ICS : La décarbonation du transport maritime représente « un iceberg financier » 

 

Dans un rapport intitulé « Catalysing the fourth propulsion revolution », l’International chamber of shipping (ICS) prévient que, sans un investissement massif en R&D, il ne sera pas possible d’atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre fixés par l'Organisation maritime internationale. Plus original, son analyse étudie, pour trois carburants de substitution, la production qui serait nécessaire pour satisfaire le seul secteur du transport maritime. En publiant ce rapport, l’ICS est aussi dans le calcul politique. 

« Catalyser la quatrième révolution de la propulsion », ainsi faudrait-il littéralement traduire. L’étude, que vient de produire l'association internationale des armateurs et exploitants de flotte (80 % de la marine marchande mondiale), jette un nouveau pavé dans la mare quant à la capacité du secteur à réaliser en l’état une transition énergétique complète, à savoir abattre tout ou partie ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Il traduit aussi la fébrilité de la filière qui doit opérer aujourd’hui des choix stratégiques dans la flotte (et des investissements conséquents) pour être dans les clous des réglementations à venir sur le CO2.

Or, aucune des options envisagées pour décarboner le transport maritime — et que le rapport passe en revue : ammoniac et hydrogène pour le transport maritime international et les batteries pour le short sea –, n’est disponible à ce jour à la taille et à l'échelle nécessaires. Pour autant, la transition énergétique du secteur ne pourra se faire qu’au prix d’une rupture technologique fondamentale et au moyen d'une nouvelle génération de technologies et de carburants, pose l’ICS.

L’organisation professionnelle s’emploie à le chiffrer et estime que la réalisation des objectifs fixés par l'OMI (diviser par deux par rapport au niveau de 2008, les émissions totales de GES du secteur d’ici 2050) pourrait coûter environ un trillion de dollars (755 Md€) au cours des 30 prochaines années (en comparaison, l'AIE a estimé les investissements mondiaux dans le secteur de l'énergie à 1,85 trillion de dollars pour la seule année 2018).

L’organisation prévient donc que, sans un investissement en R&D à grande échelle et un soutien des pouvoirs publics, il ne sera tout simplement pas possible d’honorer les ambitions. « Bien qu'il existe plusieurs carburants et technologies sans carbone prometteurs, les réductions d'émissions préconisées par la communauté internationale nécessitent un énorme effort de R&D avant de devenir viables. Cela représente un iceberg financier pour l'industrie, car la pression pour réguler les émissions évolue actuellement plus vite que la capacité du secteur à suivre le rythme ».

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Manœuvre politique

L’argument massue du financement tombe à propos et agit comme une menace pour contrecarrer certaines initiatives considérées comme malvenues. L’ICS fait partie des huit associations internationales d'armateurs qui avaient appelé en décembre 2019 à la création d’un fonds pour financer les ruptures nécessaires. Abondé par les compagnies maritimes à raison d'une contribution obligatoire à la R&D de 2 $ par tonne de carburant, il serait ainsi possible de collecter 5 Md$ sur une période de 10 ans. Sa gestion serait confiée à un Conseil international de recherche et de développement maritimes (IMRB), une ONG de R&D supervisée par les États membres de l'OMI.

Sans que cela soit verbalisé, il s’agissait alors de faire contrepoids à l’idée de plus en plus insistante d’une taxation carbone, un vieux serpent de mer. Mais depuis, l’UE s’en est emparée. Dans la logique du Green Deal lancé par le nouvel exécutif européen, Bruxelles se dirige vers l’inclusion du transport maritime dans son système d'échange de quotas d'émission SCEQE (qui pourrait aussi concerner les navires non communautaires) d'ici au 1er janvier 2022. Le parlement a voté en ce sens. Il s’agit désormais du cheminement réglementaire classique avec des négociations tripartites entre le parlement, la commission et le conseil européens. Avec toutefois une date butoir : disposer d’objectifs climatiques ficelés pour le prochain sommet sur le climat, qui se tiendra à Glasgow en 2021.

