Le parlement européen veut inclure le transport maritime dans son marché carbone

 

C’est une semaine importante sur le plan européen pour acter les futures exigences environnementales de l'UE en matière de transport maritime. La commission de l'environnement du Parlement européen, qui débattait du sujet les 6 et 7 juillet, a voté pour faire entrer le secteur dans le système européen d'échange de quotas CO2.

Le transport maritime est le passager clandestin des politiques climatiques, dénoncent régulièrement les ONG environnementales. « Il est le seul secteur pour lequel l'UE n'a pas pris d'engagements spécifiques en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre », alors que son activité génère, selon un consensus général, entre 2,5 et 3 % du total des émissions mondiales de GES.

Le maintien de cette exception ne fait plus la règle et, en tout cas, plus partie des plans de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a resserré les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Pour rester dans les limites du seuil d'augmentation de la température moyenne mondiale de 1,5 °C (Accord de Paris sur la politique climatique), il faudra que tous les secteurs atteignent des émissions nettes nulles d'ici 2050. Pour tendre vers ces grands objectifs, la commission a fait de la fiscalité verte un des principaux arguments de son « green deal . Elle s’est engagée, d’ici juin 2021, à réexaminer sa législation sur le climat et ses instruments de façon à aligner la fiscalité sur les objectifs climatiques. Pour dénicher de nouvelles sources de revenus, elle envisage très sérieusement d’élargir la mise aux enchères de quotas d’émission au transport maritime. L’actuel système européen d’échange de quotas d’émission (SCEQE ou Emissions Trading System, ETS) ne concerne à ce jour que les émissions induites par la production d’électricité, les activités industrielles et les vols intra-européens.

Le « Green deal » pourrait faire payer le carbone au transport maritime

Mise au pas européenne

C’est dans ce contexte de verdissement généralisé que le Parlement européen, via sa commission de l'environnement ENVI, a débattu les 6 et 7 juillet des futures exigences environnementales de l'UE en matière de transport maritime. Le projet de rapport, qui a été approuvé ce 7 juillet à une large majorité (62 voix pour, 3 contre et 13 abstentions) par les membres de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, demandait clairement à l’exécutif européen d’inclure le transport maritime dans le marché européen du carbone.

« Ce 7 juillet, nous envoyons un signal fort en accord avec le Green Deal européen et l'urgence climatique. La décision de modifier le règlement concernant la surveillance, la déclaration et la vérification des émissions de CO2 obligera les compagnies maritimes, pour leurs navires de plus de 5 000 GT, à déclarer des données détaillées sur leurs émissions de CO2 et de méthane », a réagi dans la foulée l’eurodéputée Jutta Paulus (Verts allemands), chargée de diriger les négociations du Parlement sur la mise à jour du règlement dit MRV (monitoring, reporting and verification, soit surveillance, déclaration et vérification).

Ce corpus de règles, qui régit aujourd’hui l'empreinte carbone du transport maritime via la surveillance de ses émissions, est en cours d'actualisation pour le mettre en conformité avec les nouvelles exigences de l’OMI (objectif de réduction de 40 % du CO2 par tonne de fret transporté et par tonne-km parcouru d'ici 2030). Les députés européens ont profité de cette aubaine pour lui donner plus de poids afin d’accélérer le passage du secteur au SCEQE, les calculs qui détermineront le nombre de permis de polluer à attribuer étant désormais possibles.

La taxation du carbone, sur le devant de la scène internationale

Jeux de pouvoir et d’influence

Le sujet – qui soulève de nombreuses questions d’ordre technique, économique, politique, donc forcément complexes – divise ceux qui écrivent les politiques publiques, mais aussi les instances professionnelles au niveau international. Le projet européen contrarie en outre les plans de l’Organisation maritime internationale (OMI). L’organisme, qui réglemente le transport maritime au niveau international, estime que le sujet doit être traité à cette échelle. Il dispose surtout de sa propre stratégie, qui exige du secteur qu’il réduise de moitié sa production de gaz à effet de serre d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008. Mais la façon d’y parvenir reste encore à déterminer. Le coronavirus a perturbé le planning des différentes réunions qui devaient se tenir sur le sujet.

