Avec Suez et Panama, 15 % de la navigation mondiale se trouvent potentiellement entravés

La concomitance des deux chocs est rare. Que ce soit en raison de la piraterie politique en mer Rouge ou du fait de la sécheresse en Amériques, les à-coups simultanés sur les canaux de Suez et de Panama, deux jonctions capitales entre l'Asie, l'Europe et les États-Unis, peuvent jouer un rôle dans la dynamique des taux de fret pour la ligne régulière.

Avec Suez, point de passage essentiel pour le commerce Est-Ouest, en particulier pour les cargaisons de pétrole (8,2 millions de barils par jour de pétrole et de produits en jeu dans un marché déjà tendu) et Panama, capital pour les expéditions de céréales (soja, maïs) et de produits pétroliers de la côte américaine du Golfe du Mexique vers l’Asie, ce sont deux canaux stratégiques qui se trouvent avec des transits quotidiens limités, de gré ou de force.

Environ 12 % du commerce mondial passe par le canal de Suez mais 30 % du trafic mondial de conteneurs, soit plus de 1 000 milliards de dollars de marchandises par an, soutient le Bimco, l'une des plus organisations internationales au niveau international.

Quant à Panama, la sécheresse particulièrement aiguë ces dernières années ne lui a pas permis d'aller au-delà des 3,5 % du trafic mondial.

Que ce soit la piraterie politique pour le premier ou le déficit hydrique pour le second, les deux chocs qui se surajoutent peuvent jouer un rôle dans la réduction de la surcapacité qui pèse sur la ligne régulière et la restauration d’un équilibre entre l'offre et la demande.

Une aubaine pour les taux de fret ?

Plus les porte-conteneurs seront nombreux à contourner le cap de Bonne-Espérance, meilleures seront les perspectives pour les taux spot et contractuels sur le marché Asie-Europe mais aussi le transpacifique, entonnent en chœur les analystes. L'opportunité de retirer une partie de la capacité du marché, grâce à un détour supplémentaire de 12 jours, arrive à point nommé.

Alors que la phase des négociations des taux de fret approche pour le trade entre l'Asie et l'Europe, un petit coup de peps pour les taux spot seraient bienvenus pour renforcer le pouvoir de négociation des transporteurs, sans quoi ils seront réinitialisés à un niveau encore plus bas qu’ils ne l’ont été ces derniers mois (octobre et novembre, particulièrement bas). En décembre, ils ont, du reste, repris de l’aplomb sur l’Asie-Europe et ce, bien avant les derniers événements en Mer Rouge.

Le Drewry World Container Index (WCI), indice composite des taux de fret des conteneurs sur huit itinéraires principaux de/vers les États-Unis, l'Europe et l'Asie, a enregistré une hausse de 26 % entre la fin octobre et la mi-décembre, à 1 442 $, pour la liaison Shanghai-Rotterdam.

« La nouvelle donne produit un allongement des délais [un détour par le cap de Bonne-Espérance ajoute peu ou prou 4 000 milles nautiques soit 9 à 12 jours supplémentaires, en fonction de la vitesse, NDLR] et un effet inflationniste sur les coûts d’exploitation et sur les taux de fret », assure Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, dans une de ses dernières analyses. « L’allongement des routes maritimes va induire une consommation accrue de carburant qui devrait être répercutée sur les taux de fret, et les faire remonter aux alentours de 2 500-3 000 $ pour un conteneur de 40 pieds », ajoute-t-il.

Si la situation se prolonge – depuis le 19 novembre 2023, le mouvement houthi ne semble pas vouloir s'arrêter –, le différentiel de prix entre des solutions alternatives, que ce soit de fret ferroviaire Asie-Europe ou du transport combiné Sea-Air, sera à reconsidérer, poursuit-il.

Absorber jusqu'à 1,7 MEVP de capacité

Quoi qu'il en soit, les compagnies de ligne continuent de lutter contre la détérioration de l'équilibre entre une demande de transport asthénique et une offre « volumétrique ». Pas moins de 30 % de la flotte actuellement en exploitation vont affluer sur le marché d’ici à 2024-2025.

En moyenne, la flotte a augmenté de 5 % par rapport à 2022 et de 19 % par rapport à 2019. Elle devrait encore augmenter de 3 MEVP en 2024, ce qui ajoutera une pression supplémentaire sur un marché où la croissance attendue est de 3 à 4 %.

Selon Sea-Intelligence, si toutes les compagnies de transport de conteneurs se mettent à contourner l’Afrique (très peu probable), elles absorberaient entre 1,45 et 1,7 MEVP de capacité. Cela représente entre 5,1 % et 6 % de la capacité totale des porte-conteneurs dans le monde. Le ralentissement de la vitesse joue actuellement ce rôle d'éponge d'une partie la surcapacité.

