Toutes les marines mondiales doivent actuellement faire face à des conflits terrestres qui débordent en mer et n'ont sans doute jamais dû faire face à autant de menaces tous azimuts. La situation sécuritaire évolue très rapidement. Les points de basculements émergent dans toutes les directions, par tous les moyens. « Certains cherchent à retrouver en mer l'espace de liberté qu’ils n’ont plus sur la terre. Il y a une bascule dans l’appropriation des espaces maritimes. Et les usages illégaux explosent [par opposition aux usages légaux qui concernent les énergies marines renouvelables et l’éolien flottant par exemple, NDLR] », reconnait Nicolas Vaujour, amiral depuis septembre 2013.
Dans le cadre des Assises de l’économie de la mer, le successeur de Pierre Vandier a décrypté en moins de dix minutes ce qui se joue actuellement en mer et toute la complexité – des transitions, des ruptures, des bascules –, à laquelle doivent se heurter les marines. A fortiori la marine française, présente sur tous les océans, de l'Atlantique Nord jusque dans l'Indopacifique.
Des conflits protéiformes
« Cette année, la marine a intercepté 43 tonnes de drogue, ce qui est son record absolu. Le trafic de la pêche illicite est colossal. Ce sont des hordes de chalutiers qui viennent pêcher massivement dans les eaux », déroule l’amiral.
Les conflits entre la Russie et l'Ukraine et entre Israël et le Hamas palestinien en sont symptomatiques. « La ligne de front s'étant figée à terre, l'Ukraine a commis un certain nombre de faits militaires en mer qui lui ont permis de repousser légèrement les Russes », explique celui qui fut adjoint au commandant de la force aéromaritime de réaction rapide (FRMarfor), composante française de la force de réaction de l'OTAN. Il en est de même avec le conflit israélo-palestinien qui contamine la mer Rouge, dont les conséquences sur la circulation maritime sont désormais connues.
Les frégates françaises se relaient en mer Rouge pour servir d’escortes militaires aux navires marchands, en proie aux exactions du mouvement d’opposition yéménite au pouvoir en place, organisation non étatique soutenue par les Gardiens de la révolution islamique et le Hezbollah libanais.
La situation sécuritaire dégradée au Moyen-Orient depuis près d’un an a provoqué une désorganisation totale de la ligne régulière, dont la mécanique est cadencée par des fréquences et des horaires. L’immobilisation contrainte d’une partie de la flotte et plus encore le contournement par le Cap de Bonne Espérance ont allongé la durée des voyages, induisant des coûts opérationnels élevés pour les armateurs (carburants et hausse du coût de l’affrètement). Une situation de surcroît susceptible de provoquer un embrasement des taux de fret à tout moment.
Coopération de marines
Jamais les deux marines – marchande et nationale – n’auront été amenées à être si proches. À cet égard, le MICA Center (centre français d’analyse et d’évaluation de la situation de sûreté maritime mondiale) a assuré la courroie de transmission, « un hub » selon les termes de l’amiral Vaujour, pour fournir aux armateurs des informations sécuritaires, des recommandations fiables et actualisées sur les menaces et leur évolution (nature, portée, modus operandi, conditions de ciblage des navires, etc.) et des règles sur les conditions de mise en citadelle de l’équipage en cas de tentative d’arraisonnement, la coupure des systèmes d’identification automatiques des navires (AIS) ou encore la doctrine d’emploi des gardes armés. Une coopération qu’Armateurs de France a voulu distinguer en remettant à l’amiral son prix spécial de l’année 2024 dans le cadre des Trophées de la charte Bleue.
Se familiariser avec des drones rebelles
Les conflits en cours sont aussi révélateurs de grands changements dans la technologie employée. Se retrouver face à des drones de surface (skiffs yéménites chargés d'explosifs), à des drones aériens de fabrication artisanale ou a des plateformes flottantes de guidage, contraste avec les moyens autrement plus sophistiqués – lasers, missiles balistiques ou antinavires – dont la marine est plus familière.
À l’aise avec ces objets d’une grande complexité que sont les sous-marins nucléaires (lanceurs d'engins), mélange savant entre la station Kourou et la centrale nucléaire, selon son expression, l’amiral anticipe par ailleurs une « bascule technologique » avec l’accélération de l'intelligence artificielle et du quantique « qui seront les ruptures de demain ».
Face aux menaces protéiformes, l'hyper adaptabilité est la règle, rappelle le commandant des forces marines, « pour protéger nos intérêts mais également pour tirer bénéfice de l'ensemble des technologies, Aujourd'hui, le cycle est extrêmement court. On teste des équipements à Toulon et un mois plus tard, ils sont déployés en opération de façon à améliorer notre efficacité immédiate ».
Finalement pour l’amiral, la crise en mer Rouge est un « un révélateur » de « compétences » et de « savoir-faire », et une opportunité pour « accumuler une grande expérience », conclut-il. De façon plutôt inattendue.
Adeline Descamps
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