Mai 2023 : le transport maritime en alerte sur plusieurs fronts

Crédit photo ©DW/H. Franzen
Cela fait plusieurs mois de mai que le monde fait bien ce qui lui plait. Dans le cru 2023, le transport maritime a été plus que jamais sous le feu croisé de la géopolitique et à la merci de la conjoncture.  

Cela fait plusieurs mois de mai que le monde fait bien ce qui lui plait. Dans le cru 2023, la géopolitique a été perfusée en intraveineuse. La mer Noire, le Golfe persique et la mer méridionale de Chine ont livré quelques scènes d’un théâtre cardiaque qui ont monopolisé autant l’attention que l’exaspération.

« Guerre Russie-Ukraine, épisode 185 264, saison 21 ». Le mois de mai s’est ouvert comme il s’est refermé. Il a plu des drones Shahed de fabrication iranienne sur les installations portuaires d’Odessa, l’un des trois ports désignés, avec Chornomorsk et Pivdennyi (Yuzhnyi), par un accord de l’ONU pour servir de points de chargement de céréales essentielles à l’alimentation des plus démunis. Sans cela, les grains pourriraient dans des silos portuaires en raison du blocus maritime en mer noire imposé par la Russie.

Cet accord est capital – la région est le grenier à blé du monde avec 10 % du marché du blé, 15 % du maïs et 13 % de l'orge –, mais il est sans cesse sur la brèche, au bord de la rupture. À chaque échéance de son terme ressurgissent les sources de conflits, offrant aux autorités russes une fenêtre médiatique pour brandir la menace de se retirer. Il en fut ainsi en amont du renouvellement du 19 mai pour une nouvelle période de 120 jours, jusqu’au 17 juillet.

Cet énième climax dans un film sans fin est survenu dans un contexte de surchauffe sur un autre plan, Bruxelles tentant de canaliser certains des États membres de l’UE – Pologne, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie et la Roumanie –, qui ont décidé d'interdire les entrées de céréales ukrainiennes, moins chères, pour protéger leur marché intérieur. Un Brexit en matière de politique commerciale. Les agriculteurs polonais sont fauchés par les blés de leurs homologues ukrainiens qui, eux, meurent dans leurs champs à cause des mines russes. Enfer et damnation.

Téhéran, Pékin, Moscou, une stratégie maritime agressive

D’une efficacité toute balistique, Washington, que ce soit sous l’administration Trump ou Biden, ne se trompent pas d’ennemis. La Russie alimente le narratif des États-Unis sur la liberté entravée mais Téhéran, qui ne lâche pas l’affaire de la prolifération nucléaire, et Pékin, qui poursuit une méthodique stratégie maritime d’expansion territoriale, occupent en mode sous-marin l’aile Ouest de la Maison Blanche.

S’il est difficile de mettre sur le même plan ce qui se passe en mer de Chine méridionale et en mer Noire, l’homme fort du Kremlin et le dirigeant le plus puissant de la Chine depuis Mao Tsé-toung, qui ont noué « un dialogue constructif », ont au moins en commun une grandeur impériale passée. Au nom de cet idéal fantasmé, le plus capitaliste des communistes s’est lancé dans une politique de conquête et d’annexion passant par le contrôle des océans.

La mer de Chine méridionale se retrouve au cœur des enjeux tandis que les tensions redoublent, pour d'autres raisons, dans le Golfe d’Oman et le détroit d’Ormuz, où transitent un tiers du pétrole. Le mois dernier, des pétroliers grecs ont été pris en otage des provocations entre Téhéran et Washington.

Pétrole de Perse ou brut de l’Oural

Pétrole de Perse ou brut de l’Oural, même ligne de fuite : la préservation des rentes pétrolières pour ces deux pays membres de l’Opep, exportateurs majeurs avant les sanctions internationales et détenteurs des plus grandes réserves.

Les deux États sous embargo alimentent une flotte fantôme de vieux pétroliers qui auraient dû partir à la casse mais dont l’âge légal de départ à la retraite a été repoussé pour servir de véhicule à la contrebande de pétrole. Le phénomène est dans le viseur de Bruxelles qui entend sévir dans le cadre de son 11e paquet de sanctions que l’UE peine à finaliser alors que les États-Unis et le Royaume-Uni ont renforcé leur arsenal contre la Russie.

Actions contre les navires aux pratiques occultes dans la contrebande de pétrole. Surveillance militaire accrue dans le détroit d'Ormuz et le golfe d'Oman. Mise en garde de la Chine dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Le transport maritime fut le mois dernier plus que jamais sous le feu croisé de la géopolitique. De militarisation de la haute mer, il n’a été question que cela lors des échanges du G7 en stratégie cravate.