Au sein des instances politiques européennes, on estime que si le secteur échappe encore aux politiques climatiques, c’est bien en raison de l’inertie et de l’influence de certains des 172 États membres de l’OMI. Certains États du pavillon, parmi les plus importants registres d’immatriculations au monde (en tonnage), comme le Panama, le Liberia ou Malte, voire de grands pays propriétaires de navires comme la Grèce, sont régulièrement taxés de blocage tacite mais caractérisé. 

Nouvelles études d’impact ?

« Cela fait environ 25 ans que l’OMI promet de faire quelque chose. Mais même pour compter les émissions, elle ne s’y est attelée que lorsque le MRV est entré en vigueur. C’est avant tout pour cette raison que notre proposition est sur la table », mord Jutta Paulus, qui craint désormais que la Commission consacre des années à la réalisation de nouvelles études d’impact. « Je ne vois pas l’intérêt de continuer à compter les émissions alors que l’on ne fait rien pour les réduire. L’évaluation a déjà été faite en 2013. »

Les nouvelles exigences établies par le « Green deal » nécessitent en effet de nouvelles études de modélisation. Là encore, l’affaire est loin d’être évidente à manœuvrer. Certains groupes politiques estiment en effet qu’il faudrait juste la mettre à jour avec quelques indicateurs supplémentaires afin de coller au plus près à la réalité des émissions. D’autres – notamment au sein des partis de droite et conservateurs – ne sont pas à l’aise avec l'idée de fixer immédiatement un prix pour les émissions maritimes et souhaitent en effet une étude d'impact approfondie.

Les statistiques seules ne permettent pas d'économiser un seul gramme de gaz à effet de serre !

Au moins un consensus

S’il est un point sur lequel tous devraient s’entendre, c’est sur le fait que tout prélèvement généré par la taxation du secteur soit réinvesti dans des technologies décarbonées. « La surveillance et la déclaration des émissions de CO2 sont importantes, mais les statistiques seules ne permettent pas d'économiser un seul gramme de gaz à effet de serre ! C'est pourquoi nous allons plus loin que la proposition de la Commission et exigeons des mesures plus sévères pour réduire les émissions du transport maritime », indique dans son communiqué la commission ENVI.

Les membres de la commission ont en effet approuvé la création d'un fonds (Ocean Fund) pour la période 2023-2030, financé par les recettes de la mise aux enchères des quotas. 50 % des sommes seraient destinés à soutenir les investissements dans des carburants alternatifs, les nouvelles technologies énergétiques et le verdissement des ports tandis que 20 % iraient à la protection ou restauration des écosystèmes marins susceptibles d’être impactés par le réchauffement climatique.

5 Md$

En décembre 2019, huit des principales associations internationales d'armateurs avaient déjà proposé de mettre sur la table 5 Md$ pour alimenter un fonds de recherche sur les technologies et carburants décarbonés grâce à une « contribution obligatoire à la R&D de 2 $ par tonne de carburant ».

Lorsque le rapport aura été adopté par la plénière, qui aura lieu lors de la session du 14 au 17 septembre à Strasbourg, le Parlement sera alors prêt à entamer les négociations avec les États membres sur la finalisation d’une législation. Le plus long, difficile et sinueux parcours…

Adeline Descamps

 

Trois options de tarification du carbone pour les émissions maritimes internationales

Nés avec le Protocole de Kyoto, les instruments de marché pour sanctionner ou inciter à se convertir à des sources d’énergies moins polluantes, selon que le régulateur fixe un prix pour le CO2 ou des quantités d'émissions, ont fait l’objet de nombreux rapports. Certains pour en démontrer les limites : leur coût, leur complexité et leur efficacité non avérée. D'autres, émanant des grandes associations professionnelles du transport maritime, armateurs comme chargeurs, pour alerter sur les « probables distorsions de concurrence » pénalisant notamment les ports européens.