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De nombreuses organisations représentatives du secteur se sont étonnées de cet empressement de l’UE à légiférer dans une zone de compétence (internationale) qui relève de l’OMI, organisation de réglementation du transport international. Elles n’ont pas du tout bien accueilli cette initiative que les « partenaires commerciaux de l’UE pourraient considérer comme une taxe extraterritoriale sur le commerce ». Dans les couloirs européens, on n’a surtout pas apprécié la rapidité avec laquelle l'OMI a accepté les propositions de réduction des émissions de CO2, jugées insuffisamment ambitieuses.

À ce stade, les compagnies maritimes ignorent donc à quel prix elles devront « payer » pour leur pollution. Sur la base de 2018, il en coûterait 25 € pour émettre une tonne de carbone. Le SCEQE permettra donc de collecter 2,45 Md€ par an. L’initiative européenne rapporterait donc deux fois moins que la proposition faite par les armateurs.

Le transport maritime a consommé 221 Mt de dérivés du pétrole en 2019, principalement du fioul lourd et du diesel »

Besoin de l’équivalent de 4 millions de barils de brut par jour

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), en 2019, le transport maritime (80 % des échanges maritimes mondiaux, valeur des cargaisons transportées estimée à 7 000 Md$) a consommé 221 Mt de dérivés du pétrole, principalement du fioul lourd et du diesel, soit l'équivalent de près de 4 millions de barils de pétrole brut par jour, ce qui équivaut à plus d'un tiers de la production quotidienne de l'Arabie saoudite par exemple. En 2019, les émissions de carbone du secteur ont totalisé 710 Mt, près de 10 % des émissions totales du transport et entre 2 et 3 % des émissions totales de l'économie mondiale (0,9 gigatonne d’émissions carbone), autant que l'aviation mais moins que les 2,4 gigatonnes du transport routier au niveau mondial.

Partant de là, le rapport examine plus en détail trois énergies de substitution et s’intéresse à la production qui serait nécessaire pour faire le plein.

Le prix de l’ammoniac, dans une fourchette comprise entre 21,50-45,70 $ par gigajoule en 2025 »

Une production d’ammoniac qui devrait tripler

En raison d’une moindre densité énergétique (quantité d'énergie stockée dans un carburant par unité de volume, atout principal du pétrole car il est ainsi facile à transporter), « les navires à l’ammoniac consommeront jusqu'à cinq fois plus de carburant en volume », indique le rapport. Si la flotte mondiale adoptait les carburants verts à base d'ammoniac, il faudrait produire 440 Mt, soit plus que le triple de la production actuelle, ce qui nécessiterait 750 gigawatts (GW) d'énergie renouvelable. « Le transport maritime consommerait donc à lui seul 60 % de la production mondiale actuelle d'énergie renouvelable, qui est de 2 537 GW. »

L’ICS s’appuie par ailleurs sur la société danoise Topsoe, spécialisée dans les catalyseurs, qui a calculé le prix de l’ammoniac produit par les énergies solaire et éolienne. Il se situerait dans une fourchette comprise entre 21,50-45,70 $ par gigajoule en 2025 pour tomber à 13,5 -15 $ en 2040. En comparaison, le diesel coûte aujourd'hui entre 12,5 et 15 $ par gigajoule.

Un porte-conteneurs type nécessiterait la puissance de 10 000 batteries Tesla S85 chaque jour »

Hydrogène et PAC, une autre bataille

Tout comme l'ammoniac, la densité de l’hydrogène est faible et il faudrait le liquéfier et le stocker sous pression pour qu'il soit viable en tant que combustible, ce qui pose un problème de transport et de stockage et suppose des coûts élevés. En outre, il nécessiterait une infrastructure de soutage adaptée. L'utilisation de l'hydrogène pourrait atteindre 12 Mt en 2070, ce qui équivaut à 16 % de la demande mondiale de soute des navires en 2019 et à 16 % de la consommation mondiale actuelle d'hydrogène.