Autre front, autre guerre

Sur un autre front de bataille, invisibilisée par le dark net, les cyberattaques poursuivent leur œuvre de déstabilisation. France Cyber Maritime a publié en mai un nouvel état des lieux sur la menace cyber dans le secteur portuaire et maritime. Infiltration des manifestes de cargaison, usurpation des identités, leurrage et brouillage des systèmes de navigation par satellite, phishing et ransomwares… les secteurs portuaire, maritime et logistique restent des zones de raid captives pour les OPA informatiques et les câbles sous-marins des hochets pour les cybercriminels.

Mouvements pendulaires

D’autres points de rupture se sont matérialisés en mai avec des mouvements pendulaires d’une symétrie parfaite. Le second semestre 2020 avait tracé d’un trait une ligne de démarcation entre l’opulence et la décadence pour les armateurs de pétroliers dont les tarifs s’étaient envolés sous l’effet d’un spectaculaire contango.

Mais l'euphorie sur le front du pétrole n'aura été de courte durée. Dès le second semestre de cette année épidermiquement endiablée, les exploitants de VLCC, suzemax et autres aframax entraient dans un long tunnel, à l’étouffée dans des conditions d’exploitation aux limites de la rentabilité. Jusqu’à la guerre en Ukraine qui a redistribué leurs cartes en leur faveur.

Des bénéfices divisés par plus de trois

À l’inverse, la mi-2020 a départagé, pour les armateurs de porte-conteneurs, un temps de sidération d’une longue séquence de prospérité avec des taux de fret sans limites.

Tandis que le renversement de marché s’est manifesté dès le troisième trimestre de l’année 2022, la vertigineuse dégringolade dans après la très prospère anomalie de 2021-2022 s’est concrétisée dans les premiers résultats financiers de l'année, publiés le mois dernier.

Nul n’échappe à la sanction du marché sous l’effet d’un SCFI (l’indice de référence reflétant les prix moyens pour transporter un conteneur au départ de Shanghai) glissant dangereusement sous la barre des 1 000 $.

Maersk, Hapag-Lloyd, CMA CGM, HMM, ZIM… tous ont vu leurs bénéfices divisés entre 50 et 70 % et leurs marges d’exploitation se dégrader sérieusement, particulièrement notables chez les transporteurs taïwanais (Evergreen, Yang Ming et Wan Hai), qui avaient brillé pendant deux ans pour leur profitabilité.

ZIM est le premier à passer dans le rouge. Pour le transporteur, qui a offert aux usagers de la bourse la plus forte valorisation durant l’épidémie, les mêmes raisons qui lui ont ouvert les portes de la fortune courent aujourd'hui à sa perte : son exposition « de façon disproportionnée » au marché au comptant et la concentration de ses capacités sur le transpacifique.

Destockage et guerre des prix

D.E.S.T.O.C.K.A.G.E est désormais le mot magique que tous agitent comme pour activer le process. De son terme dépendra la reprise de la demande de transport. Si aucun transporteur ne s’aventure à lui fixer un horizon, ils sont tous d’accord pour dire qu’il y aura bien un « moment où il faudra réachalander ». Rendez-vous est pris en fin de l’année.

D'ici là, la discipline des compagnies de ligne – gérer les capacités au cordeau, ne pas céder à la guerre des prix –, sera un autre élément déterminant. De leur comportement « raisonnable » sera fonction la reprise des taux de fret, leur promet-on.

Le second semestre marquera aussi un passage du gué pour ceux qui placent majoritairement leurs capacités sous des contrats long terme. À cette échéance, tous les contrats fixés l’an dernier à prix très élevés auront été résiliés. Ils ont été négociés, à n’en pas douter, à des taux nettement inférieurs à l'occasion de leur renouvellement s'ils n’ont pas glissé vers le spot, actuellement plus économique pour les chargeurs.

La commission de transport sur tous les plans

Le marché n’est pas en grande forme mais l’affrètement s’inscrit à contre-courant, les armateurs ayant encore recours à la location de navires, soutenant ce faisant les prix des locations.

Le soleil a cessé de darder mais les caisses pleines, les armateurs de porte-conteneurs continuent aussi de faire le plein d’affaires qui les affranchiront des cycles et assureront des recettes moins erratiques dans les temps d’austérité, assurent-ils. CMA CGM a ainsi finalisé l’acquisition de Bolloré Logistics, sans doute la plus importante transaction depuis sa création.

Le cumul des activités logistiques du groupe atteignent désormais un chiffre d’affaires global de près de 24 Md$, déclare le groupe français, tandis que son nouvel ensemble Ceva/Bolloré devrait se hisser à la cinquième place mondiale après DHL, Kuehne + Nagel, DSV et DB Schenker.

