Patrick Pouyanné, TotalEnergies : « Arctic LNG2 est sur les rails malgré toutes les sanctions »

Le premier train de liquéfaction – une cathédrale de 640 000 t et 110 m de haut, montée sur une structure gravitaire (GBS) –, a été remorqué en juillet, depuis le port de Mourmansk, jusqu’au site de l’usine de liquéfaction sur la péninsule de Gydan.

TotalEnergies a dégagé un résultat opérationnel net ajusté de 6,2 Md$ avec le GNL en 2023, en baisse de 37 % par rapport à l’année hors norme de 2022. La direction de TotalEnergies a clarifié un ensemble de points sur le GNL et l'hydrogène face aux analystes financiers, impatients de savoir où le groupe français allait se fournir.    
 

En 2024, le groupe français consacrera ses 100 d’existence sous la devise « Pionniers pour 100 ans », et devrait reconduire son actuel PDG pour un quatrième mandat lors de sa prochaine assemblée générale en mai. Après dix ans à la tête de l’entreprise, Patrick Pouyanné s'inscrit donc dans les pas de Thierry Desmarets, l’ancien CEO qui avec ses trois ans à la présidence du conseil d'administration aura gouverné pendant 15 ans.

TotalEnergies a dégagé en 2023 un résultat net de 21,4 Md$ (19,8 Md€), encore mieux (+ 4 %) que l'année hors norme de 2022, dopée par la reprise économique post-pandémie et la guerre en Ukraine.

Pour désamorcer les réactions épidermiques quant à ses bénéfices à nouveau record, auxquelles il est abonné, le groupe pétrolier et gazier avait pris les devants en publiant, quelques jours avant la déclaration de ses résultats, l'ensemble de ses contributions au pays, à commencer par les 2 Md€ versés aux finances publiques en impôts sur les bénéfices et taxe de solidarité sur l’électricité (320 M€) et en cotisations sociales patronales (35 000 salariés en France).

Bien que spectaculaire pour la plupart des Français, les résultats ont pourtant été dans la fourchette basse des attentes des marchés financiers. Mais la performance a été réalisée dans un contexte de prix déprimés tant pour le gaz (- 59 %) que pour le pétrole (- 18 %).

Le groupe français a été, en outre, plus rentable que ses pairs. La Britannique Shell a publié un bénéfice divisé par plus de deux en 2023. Le géant norvégien Equinor a déclaré un profit en chute de 59 %, à 11,9 Md$, plombé comme ses concurrents par le reflux du cours des hydrocarbures.

Bonus au GNL

TotalEnergies, qui dispose d'un flux de trésorerie de 36 Md$, doit l’amélioration de ses bénéfices en particulier au gaz naturel liquéfié, ersatz au gaz russe dans le sourcing de l’Europe, et à l'électricité.

L'énergéticien revendique la place de troisième acteur mondial du GNL « avec des positions de premier plan dans la regazéification en Europe et les exportations américaines ».

TotalEnergies assure en effet 16 % des capacités de regazéification européennes, soit 20 Mt, avec le démarrage de deux FSRU supplémentaires en Allemagne et au Havre l'an dernier.

Il a été, en 2023, une fois de plus le plus grand exportateur de GNL avec une capacité de plus de 10 Mt. Avec son entrée dans le projet Rio Grande LNG au Texas, dont la décision finale d’investissement (FID) a été prise en juillet, sa capacité devrait être portée à 15 Mt à horizon 2027.

Le GNL, qui aura bénéficié d'une croissance de 6 % par an en moyenne entre 2015 et 2023, a dégagé un résultat opérationnel net ajusté de 6,2 Md$ en 2023, en baisse de 37 % par rapport à une année 2022 hors norme, du fait du contexte énergétique exceptionnel engendré par la crise énergétique en Europe après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Ventes de 44 Mt en 2023

Les ventes de GNL (44 Mt, dont près de 12 Mt sur le dernier trimestre) sont en baisse de 8 % sur l’ensemble de l’année en raison de la baisse des achats spot en réponse à une demande moins élevée en Europe (hiver doux, stocks pleins).

La production d’hydrocarbures pour le GNL (hors Novatek) a augmenté de 9 % en 2023 par rapport à 2022 du fait d’une moindre maintenance et d’une augmentation de volumes sur certains de ses gisements (Nigeria, dont est sorti Shell, Ichthys en Australie et Snøvhit en Norvège).