Pour établir le nombre de navires supplémentaires nécessaires sur chaque trafic, le consultant a pris en compte le nombre de services sur les trade concernés, la taille moyenne des navires sur chaque service et un navire supplémentaire pour chaque augmentation de sept jours du temps de navigation. En utilisant une vitesse standard de 17 nœuds pendant la déviation, l'augmentation du temps de transit est d'environ neuf jours entre Asie et Europe du Nord, 14 jours sur les services méditerranéens et cinq jours entre Asie et la côte est-américaine.

Jusqu'à présent, les fuites de navires vers la route du cap de Bonne-Espérance sont assez limitées (mais augmente irrémédiablement) et les volumes affectés encore mineurs. Selon les données fournies par l'autorité du canal de Suez au Guardian, 55 navires ont été jusqu'à présent déviés du canal de Suez au profit de la route historique.

Des dépenses d'exploitation élevées

Selon les Indices de prix agrégés par Container Trades Statistics (CTS), les taux de fret moyens ont chuté de 56 % entre janvier et novembre, en glissement annuel, et depuis septembre, ils sont revenus aux niveaux moyens de 2019. Or, les principaux postes de coûts d’exploitation restent élevés par rapport à cette année de référence, précise Niels Rasmussen, analyste en chef du transport maritime du Bimco. Les compagnies opèrent donc avec une demande de transport famélique, des taux de fret au plancher et des dépenses d'exploitations élevées.

Depuis le début de l'année (à fin novembre), bien que le coût du fuel à très faible teneur en soufre ait chuté de 29 % par rapport à 2022 (année où il était très élevé), il reste supérieur de 5 % aux niveaux de 2019. Pour les navires équipés d'un scrubber, les prix du fuel lourd (HFO) sont de 22 % supérieurs à ceux de 2019.

Quant aux dépenses liées à l’affrètement, le coût moyen de location d'un nouveau navire a chuté de 73 % en glissement annuel depuis le début de l'année, mais il est resté en moyenne 65 % plus élevé qu'en 2019.

Les coûts réels d'affrètement à temps des opérateurs de lignes sont encore plus élevés, car il s’agit de contrats conclus en 2021 et 2022, quand la demande était forte et les exploitants de navires en défaut de capacités pour y répondre. Au niveau où les taux de fret se fixaient, ils étaient prêts à payer très chèrement les navires qui feraient leur fortune.

Une aubaine ?

De ce point de vue, la situation pourrait arranger le transport maritime de conteneurs. les itinéraires plus longs nécessitent plus de navires pour maintenir un service hebdomadaire, rappelle Alphaliner. Si cela ne va arranger les bilans carbone, ce pourrait être une aubaine en ces temps de fret rare à transporter.

Entre le 4 septembre, date de la dernière enquête du spécialiste de la ligne régulière, et le 4 décembre, le nombre de navires désarmés est passée de 260, totalisant une capacité de 1,06 MEVP, à 119 (317 591 EVP).

Qui va payer ?

« Si les compagnies maritimes doivent brûler près de 2 000 t de carburant de plus qu'elles ne le feraient autrement, quelqu'un doit payer pour cela », indique le Danois Lars Jensen, ancien de Maersk et aujourd’hui à son propre compte en tant que consultant, souvent à charge contre les compagnies maritimes. « La crise actuelle permettra aux compagnies maritimes de faire passer plus facilement certaines des augmentations générales de tarifs [GRI] qu'elles ont déjà annoncées [novembre, décembre et un en janvier, NDLR]. Cela augmente la probabilité qu'ils les fassent passer d'une manière ou d'une autre ».

Les tensions géopolitiques ont souvent été des alliées du transport maritime. L’épidémie est tombée à pic pour mettre un terme à dix ans d’exploitation des navires en dessus de leur seuil de rentabilité. La guerre en Ukraine a sorti les tankers de la léthargie dans laquelle ils baignaient depuis mi-2020. La réduction de la capacité du canal de Panama, en allongeant les tonnes-milles, compense la faiblesse de la demande saisonnière pour le transport de GNL et de GPL. Tout comme elle a stimulé la demande de vraquiers.

En réaction aux attaques en mer rouge, plusieurs compagnies de ligne ont vu leurs actions dopées : + 18 % pour ZIM, + 16 % pour Hapag-Lloyd, + 8 % pour Maersk. Faut-il penser que les marchés glosent sur une prochaine embellie du secteur du conteneur et une remontada des taux de fret ?

Adeline Descamps

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