« Doubler le trafic ferroviaire d’ici 2030 est plus pertinent que jamais »

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Pour les opérateurs belges de fret ferroviaire, la crise sanitaire a entraîné une chute importante des trafics et des pertes financières substantielles. Le Belgian Rail Freight Forum demande des mesures structurelles pour aider le secteur à surmonter la crise et le remettre sur la voie d’un doublement de ses volumes. Son représentant, Paul Hegge, voit des raisons de croire à une évolution positive. Le Belgian Rail Freight Forum regroupe les opérateurs de fret ferroviaire qui disposent d’une licence pour faire rouler des trains de marchandises sur le réseau ferré belge. Ses membres ont été très affectés par la crise sanitaire, selon Paul Hegge, le représentant de l’organisation. « Au plus fort du confinement, les pertes de trafic ont grimpé jusqu’à 40 % pour certains opérateurs. Sur l’exercice 2020, le recul global se situe autour des 20 %. Les pertes dues à la crise sanitaire se montent à quelque 85 millions d’euros. De plus, le coronavirus va sans doute nous coûter un à deux ans dans la réalisation de notre objectif stratégique de doubler le trafic ferroviaire d’ici 2030. Nous n’attendons pas de redressement complet avant la fin 2021 ». Du fait de la plus faible congestion du réseau routier, la nécessité d’un report modal pourrait sembler moins pressante. « Mais les raisons stratégiques du report modal n’ont pas disparu. Le défi climatique et environnemental se fait toujours plus pressant. La pertinence de notre ambition stratégique est donc plus grande que jamais. La crise a d’ailleurs montré la vulnérabilité de nos chaînes logistiques, la nécessité de les repenser et le rôle essentiel du rail dans ce contexte », souligne Paul Hegge. 

Redevances sur les sillons maintenues 

La crise a d’abord eu quelques aspects positifs. « Il y avait moins de trains et donc moins de problèmes de capacité. Nous avons pu mieux travailler et être plus ponctuels, ce qui prouve que ce ne sont pas les opérateurs de fret qui sont responsables des retards. En intermodal, il y a même eu initialement une légère hausse, bon nombre de camions se trouvant bloqués aux frontières ». 

Mais le revers de cette médaille est rapidement apparu. « Le matériel manquait pour faire rouler tous les trains intermodaux. Les transporteurs en possèdent relativement peu. C’est un des points de notre plan d’action, avec sa demande d’une aide à l’investissement dans ce type d’équipements et d’un chèque-transbordement pour absorber le coût de la manutention additionnelle en intermodal ».

Paul Hegge ajoute : « Ces derniers mois, nous avons enregistré des progrès dans ce dossier. Nous travaillons, au sein de groupes de travail qui rassemblent toutes les fédérations économiques et logistiques importantes, les administrations et les différents cabinets ministériels concernés, à l’élaboration d’un plan global pour le transport et le report modal en Belgique. Une note d’orientation devrait être prête d’ici l’été pour permettre au gouvernement de fixer sa politique en ce sens ».

Les pouvoirs publics belges ont prolongé pour 2021 le régime existant de soutien au transport durable de marchandises et approuvé des mesures d’accompagnement, comme une plus longue validité des certifications.

Paul Hegge, représentant du Belgian Rail Freight Forum.

Une pierre d’achoppement subsiste toujours. La Belgique n’a pas encore suivi l’exemple des pays voisins d’abaisser (ou d’annuler) les redevances d’utilisation des sillons, comme le préconise pourtant l’Union européenne (UE). Paul Hegge en souligne l’intérêt : « Il s’agit d’une mesure horizontale et transparente, qui a un effet direct valable pour tous, contrairement aux subventions à l’une ou l’autre entreprise, qui peuvent conduire à des distorsions de concurrence ».

Il garde l’espoir que ce dossier aboutira. « Le nouveau gouvernement étudie encore ce qui est budgétairement et techniquement possible. Il serait paradoxal qu’il ne donne pas suite à cette demande, alors qu’il dit nourrir les mêmes ambitions que le secteur à l’horizon de 2030 ». Un petit pas est sur le point d’être franchi : les sillons non utilisés parce qu’un train a été annulé pour cause de Covid-19 ne seraient pas facturés. 

L’UE, elle-même, n’est pas à une contradiction près. « En vertu d’une législation européenne qui oblige les gestionnaires de réseau à répercuter au moins leur coût minimal, le prix des sillons sur les trajets plus longs va diminuer un peu, mais tout ce qui concerne les trajets locaux devient plus cher. Les opérateurs qui ont beaucoup d’activités locales, qui sont très actifs dans le premier ou le dernier kilomètre… seront pénalisés », relève Paul Hegge. 

Gérer autrement le réseau

Les relations avec Infrabel, le gestionnaire du réseau ferroviaire belge, se sont apaisées, après le conflit ouvert sur des points comme la planification des travaux et la concertation avec les usagers. Les opérateurs de fret ferroviaire veulent qu’Infrabel se transforme davantage en gestionnaire des flux et soit davantage à l’écoute des utilisateurs du réseau et de leurs impératifs opérationnels et commerciaux. Le changement de mentalité est amorcé, assure Paul Hegge.

« L’organe de concertation demandé a été mis en place fin 2019 et plusieurs groupes de travail étudient quels changements sont requis. Dans la pratique, nous constatons déjà une plus grande écoute vis-à-vis de la clientèle et une plus grande volonté de répondre à nos besoins, même s’il reste du chemin à faire. Le ministre compétent est lui aussi sur la même longueur d’onde et se donne un an pour définir un nouveau contrat de gestion ».

Le Belgian Rail Freight Forum a toujours dit que les opérateurs doivent, de leur côté, améliorer la qualité des produits et des services ferroviaires. Ce mouvement est lui aussi enclenché, affirme Paul Hegge, même si la situation actuelle ne facilite pas les choses. « La grande difficulté reste à trouver la bonne réponse à des questions comme la massification des flux, la coopération dans le premier/dernier kilomètre et le partage des équipements. En temps de crise, coopérer entre opérateurs dans ces domaines est plus difficile. Là aussi, une évolution des mentalités doit se poursuivre chez les chargeurs comme chez les opérateurs. Ce n’est pas simple, ne fut-ce qu’en raison des règles de concurrence à respecter. Un partenaire neutre, comme Railport à Anvers, pourrait jouer un rôle important dans un tel contexte ».

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