Que retenir de la visite présidentielle chez CMA CGM ?

Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM et le chef de l'État Emmanuel Macron lors de l'inauguration du nouveau centre de formation interne du groupe sur le site de l'ENSM.

Crédit photo ©AD
Si les médias espéraient trouver les ingrédients pour alimenter un énième article sur les affinités électives entre le président de la République et le PDG du puissant groupe CMA CGM, ils auront sans doute été désappointés. Retour sur ce qui s'y est dit et a été entendu au cours de la visite présidentielle du nouveau centre de formation de l'armateur.

Ils sont venus très nombreux. Il pouvait en être autrement. En inaugurant son nouveau centre de formation et de d’innovation interne le jour de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, le groupe CMA CGM aura réussi un coup de maître.

Rodolphe Saadé, le PDG du groupe de transport et de logistique implanté dans le quartier d'affaires de la cité phocéenne, avait la garantie que tout ce que la ville compte d’élus, d’institutionnels et d’officiels seraient disponibles le jour où la ville portuaire lance officiellement les Jeux olympiques et paralympiques dans son pays d'acceuil.

Il savait aussi qu’il pouvait (es)compter, ce jour-là, sur la présence du président de la République, qui sans cela, « a toujours un immense bonheur à venir à Marseille », selon les propres mots d'Emmanuel Macron, a fortiori quand une « telle journée l’impose ».

Et ils étaient tous en effet, en ce 8 mai férié, à l’École nationale de la marine marchande (ENSM), aux pieds des Calanques, là où le groupe familial a choisi d'aménager son tiers-lieu classieux. Que ce soit le président de Région Renaud Muselier, la présidente du conseil départemental et de la Métropole Martine Vassal, le maire de Marseille Benoît Payant, les parlementaires de l'étape, le préfet des Bouches-du-Rhône et de région Christophe Mirmand, des représentants du monde patronal et institutionnel, des corps intermédiaires et des syndicats... Xavier Niel a été aperçu, le patron de Free avec lequel Rodolphe Saadé aura croisé le fer durant de longs mois pour s’emparer du groupe La Provence mais avec lequel il s'est (récemment) associé pour porter sur les fonts baptismaux un laboratoire commun dédié à la recherche ouverte en intelligence artificielle. Bruno Jeudy, patron de la Tribune du Dimanche, alternative au JDD Bollorisé lancée par le pôle média de CMA CGM, avait sa place réservée au second rang.

Le patron du troisième armateur mondial de porte-conteneurs aura même performé en extirpant de sa retraite dorée mais imposée l’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, dont les apparitions publiques sont extrêmement rares. Lui qui n'était pas un grand fan de la chose économique et encore moins connaisseur du périmètre d'activité de son hôte.

Arrivée théâtralisée

De ce fait, l’entrée théâtrale d’Emmanuel Macron par le (fin) fond de la tente réceptive posée devant la superbe bastide du 19e siècle, jadis propriété de la famille des liqueurs Noilly-Prat, a été jalonnée par une longue série d’accolades et d’embrassades républicaines qui auront duré autant de temps que celui qu'il a passé sur scène.

Dans son allocution serrée, Rodolphe Saadé réservera, lui, ses premières pensées à (ses) ou (ces) marins qui naviguent actuellement sur des mers en proie à des « conflictualités », ce mot familier à son invité de marque qui en fait un fil rouge de sa vision maritime.

Aussi, le patron du groupe marseillais rappellera ce que sa famille doit à la France, terre d’accueil de son père en exil en 1978 alors qu'il fuyait la guerre du Liban, mais insistera aussi sur ses implications dans le pays et son territoire avec ce nouvel ancrage après avoir y avoir posé son asymétrique tour zippée qui tient lieu de siège. Deux gestes architecturaux confiés de surcroît à des designers de renom (Zaha Hadid et Jean-Michel Vilmotte), ne manquera pas de glisser le patron sorti de l'anonymat depuis la pandémie.