Le secteur de la commission de transport doit s’attendre à un choc des titans alors que la consolidation n’est pas encore aboutie. Mais les observateurs/entomologistes du marché devraient surtout observer la façon dont les deux grands acteurs mondiaux, CMA CGM et MSC, vont gérer respectivement leur bout de Bolloré.

Tout va bien pour Ceva qui, autorisé à racheter 50 % de Bergé, se retrouve ainsi seul maître à bord du leader de la logistique des véhicules en Espagne, avec des actifs de premier plan et une présence dans quatre ports clés.

Super-cycle pour le transport de véhicules

Le transport de véhicules, lui, vit actuellement son « super-cycle » dont témoignent les résultats financiers des grands acteurs du marché tels Wallenius et Hoegh.

Avec ou sans lien avec l’histoire en train de s’écrire, les armateurs de porte-conteneurs, encore eux, se positionnent sur ce marché : Cosco, CMA CGM et HMM ont tous les trois affrété des transporteurs de véhicules.

L'armateur français a ainsi pris en affrètement quatre transporteurs de voitures auprès de Singapour Eastern Pacific shipping (EPS). Le propriétaire de navires détient déjà six car-carriers en service, de 4 900 et 6 300 EVP, tandis que douze d’une capacité de 7 000 CEU (au GNL) sont en commande pour livraison entre 2023 et 2025.

Une batterie de batteries

La batterie des véhicules électriques est, elle, devenue un enjeu de réindustrialisation. Et les ports français continuent de jouer les portes d’entrée pour les investissements étrangers. Ainsi, le mois dernier, deux « grandes annonces » se sont succédé, celles de l’investissement porté par le Taïwanais Prologium d'une usine de batteries électriques et du duo franco-chinois/Orano, de cathodes, tous deux sur les terrains du port de Dunkerque.

Les choix de motorisation se précisent

Le mois de mai a aussi été celui des avancées en matière de transition énergétique. Les choix de motorisation se précisent chez CMA CGM, Maersk et MSC. Quand les deux premiers ont arbitré en faveur du méthanol, MSC multiplie les expérimentations avec l’ammoniac.

La société de classification DNV, qui tient à jour un baromètre des commandes de navires avec des carburants alternatifs, a ajouté à son relevé de mai sept navires supplémentaires alimentés au GNL et douze au méthanol, portant à 73 le nombre total de commandes passés avec des carburants alternatifs depuis le début de l'année.

Un début d'histoire dans le conteneur assisté à la voile

Pendant ce temps, ceux qu’on appelle désormais les « néo-armateurs » par opposition aux armateurs conventionnels, ont une histoire à écrire autour de la propulsion vélique. Le fond de cale assuré par une association de chargeurs français, Zéphyr et Borée, une des compagnies pionnières dans le vent, a passé commande de ses cinq premiers premiers porte-conteneurs de 1 300 EVP assistés à la voile au constructeur coréen Hyundai Mipo Dockyard.

Le transport maritime français, qui fait partie à l’OMI des nations soutenant une ligne ferme quant aux objectifs de décarbonation, a présenté sa feuille de route. Les propositions du secteur maritime et portuaire français tiennent en une cinquantaine de pages, les scénarios étudiés sont au nombre d’une dizaine, le plan d’actions est décliné en sept axes et 34 mesures.

En attendant que la transition énergétique entre dans le dur, le ralentissement de la vitesse est passé dans les mœurs. Une solution de court terme mais immédiatement efficace sur la consommation.

Pas un jour sans un rebondissement chez Euronav

Pas un jour sans des nouvelles d’Euronav. Le mois de mai a livré de nouveaux rebondissements dans la meilleure série actuelle dans le shipping. Depuis l'échec de la fusion entre l'armateur de pétroliers Euronav et son concurrent Frontline, les jours de son dirigeant, Hugo De Stoop, étaient comptés. Entré chez Euronav il y a 20 ans, le PDG a fait les frais de la lutte d'influence entre les deux principaux actionnaires de l'armateur belge.

S'il fallait ne retenir qu'une information...

In fine, le mois de mai aura délivré une autre information et non des moindres : MSC, leader mondial dans le transport maritime de conteneurs, approche les 5 MEVP de capacités après avoir mené un raid pendant près de deux ans sur les cales sèches et le marché de l’occasion.

Il se pourrait bien que, dans un terme proche, CMA GGM accède à la deuxième marche du podium mondial peu de temps, donc, après avoir gagné la troisième place aux dépens du chinois Cosco.

Adeline Descamps

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