Depuis le troisième trimestre 2020, le groupe de transport français se démarque de ses concurrents, y compris dans une conjoncture adverse comme celle que connaît le conteneur depuis maintenant un an. À l’issue du premier exercice trimestriel de l’année, CMA CGM creuse encore l’écart avec ses concurrents européens, Maersk et Hapag-Lloyd (MSC de publie pas ses comptes), surtout avec l’armateur danois dont il est le challenger en tant que numéro trois mondial du secteur et avec lequel il est appelé à échanger sa place d’ici 2025.
La chute depuis les sommets est la même pour les premières lignes du marché mondial mais elle est plus contenue pour la compagnie de Marseille sur la plupart de ses indicateurs : son chiffre d’affaires a baissé dans un rapport qui s’exprime en millions de dollars (- 890 M$ par rapport au premier trimestre 2023) quand l’entreprise de Copenhague y laisse des milliards (- 1,9 Md$) bien que les revenus commerciaux soient dans des niveaux comparables (12,3 Md$ pour le Danois, 11,83 Md$ pour le Français).
Comparaison favorable à CMA CGM
L’Ebitda de la nouvelle égérie tricolore a perdu 1,04 Md$ sur un an(- 30 %) pour encaisser un bénéfice d’exploitation avant amortissement sur immobilisations de 2,39 Md$ alors que le fleuron scandinave accuse une perte de 2,3 Md$ pour atteindre 1,59 Md$.
Enfin, la comparaison est surtout remarquable en termes de résultat net, certes en perte de 1,23 M$, mais de trois fois supérieur à celui du numéro deux mondial : 785 M$ pour CMA CGM versus 208 M$ pour Maersk (soit – 1,23 Md$).
Discipline opérationnelle
La confrontation du résultat d'exploitation n’est en revanche pas possible, l'Ebit étant un champ que ne renseigne par la direction de CMA CGM. En revanche, la marge Ebitda, autour de 20 %, est proche de celle de l’Allemand Hapag-Lloyd, numéro cinq de la ligne conteneurisée, mais très loin des quelque 13 % de Maersk. Mais là encore, la baisse est limitée à 6,8 points quand elle dévisse de 10 points chez Hapag-Lloyd et de 15 points chez Maersk.
L'ensemble témoigne d’une meilleure maitrise des coûts d’exploitation par CMA CGM et d’une certaine « discipline opérationnelle », en dépit d'une augmentation des coûts de carburant du fait de l’allongement contraint des distances. Les soutes à faible teneur en soufre (0,5 %) étaient cotées à Rotterdam à 588 $/t le 31 mars, alors que la tonne était à 523 $/en décembre 2023.
Boom du SCFI
« Comme attendu, le début de l'année 2024 s’est révélé plus dynamique pour le commerce mondial de biens et la demande de transport de marchandises en dépit des tensions géopolitiques qui ont fortement pesé sur la fluidité des échanges économiques mondiaux. La division maritime réalise une performance solide, portée par le phénomène de restockage en Chine et aux États-Unis », commente Rodolphe Saadé, le PDG du groupe, cité dans un communiqué diffusé à l’issue du conseil d’administration du groupe réuni pour examiner les comptes du premier trimestre 2024.
Le dirigeant fait référence aux perturbations fatales en mer Rouge qui ont poussé la quasi-totalité de la flotte de porte-conteneurs à éviter la zone classée en risques de guerre et à dérouter en contournant l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, cet itinéraire alternatif historique emprunté d’ordinaire quand l’offre est en surcapacité, la demande est faible et le fuel très peu cher.
L'allongement des distances a nécessité plus de navires afin de maintenir les réseaux, facteur sur lequel les armateurs peuvent compter pour soutenir les taux à long terme. Immanquablement, les tensions (anticipées) sur l'offre (pourtant abondante) se sont matérialisées par le rebond des taux de fret.
Le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui suit les tendances des taux de fret au comptant sur les routes les plus importantes au départ de Shanghai, était significativement plus élevé à l'issue des premiers mois de l'année, ancré à 1 994 $/EVP contre 863 $ en mars 2023.
Volume en croissance de 11,7 %
Au premier trimestre, le groupe est parvenu à transporter plus de conteneurs, soit 5,6 MEVP (+ 11,7 % par rapport au premier trimestre 2023), aidé « par le rebond de la consommation plus important que prévu et la reconstitution des stocks après une année de creux en 2023 », fait valoir le groupe.