« CMA CGM emploie 180 000 personnes répartis dans le monde mais 17 000 en France et 6 000 à Marseille », glisse le dirigeant, dont les messages profil bas passeront néanmoins. Le troisième armateur mondial fait partie de ces groupes français qui, dans le contexte de la pandémie et des débats autour des super-profits réalisés en temps de crise, se sont retrouvés acculés à faire la preuve de leur patriotisme économique devant la représentation nationale (Sénat et Assemblée).

Accélération écologique, économique, environnementale

Il peut désormais faire entendre sa voix dans un climat plus apaisé. Il la porte pour dire encore et encore qu'il figure parmi les premiers de son secteur à s'être lancé dans le verdissement de sa flotte (avec le GNL en transition puis le méthanol très recemment) dans lequel  15 Md$ ont été engagés ». Il ne manque pas non plus, comme à chaque apparition publique, d'évoquer son « fonds d'investissement doté de 1,5 Md€ » [baptisé Pulse, NDLR] lancé au profit de la décarbonation de l’ensemble de la filière française. Il vient d’être mis sur rail en partenariat avec Bpifrance.

Il finira par conclure, dans une tonalité épousant le décorum : « Depuis la France, nous réfléchirons à rendre la logistique encore plus responsable. Dans un contexte d’accélération écologique, économique, environnementale, la réponse n’est pas dans la timidité mais dans l’audace, vous l’avez rappelé la semaine dernière. Vous pouvez compter sur celle d’un groupe profondément français, familial, ancré dans son territoire, humain, qui a toujours su regarder devant pour investir et anticiper ».

Nécessaire souveraineté maritime

Pour le chef de l'État, c'est une bien singulière journée. Quelques heures auparavant, son visage était empreint de gravité devant la flamme du soldat inconnu sous l'Arc de triomphe. Dans son discours qui a tenu un peu plus de 10 minutes, après avoir salué la réussite d'un groupe français (un des premiers groupes mondiaux de son secteur, sa diversification dans la logistique, sa résilience, ses investissements, etc.) et l'audace entrepreneuriale du nouveau lieu, il est revenu sur sa vision régalienne du secteur.

« La France a toujours été une grande nation quand elle a pensé son destin maritime. À chaque fois qu’elle a fermé ses portes ou réduit ses positions, elle s’est affaiblie (…) La stratégie maritime française est au cœur de la capacité d’innovation et de la croissance du pays », recyclant au passage quelques bouts de discours déjà entendus sur la nécessaire souveraineté maritime.

Dans sa zone de confort

Le chef de l'État est dans sa zone de confort, sans doute parce qu’il est toujours fort bien accueilli par les représentants de la filière (très peu nombreux ici) depuis sa mémorable intervention aux Assises de l’Économie de la mer de 2019 à Montpellier où il avait déroulé une stratégie maritime ambitieuse.

Depuis, le grand rendez-vous annuel de la profession est devenu un classique dans son agenda : il était à Nice en 2021 et à Nantes en 2023 où il a donné aux professionnels du secteur une raison supplémentaire de penser que le chef d’État leur veut du bien. À chaque fois, ses prestations oratoires en surplomb ont été appréciées quand bien même ses discours bégaient et manquent un peu de concret pour ceux qui ont les mains dans la salle des machines.

La mer à son agenda

Depuis l’entame de son deuxième quinquennat, « la mer est une composante importante de son agenda », le lieu où il peut faire valoir ses arguments en faveur de la biodiversité et des énergies renouvelables tout en faisant corps avec les territoires d’Outre-mer, réservoirs d’économie bleue.

Son gouvernement a pris à bras le corps la question du dumping social dans le ferry et la France fait entendre une voix plutôt claire dans l’hémicycle de l'Organisation maritime internationale (OMI) sur les grands sujets de la filière.

Si le soutien financier est sans commune mesure avec le besoin estimé en milliards pour verdir la flotte et les ports française, le gouvernement a réservé une enveloppe globale de 800 M€ dans le cadre du plan France 2030 (2022-2030), dont 500 M€ doivent servir à amorcer la pompe d’un fonds d’investissement dédié « d’au moins 1,5 Md€ » avec effet de levier.