La marge brute d’autofinancement a diminué de 25 % par rapport à l'année
précédente (toujours hors Novatek), tirée vers le bas par le prix du GNL, et partiellement compensée par les marges élevées réalisées en 2022 sur les cargaisons de GNL livrés en 2023. Désormais, TotalEnergies vise 7 Md$ de flux de trésorerie provenant du GNL

« Un portefeuille à faible coût et à faible taux d'émission »

« Au cours des deux dernières années, nous nous sommes engagés dans une stratégie de transition énergétique équilibrée qui, comme vous le savez, repose sur deux piliers, le pétrole et le gaz d'une part, principalement le GNL, et d'autre part, l'électricité », amorce Jean-Pierre Sbraire, directeur financier, lors de la présentation des résultats aux analystes financiers.

En ce qui concerne le pétrole et le gaz, poursuit le dirigeant, TotalEnergies prévoit d'augmenter de « manière responsable » sa production de pétrole et de gaz de 2 à 3 % par an, principalement à partir de GNL, « grâce à son portefeuille riche, à faible coût et à faible taux d'émission ».

Le groupe est très critiqué pour la poursuite de ses investissements dans les énergies fossiles. L’ensemble du secteur est mis sous pression par des ONG et activistes a fortiori depuis que plusieurs compagnies pétrolières ont indiqué une revoyure à la baisse de leurs prétentions en matière de transition énergétique.

La direction de TotalEnergies a toujours soutenu que le pétrole et le gaz resteraient nécessaires pour répondre à la demande mondiale tout en fixant le cap à 35 GW de capacités d'électricité renouvelable produites en 2025 et 100 GW en 2030. La capacité installée a augmenté de près de 6 GW entre 2022 et 2023, pour atteindre plus de 22 GW.

Retour de la Chine ?

La major française ne désespère pas de voir revenir la Chine qui, avec 71 Mt importés l’an dernier, reste encore en deçà de 10 Mt de son niveau de 2021. « La Chine a augmenté ses importations de 11 % en 2023 par rapport à 2022. Les acheteurs chinois sont actuellement très agressifs. Ils ont signé un certain nombre de contrats à long terme. Nous avons nous-mêmes engagé des discussions avec certains de ces acteurs. Ils sont prêts à diversifier leurs sources de GNL », assure Patrick Pouyanné, qui gage sur l’année 2024 pour que la Chine retrouve sa jauge de 2021. Les conditions s’y prêtent : le prix du gaz, moteur de la demande en Asie, est au plus bas.

Dans le même temps, l'Europe est passée de 65 à 113 Mt. « Cela a été un grand choc sur le marché, qui est en passe d'être absorbé. La tension persistera parce que l'augmentation de la capacité de GNL est limitée ».

Il pourrait donc y avoir une tension sur le marché en cas de choc sur l'offre, comme ce fut le cas pour Freeport.

Quatre projets sur le feu

Le groupe français a, pour sa part, quatre projets sur le « feu ». Avec Energia Costa Azul (basé au Mexique mais pour valoriser du gaz en provenance des États-Unis), le site devrait être opérationnel à la mi-2025 avec une capacité de 1,7 Mt (le Français est actionnaire à 16 % du projet mais a accès à presque 55 % de la production).

Il est également engagé dans les deux grands projets en cours North Field East (2 Mt) et North Field South (1,5 Mt), l’une des plus grandes réserves mondiales de GNL – elle représenterait environ 10 % du gaz naturel connu dans le monde –, que le Qatar partage avec l'Iran.

Il reste le projet au Mozambique (Mozambique LNG), où est prévue une usine de liquéfaction de 12,8 Mt par an dans le complexe d'Afungi, mais qui été mis en suspens en 2021 à la suite d'attaques. TotalEnergies avait alors déclaré la force majeure et a retiré tout son personnel.

« Nous sommes en train remobiliser les contractants et je pense que nous ne sommes pas loin d'avoir tout réglé avec eux »,  a indiqué Patrick Pouyanne, précisant que ses équipes étaient en train de relancer l'ingénierie détaillée.

« Nous avons besoin de mobiliser les institutions financières et lorsque tout cela sera terminé, nous reprendrons la construction du projet », assure le PDG, qui mise sur le milieu de l'année.

Quant à Arctic LNG 2, le projet porté par Novatek auquel était associé TotalEnergies en tant qu’actionnaire, la compagnie a dû s'en désengager (financement et contrats d'achat de gaz) en raison des dernières sanctions américaines. Novatek se retrouve seul aux commandes de ce projet au coût estimé à 21 Md$, ce qui interroge les analystes.