Dans une étude pubiée en mars dernier (Carbon pricing options for international maritime emissions), l’institut de recherche New climate Institute for Climate Policy and Global Sustainability a étudié trois options de tarification du carbone pour les émissions maritimes internationales : un système de compensation, qui obligerait les navires à compenser leurs émissions de GES en achetant des crédits de réduction des émissions ; un système d'échange de droits d'émission, qui plafonnerait les émissions totales de GES du transport maritime international et permettrait aux compagnies maritimes d'acheter et de vendre des quotas en vertu de ce plafond ; une taxe climatique, qui fixerait un prix fixe pour chaque tonne de GES émise par les navires. Elle en conclut « qu'une taxe climatique serait la mesure la plus appropriée pour réduire les émissions dans le secteur maritime. Par rapport à un système d'échange de quotas d'émission, elle offre des signaux de prix prévisibles et stables et ainsi une plus grande visibilité aux investisseurs des technologies à faible intensité de carbone. Elle est moins complexe et la gestion administrative est moins coûteuse. » A.D.

 

Le carbone, cet objet du délit

Le CO2, générateur du gaz à effet de serre, est incontestablement la bête noire de toutes les politiques climatiques. Il fait d’ailleurs l’objet d’un article dans l’accord de Paris signé lors de la COP 21. L’OMI, qui réglemente le transport maritime, l’a également désigné comme l’ennemi public n°1 après avoir mis une dizaine d’années à enfin régler le sort au soufre, émetteur de Nox, Sox (oxydes d’azote, dioxyde de soufre) et autres particules fines et ultra fines. La norme IMO 2020 est entrée en vigueur le 1er janvier dernier pour toute la flotte. Cela ne devrait plus être un sujet.

En octobre dernier, à Singapour, le sommet annuel du Global Maritime Forum a fait de la décarbonation du transport maritime, via l’instauration d’une taxe sur le carbone, la thématique phare de son rendez-vous. Tout comme la 54e édition de Nor-Shipping, grand-messe de l’industrie maritime qui s’est tenue en juin 2019 à Oslo.

Avec son programme « Green deal », la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déporté les regards sur l’un des secteurs « gros émetteurs » encore exclu du marché carbone européen : le transport maritime. Au-delà, la Commission se dit prête à réviser la directive sur la taxation des produits énergétiques afin de supprimer également toute exemption pour le kérosène brûlé par les avions et le fuel utilisé par le maritime, qui échappent en effet au principe pollueur-payeur.

Selon l’ONG Transport & Environnement (T&E), en raison de la nature internationale du transport maritime, « l’imposition d’une taxe européenne sur les carburants ne devrait pas avoir les mêmes avantages que le SCEQE, car les navires feraient le plein dans des ports non européens et continueraient à polluer les eaux européennes pendant des mois, évitant ainsi complètement la taxe ».

Afin de « réduire le risque de fuite de carbone », la Commission propose en outre un « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières » dès 2025, visant les produits importés dans l'UE. Mettre une taxe carbone aux frontières de l'Europe, qui frapperait les produits dont la fabrication n'aurait pas respecté les normes environnementales, est une idée qui a toutes les faveurs en France.

Un puissant groupe de lobbying russe d’industriels, KPMG, a estimé que cette mesure coûterait aux exportateurs russes plus de 5 Md€ par an en droits de douane, soit une facture fiscale de 33,3 Md€ entre 2025 et 2030. En 2019, la Russie a exporté pour 143 Md€ de marchandises vers l'UE, dont environ les deux tiers sous forme de pétrole et de gaz. 

A.D.

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