Si la communication de la Tour insiste sur son trépied : transport maritime, logistique intermodale et opérations portuaires, la mer demeure la principale source de revenus. La quote-part aux résultats du groupe a même été au cours de ce premier trimestre plus importante que l’an dernier (de 69 % contre 66,5 %). L’intégration au 29 février de Bolloré Logistics, qui le propulse en capacité au cinquième rang mondial de la commission de transport, selon ses calculs, n’a pas encore produit ses effets.
En recul de 11,4 % par rapport à la même période de 2023, le chiffre d’affaires de l’activité maritime a contribué à hauteur de 7,9 Md$ à l’ensemble.
L’Ebitda décroche massivement (- 35,8 % par rapport au premier trimestre 2023), s’élevant à 1,9 Md$. Indicateur phare, le revenu moyen par EVP (1 400 $) est en repli de 20,7 % en glissement annuel (1 766 $ au premier trimestre 2023).
Logistique en croissance
L’activité logistique évolue faiblement mais favorablement (bénéfice d’exploitation en hausse de 6,9 %, à 361 M$).
Quant à sa catégorie « autres »que l’armateur documente désormais – terminaux portuaires, fret aérien de sa propre compagnie et ses activités médias –, a apporté 600 M$ de recettes (+ 45,4 %) pour un Ebitda de 79 M$ (+ 43,6 %). L’activité a été tirée par des effets de périmètre avec l’intégration des terminaux new-yorkais (Port Liberty) et par le redressement des volumes sur les terminaux, signale le communiqué.
Propriétaire de médias
« Le groupe continue également son développement dans les médias, et a signé en mars une promesse d’achat avec le groupe Altice France en vue de l’acquisition de 100 % du capital de Altice Media », peut-on lire parmi les faits marquants cités dans l’entreprise.
CMA CGM a signé en mars une promesse d'achat avec le groupe Altice France, détenu par Patrick Drahi, en vue de l’acquisition de 100 % de Altice Media, notamment propriétaire des marques emblématiques BFM et RMC.
Si l'opération obtient le feu vert réglementaire, en particulier celui de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), les nouveaux supports viendraient étoffer CMA Médias, la holding de tête du pôle média du groupe, créée pour anticiper la finalisation de l'acquisition d'Altice Média et à terme englober La Provence et de Corse Matin (acquis en septembre 2022) et La Tribune (acquis en mai 2023) et La Tribune Dimanche, actuellement sous WhyNot Media, dirigé par Jean-Christophe Tortora et dont Véronique Albertini-Saadé, épouse de Rodolphe Saadé, est la présidente (non exécutive).
Le groupe détient en outre une participation minoritaire (10 %) dans le groupe M6 de l'Allemand Bertelsmann et dans le média en ligne Brut (15 %) depuis avril 2023.
L’industriel est en train d’investir grandement le petit cercle des milliardaires propriétaires de médias à forte influence, aux côtés des Arnault, Bolloré, Bouygues ou Niel. Et il continue de s’entourer de notoriétés à l’instar de Nicolas de Tavernost qui, après 37 ans à faire ce qu’est M6, rejoint CMA Médias en tant que vice-président.
Boom des importations et des exportations
« Les incertitudes du contexte macro-économique et géopolitique pourraient continuer à faire fluctuer le marché du transport et de la logistique et à contraindre sa fluidité et sa saisonnalité. Par ailleurs, l’entrée en service de nouvelles capacités devrait se poursuivre au-delà de la demande attendue, pesant à terme sur l’équilibre entre l’offre et la demande et donc sur les taux de fret », nuance la direction dans ses perspectives.
Comme en 2023, de nombreuses livraisons sont prévues cette année. Près d’1 MEVP ont déjà été livrés au cours des trois premiers mois et 2 MEVP doivent l’être d’ici la fin de l’année. Dans le même temps, des commandes ont été passées pour la construction de 26 autres unités totalisant encore 0,2 MEVP.
Reflétant le rebond des importations et exportations des deux premières puissances économiques mondiales, États-Unis et Chine, les volumes mondiaux de transport de conteneurs se redressés de 12 % entre janvier et février 2024 (en glissement annuel) selon CTS, s'expliquant toutefois par la faiblesse de la base de l'année précédente. Le volume de transport entre l’Asie et l'Amérique du Nord a néanmoins augmenté de 25,4 % et celui entre l’Asie et l'Europe de 11,5 %.
Quelques farouches rayons de soleil semblent donc tambouriner derrières les nuages dont témoignent les données macroéconomiques mais aussi le marché de l'affrètement dont les prix atteignent à nouveau des plafonds. Mais, menhir de taille, aucune muraille de Chine ne protège plus le monde contre la superposition des chocs géopolitiques.
Adeline Descamps
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