Des batteries intéressantes pour le short sea

Pour l’ICS, le défi des batteries est tout aussi important : un porte-conteneurs type nécessiterait la puissance de 10 000 batteries Tesla S85 chaque jour, ce qui signifie qu'il faudrait 70 000 batteries pour naviguer pendant une semaine. Viable pour le transport de courte distance, intéressante pour répondre aux besoins en énergie auxiliaire de navires plus grands, la technologie offrirait bien d’autres possibles si elle était aidée par de la R&D. D’autant que le transport maritime pourrait bénéficier des progrès réalisés dans le domaine des voitures électriques.

Seul un petit réacteur nucléaire serait nécessaire, avec une durée de vie de plusieurs années, supprimant la nécessité pour les navires de se ravitailler en carburant »

Vent et nucléaire

De façon plus inattendue, la représentante de l’industrie maritime concède une petite place à la propulsion assistée par le vent (comprendre : pas par la seule puissance de la nature mais aidée par la technologie) : « elle devient une option viable grâce à de nouvelles technologies et en complément de systèmes hybrides ».

L’ICS cite aussi le combustible nucléaire que la Russie exploite certes avec un certain succès sur des brise-glaces dans l'Arctique. « Seul un petit réacteur nucléaire serait nécessaire, avec une durée de vie de plusieurs années, supprimant la nécessité pour les navires de se ravitailler en carburant ou de transporter des soutes ». De là à devenir politiquement et socialement acceptable...

Adeline Descamps

 

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L’ammoniac vert

L'ammoniac vert (donc produit à partir des énergies renouvelables) attire actuellement tous les suffrages. Les oxydes d'azote, qui pourraient être éliminés par l'installation de systèmes catalytiques, sont les seuls gaz à effet de serre que sa combustion émettrait et il peut être mélangé au mélange de combustibles existants. « Mais pour être utilisé comme carburant, l'ammoniac devrait être stocké sous forme liquide et un nouveau réseau de soutage devrait être développé pour pouvoir traiter en toute sécurité un nouveau carburant aux propriétés très toxiques. »

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L’hydrogène vert

Si l’hydrogène, en tant qu’élément, n’émet pas de carbone, sa production émet une grande quantité de gaz à effet de serre, ce qui annule ses vertus écologiques. Des développements sont en cours pour produire de l'hydrogène à partir des énergies renouvelables grâce à la technologie de l’électrolyse de l'eau. Une solution qui permettrait de stocker et de transporter l'énergie excédentaire.

Actuellement, les fabricants d'hydrogène peuvent déjà produire de l'hydrogène dit bleu en « capturant » et en stockant le carbone émis au cours du processus de production (CSC). La société norvégienne Equinor projette ainsi une installation pour produire de l'hydrogène à partir du gaz naturel en combinaison avec la technologie de captage de CO2. Les compagnies pétrolières et gazières, qui produisent de l'hydrogène à proximité de leurs champs pétrolifère, ont cette capacité à stocker le carbone dans les réservoirs souterrains à partir desquels le gaz a été produit.

La compagnie maritime belge CMB s'est récemment associée à ABC Engines pour développer le premier moteur bicarburant hydrogène-diesel au monde. La coentreprise, appelée Behydro, a mis au point un moteur diesel-hydrogène qui pourra fournir jusqu'à 10 mégawatts de puissance. BeHydro a déjà reçu sa première commande de moteurs qui seront installés à bord de l'HydroTug, tout premier remorqueur à hydrogène au monde déployé par le port d'Anvers. Là encore, la R&D sera appelé à grand renfort pour passer d’un remorqueur de 300 tpl qui peut être ravitaillé quotidiennement à un grand porte-conteneurs au long cours de 236 000 t de jauge brute.

BeHydro lance un moteur diesel-hydrogène immédiatement commercialisable
 

 

 

 

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