février 2025 sur la plupart des lignes Est-Ouest.

Hapag-Lloyd sortira donc de THE Alliance dont il était membre aux côtés de ONE, HMM et Yang Ming (qui offriront à l'issue une capacité de 2,3 MEVP).

La rupture entre Maersk et MSC au sein de 2M est consommée, elle,  depuis début 2023 et sera effective à compter de janvier 2025. La capacité réelle mise au service du réseau a été de 2,71 MEVP l'an dernier.

En revanche, signal de stabilité envoyé dans ce marché des alliances maritimes en rupture, CMA CGM, Cosco, OOCL et Evergreen rempileront pour dix ans supplémentaires en 2027. Ce qui ne les met pas à l'abri d'une défection avec préavis d'un an ni d'un changement de propriété chez l'un d'entre eux....

Quoi qu'il en soit, il reste de loin le plus grand groupement en termes de capacité avec 4,62 MEVP au service du réseau. Et bien davantage d'ici 2028 au regard du carnet de commandes des membres (+ 2,5 MEVP).

Fiabilité horaire à 90 %

Mais la spécificité de la nouvelle alliance Gemini n'est précisément pas dans le déballage de navires et de parts de marché acquises à coups d'EVP.

« La coopération sera une pierre angulaire importante pour nos ambitions en matière de qualité », assure Rolf Habben Jansen, garantissant une fiabilité des horaires supérieure à 90 %. Un inédit.

Dans le dernier baromètre de référence sur le sujet, celui de Sea Intelligence, qui passe en revue la ponctualité des navires de plus de 60 transporteurs sur 34 itinéraires, le respect des arrivées a été en moyenne de 51,6 % en janvier et de 62 % sur l’année 2023 (30 % durant les deux années de pandémie). Maersk et Hapag-Lloyd affichent une ponctualité, oscillant entre 50 et 60 %.

Argument ETA

L’argument ETA peut toutefois faire mouche auprès des gros chargeurs, soucieux de prévisibilité, et de contrôle de leur logistique aval et amont. Ils orchestreront d'autant mieux s’ils ont l’assurance que les boîtes sont à l’heure dite là où elles doivent être. C'est du moins ce que soutiennent ceux qui portent l'offre.

Le nouveau partenariat repose sur un concept de hub & spoke, qui n'est pas nouveau mais qui détone dans le modèle des deux armateurs. Il s'articule autour « d'un réseau efficace de lignes principales, complété par des navettes dédiées, qui escaleront dans les hubs portuaires clés pour pouvoir y effectuer des opérations de transbordement côte à côte », détaille le dirigeant.

Ports pivots contrôlés

Le réseau en étoile, tel qu’il est proposé par les deux compagnies de ligne, prévoit donc un nombre limité d'escales (300 touchés) dans des ports pivots quasi exclusivement sous leur contrôle de façon à en maîtriser la planification et à garantir leur productivité, d’où leur engagement d’horloger.

« Ils seront dans 10 cas sur 12, détenus ou contrôlés par Hapag-Lloyd ou Maersk, les deux autres étant des tiers soigneusement sélectionnés, comme Singapour et Carthagène, avec lesquels nous avons établi des partenariats de longue date. Si Maersk peut offrir une plus grande capacité de terminal dans une zone, comme l'Asie du Sud-Est, Hapag-Lloyd le fera dans d'autres, comme à Damiette, Tanger et Wilhelmshaven », soutient le dirigeant.

Moins de services directs

Ce n'est pas sans conséquence pour le fret. Les navires mères n’escaleront plus dans certains ports, lesquels seront desservis par des « shuttle ». Ces navettes, au nombre de 57, seront de plus grande capacité qu’un feeder classique (5 000 à 6 000 EVP), a précisé Rolf Habben Jansen, et en mesure de parcourir de plus longues distances (liaisons régionales)

À la présentation en janvier de la nouvelle offre, les analystes ont eu vite fait de déboulonner plusieurs arguments, relevant notamment qu’Hapag-Lloyd allait se retrouver sous la coupe de Maersk/APM Terminals, dans la mesure où il ne disposerait pas de participation importante dans les terminaux situés le long des principaux itinéraires Est-Ouest. L'intégration verticale du transporteur allemand est récente (au cours de l'exercice 2023, son chiffre d'affaires s'est élevé à un peu plus de 200 M$).

« Son terminal historique, à Hambourg, ne figurera que dans cinq des 26 services de grande ligne prévus et Hambourg a été exclu de l'ensemble des 14 services européens de navettes qui se connecteront aux principaux ports pivots européens du réseau », a indiqué notamment le consultant Linerlytica.

Nicolette van der Jagt, directrice générale du Clecat, qui représente les transitaires au niveau européen, avait elle réagi dans la presse en questionnant la pertinence de l'offre, les chargeurs recherchant avant tout des services directs plus que des lignes secondaires.

Or, dans la nouvelle configuration, entre Europe du Nord et Asie par exemple (cf. plus bas), quatre services par semaine seront exploités dans les deux sens mais un grand nombre de grands ports, tant en Asie (Dalian, Busan, Kwangyang, Xingang, Haiphong, Xiamen, Nansha et Laem Chabang et Laem Chabang) qu'en Europe (Anvers, Le Havre, Gdansk, Göteborg et Aarhus), seront couverts par transbordement via une navette depuis Tanjung Pelepas, Singapour ou Shanghai en Asie ou via Tanger et/ou Algésiras pour Anvers et Le Havre. Tous ces hubs sont actuellement sur la ligne des navires-mères.