D’une capacité de production de 6,6 Mt par an chacun, Arctic LNG2 devait être opérationnel à la fin du premier trimestre 2024 pour atteindre en 2026 sa pleine capacité. Malgré les sanctions, Arctic LNG 2 est en passe de sortir ses premiers volumes. Il a été achevé avec des technologies chinoises.

« Le projet a progressé parce que les gens de Novatek sont tout à fait incroyables, répond Patrick Pouyanné. Ils ont été capables de mettre en production un nouveau train malgré toutes les sanctions. En fait, en termes d'ingénierie, il s'agit d'une réalisation tout à fait remarquable. Mais nous ne sommes plus dans la gouvernance. Nous avons tout mis en force majeure car il n'est pas question d'exposer l'entreprise à un quelconque type de sanction secondaire. De mon point de vue, le troisième train est en attente, mais le deuxième semble bien avancer ».

Pour quels marchés ? « Pas en Europe en tout cas », répond le dirigeant.

La mer Rouge, quels impacts ?

La direction du groupe français semblent moins embarrassée par la mer Rouge que par le canal de Panama, rattrapé par la sécheresse. « Lorsque vous allez du Qatar à l'Europe en passant par la mer Rouge ou par l'Afrique du Sud, la différence n'est que de quatre jours. Ce n'est donc pas un grand événement. Lorsqu'il faut aller du Golfe du Mexique à l'Amérique du Sud, en passant par l'Argentine, et revenir, il y a 20 jours de plus si l'on évite le canal de Panama. Cela a donc un impact important sur les coûts et sur l'ensemble du système : c'est 0,5 $/Mbtu de plus ou de moins ».

Mais avec sa flotte et ses installations de regazéification en Europe, l'entreprise estime avoir les leviers pour faire « l'arbitrage entre l'Europe et le reste du monde » et « optimiser les flux ».

Où trouver l'hydrogène vert ?

Alors que TotalEnergies a lancé un appel d’offres pour 500 000 t par an d’hydrogène vert pour décarboner ses raffineries européennes, les analystes étaient curieux de savoir où il comptait se fournir.

« La demande existe en Europe – et nous sommes un raffineur en Europe –, parce qu'il existe une politique assez complexe qui vous permet de bénéficier de crédits carbone (ETS) lorsque vous utilisez de l'hydrogène vert dans vos produits raffinés. Ainsi, étant donné que nous payons un prix assez élevé et que la charge de CO2 augmente en Europe, vous pouvez trouver un moyen non seulement de promouvoir l'hydrogène vert mais aussi d'obtenir des crédits, ce qui rend les choses économiquement viables », explique Patrick Pouyanné.

En clair, sans ce cadre européen, il n’y aurait pas demande pour l'hydrogène vert. « La question qui se pose aujourd'hui est de savoir à quel prix il pourra être livré. Sachant que nous ne voulons pas d'ammoniac mais de l’hydrogène, ce qui est un peu plus complexe, car il faut transformer l'ammoniac ».

Quant à sa provenance, « en fin de compte, je pense qu'il proviendra principalement de producteurs européens. Il y a encore quelques incertitudes parce que la réglementation, par exemple, aux États-Unis n'est pas encore complètement aboutie. De grandes usines sont par ailleurs en construction au Moyen-Orient. Pour moi, c'est donc un bon moyen de voir à quel prix ils peuvent livrer ces volumes en Europe ».

Il n’en dira pas davantage alors que les offres sont à l’étude. « Nous ne l'obtiendrons pas à 3 $ le kg, mais à moins de 6 $, ce sera correct », ajoute-t-il.

Retour dans les appareils de forage

Pour réduire le coût de ses investissements, TotalEnergies va aussi de plus en plus loin. Confrontés à un environnement plus inflationniste du forage – les appareils de forage en eaux profondes sont passés de 200 000 à plus de 400 000 $ par jour selon lui –, le groupe a décidé d’acquérir un appareil de forage (75 %) en partenariat avec Vantage, qui l’exploitera.

« Dans les années 1990, les entreprises possédaient des navires de forage. Quand les prix ont baissé, elles se sont retrouvées coincées avec les plateformes et ont donc décidé que ce n'était plus leur business. Au cours des 25 dernières années, le prix le plus bas que j'ai pu observer a été de 200 000 $ par jour. Et cela a pu monter jusqu'à 500 000-600 000 $ (…) Si je veux réaliser le projet, je dois trouver des moyens de contrôler mes coûts. Investir dans le navire est une façon de couvrir nos coûts de forage », poursuit le dirigeant, qui n'exclut pas que cela soit le « premier d'une flotte ». Pour ses besoins de forage, TotalEnergies a recours à une dizaine de ces navires par an.

Adeline Descamps

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