Quelques mots pour le port de Marseille

Logiquement, Il a placé quelques mots à l’endroit du port de Marseille, dont il fait le pivot de sa stratégie d’axe Méditerranée-Rhône Saône, censée remonter les fleuves pour capter l’hinterland de l’Est du pays et de l’Europe du Nord. Il est « un des axes de notre plan Marseille en grand », ce  programme de 15 Md€ d'investissements publics qu’il a lui-même lancé en 2021, plaçant de fait les finances de la ville rebelle sous tutelle...

Il ne pouvait pas terminer sa brève intervention sans évoquer son agenda Mer qui devrait le conduire jusqu'à la conférence de Nice en 2025, le sommet océanique pour les océans au cours duquel il faudra faire converger toute une série de processus de négociations et d'initiatives.

Une visite scrutée

Les nombreux journalistes de la presse généraliste qui espéraient trouver les ingrédients de nature à alimenter un énième papier sur les affinités électives entre le président de la République et le PDG du puissant groupe CMA CGM auront sans doute été déçus.

Lors de la visite présidentielle des lieux, en compagnie de son épouse, les deux hommes ont manifesté une distance clinique. Rien qui suggérait en tout cas la franche camaraderie à tu et à toi.

En revanche, tout au long du parcours, par ses questions, le chef de l’État a une nouvelle fois fait la démonstration de son intérêt et d'une certaine connaissance.

Le président préoccupé par la concurrence

Il a posé plusieurs questions ayant trait à la concurrence, sur la consolidation en cours dans la commission de transport (CMA CGM a acquis Bolloré Logistics, MSC va avaler Clasquin, Maersk ne perd pas de vue DB Schenker à vendre…) mais aussi sur la délégation de service public (DSP) assurant la desserte maritime de la Corse au départ du port de Marseille.

Le président français a sans doute en tête l’agenda de Bruxelles qui a ouvert en février l'ouverture en février d'une « enquête approfondie » sur les 853,6 M€ accordés par la France aux deux amodiataires pour la période couverte par la DSP.

Pour rappel, CMA CGM a racheté La Méridionale, l’une des compagnies maritimes opérant en DSP. Mais l'armateur de porte-conteneurs porte de grandes ambitions pour diversifier les revenus de la compagnie de ferries, au Maroc notamment. Mais La Méridionale a aussi surpris en ouvrant une nouvelle ligne (passagers) vers l’Ile-Rousse au départ de Toulon attaquant frontalement Corsica Ferries sur son terrain. Ce qui n'est pas sans susciter des remous et des questions.

Distorsion de pavillons

Rodolphe Saadé ne manquera pas de lui rappeler l’écart de coût entre le pavillon français premier registre, sous lequel naviguent les navires desservant la Corse, et le pavillon italien de Corsica Ferries, leader dans le transport de passagers entre la Corse et le continent.

Les ambitions du groupe dans le ferry et ro-pax n'ont pas non plus échappé au président, curieux de savoir comment la CMA CGM allait s’y prendre dans le sud de la Méditerranée sans évoquer pour autant le plan d'actions que son gouvernement a promis au ferry méditerranéen.

Pénurie de navigants

Enfin, alors qu'il est sur le site de l’École nationale supérieure maritime (ENSM), le chef de l’État reviendra aussi, dans ses échanges avec Rodolphe Saadé, sur les vocations maritimes qui s'effilochent. Ce point est (aussi) « au cœur de la stratégie maritime de la France », évoque-t-il.

À l'horizon 2027, selon les projections du consultant Drewry, il pourrait manquer quelques 35 000 marins au niveau mondial.

Nommé en août 2022 à la direction générale de l'école qui relève de la tutelle du secrétariat d'État à la mer, François Lambert a notamment dans son plan de charge l'objectif de doubler le nombre d’officiers de la marine marchande d’ici à 2027. Le développement du pavillon français en dépend, lui avait-il alors été dûment spécifié.

Adeline Descamps

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