À quel prix ?

Naturellement, la tarification pour ce qui semble s’adresser à une « certaine » clientèle, celle en quête d’un service premium, reste du domaine de la négociation commerciale. Il n'en a pas été question au cours de la conférence de presse. Mais la question reste entière : combien le chargeur est-il prêt à payer pour avoir l’assurance que sa marchandise est à l’heure dite sur le quai prête à être enlevée ?

Elle se pose depuis des années : Søren Skou, ex-PDG de Maersk avant Vincent Clerc, l’a posé régulièrement dans le cadre de ses interventions publiques, certes avant la pandémie, un temps où le transport n’était pas justement rémunéré...

À l’épreuve du temps

Les inconnues sont nombreuses, à commencer par la réaction des clients au fait qu’il y aura donc moins de services directs, certes plus de qualité de service, mais pas sans conditions strictes. 

Il reste aussi à savoir comment la promesse du triptyque ponctualité (des navires), efficacité (de la navigation) et productivité (des terminaux) résistera aux aléas en mer, aux grèves, et événements improbables comme une pandémie ou autres « cygnes noirs » et « tempêtes parfaites ».

La distinction avec le service express, que certains grands transporteurs proposent déjà, n’est pas non plus claire. Le ZIM eCommerce Xpress (ZEX) entre la Chine et Los Angeles par exemple, initié en 2020 et relancé en fin d'année dernière, promet un transit-time de 12,5 jours, sans rollover, avec déchargement prioritaire et une mise à disposition du fret le jour où le navire amarre. En cela, le transporteur israélien semble aussi penser qu'il devrait y avoir une option de transport entre les transits typiques océaniques (21 jours) et ceux du fret aérien (un jour).

Le nouveau modèle d’affaires, que beaucoup d’analystes, mêmes critiques, considèrent en rupture parce qu’il ne se réduit pas en capacité de tonnages et en parts de marché bruts, semble en fait s'adresser à la clientèle contrariée du fret aérien, contrainte par les délais mais qui aimerait ne pas en payer le coût.

Un panel que le directeur du Global Shippers Forum avait ainsi décrit :
« des fabricants européens qui dépendent de la livraison de composants et de sous-ensembles en provenance d'Asie, pour lesquels un échec de livraison signifie l'arrêt de la chaîne de production, ou les détaillants, qui ne peuvent pas se permettre d'avoir des étagères vides ou des commandes en ligne non assurées ». Sont-ils nombreux ?

Adeline Descamps

 

Quelques points clés de l'offre Gemini

Dans une de ses dernières notes, Alphaliner a mis en valeur quelques points clés de la structure du réseau.

Entre Europe du Nord et Asie, quatre services par semaine seront exploités dans les deux sens. Tanjung Pelepas (vers l'ouest), Singapour (vers l'est) et Rotterdam seront les seuls ports desservis par les quatre boucles. Les autres ports d'escale asiatiques seront Shanghai (3 boucles), Ningbo (2), Yantian (2) et Qingdao (1). Toutes les autres destinations de la région, telles que
Dalian, Busan, Kwangyang, Xingang, Haiphong, Xiamen, Nansha et Laem Chabang et Laem Chabang, seront couvertes par transbordement via une navette depuis Tanjung Pelepas et Singapour tandis que Shanghai servira de port relais pour les marchandises en provenance ou à destination du Japon.

En dehors de Rotterdam, les autres ports européens concernés par les rotations des quatre nouveaux services sont Felixstowe (3 rotations), Hambourg (2), Bremerhaven (2) et Wilhelmshaven (1).

Première détonation : Anvers, Le Havre, Gdansk, Göteborg et Aarhus, tous sur la ligne directe des navires de grande ligne, ne recevront plus d'escales depuis l'Asie. Une opération non sans un « certain risque commercial », les chargeurs préférant le direct au transbordement.

Parmi les autres concepts de la nouvelle coopération figure celui d'appels limités à des navettes régionales. Anvers et Le Havre seront desservis ainsi via Tanger et/ou Algésiras.

Entre l'Asie et la Méditerranée, Gemini offrira trois boucles vers l'Ouest (services AE11/SE2), vers l'Est (AE15/SE3) et l'Adriatique.
(AE12/SE1). Alors que dans l'actuel AE12/Phoenix, tel qu'il est opéré par Maersk dans 2M, couvre Ningbo, Shanghai, Tanjung Pelepas, Port Saïd, Rijeka, Koper, Trieste, Xingang, Dalian et Busan, ces quatre derniers ports seront, à partir de février 2025, couverts par des navettes.

Sur le marché transpacifique, deux rotations concernent le pacifique Nord, dont une se concentrera sur les ports canadiens de Vancouver et Prince Rupert, et l'autre fera escale à Tacoma et Vancouver. Dans le Pacifique Sud, deux cibleront les ports californiens de Los Angeles et d'Oakland. Cinq services hebdomadaires sont prévus entre Asie et la côte est-américaine, avec Tanger en port pivot.

A.D.

 

 

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