Treize engagements de 41 États, 22 armateurs, 18 grands ports et combien de promesses ?

Présenté comme une première mondiale, le sommet international consacré à la protection des océans, s'est clôturé à Brest le 11 février après trois jours de tables rondes entre experts, scientifiques, dirigeants, organismes et ONG et un temps fort politique présidé par Emmanuel Macron en présence d’une quinzaine de chefs d’États et de gouvernement. Une déferlante de déclarations d’intention, c’est la grande promesse du One Ocean Summit.

C’est à une odyssée d’intérêt général, censée mener à de nouveaux engagements internationaux, à laquelle a été convié « le monde » les 9, 10 et 11 février. « Nous allons aujourd'hui prendre des engagements. Ce seront les engagements de Brest », avait promis le chef d’État français Emmanuel Macron avant la clôture de ce sommet mondial sur les océans, une grande Première dont il a été l’artisan, et la ville bretonne, l’hôte. 

De ce point de vue, la promesse aura bel et bien été tenue. Ce fut même une déferlante numérique de déclarations d’intention, un raz-de-marée de propositions, un déballage d’offres. Le bouquet final – le nommé « segment de haut niveau » pour qualifier le temps politique auquel ont assisté de près ou de loin 41 États* – aura enseveli le visiteur sous une vague scélérate de promesses à « préserver la biodiversité », mais aussi « stopper la surexploitation des ressources marines », ou encore « lutter contre la pollution » voire à « endiguer le réchauffement climatique ». 

Obligation de résultats ?

Pour quelle garantie ? Quelle obligation de résultats ? Aucune si ce n’est un activisme politique. « Il n’y aura pas d’appel ni de déclaration commune », avait-il été annoncé avant l’ouverture. L’objectif était de fixer des engagements, avait prévenu Olivier Poivre d’Arvor, qui s’est vu confier la responsabilité de son organisation, ajoutant « un nombre suffisamment restreint pour que l’on puisse vérifier qu’ils soient tenus dans les semaines à venir ». 

Brest aura contribué à poser le premier jalon d’un agenda international chargé en 2022, ont assuré après la clotûre de l’événement les trois ministères de la Mer, de la Transition énergétique et des transports dans une guerre de communiqués et un entrechoc de compétences.  

Peser sur les négociations à venir

Dans un discours efficacement ramassé en moins de 20 minutes, se soldant par « actions », Emmanuel Macron a pour sa part donné le tempo en crantant toutes les occasions diplomatiques de l’année – une « concentration inédite de rendez-vous » – où ils vont pouvoir peser et pousser « des décisions historiques ». 

« Et nous allons pouvoir le faire dès la fin du mois à l’occasion de la l'Assemblée spéciale des Nations unies pour l'environnement à Nairobi [Kenya] », où le président français espère décrocher « un accord contraignant sur la pollution plastique ».  

Installer l’océan au cœur de l’agenda politique international 

« Puis à New York début mars, voyage Emmanuel Macron. C’est une étape très attendue pour parvenir à un traité destiné à protéger la haute mer**», ces océans sous la juridiction d'aucun État qui en font des espaces non régulés. Là où l’ONU a tenu sa première conférence mondiale sur l’Océan en 2017 doit en effet se tenir la quatrième – et en principe dernière session – des négociations entamées en 2018. 

Viendront ensuite, déroule l’hôte, la COP15 biodiversité à Kumming en Chine, du 25 avril au 8 mai, souvent présentée comme la COP21 de la biodiversité, qui doit fixer un cadre pour protéger les écosystèmes ; la conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne en juin, la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte en novembre, le Sommet de la terre à Rio de Janeiro qui doit créer un Conseil de la Terre et un Institut sur les océans et sur le climat. 

« Pour confirmer cette dynamique et construire un agenda international océanique ambitieux, la France et le Costa Rica ont proposé d’organiser ensemble en 2024 la prochaine conférence des Nations unies sur l’Océan », font valoir les services de l’Élysée.  

Du très beau monde

L’événement aura en tout cas fédéré, attirant du très beau monde, que ce soit en présentiel ou à distance : les chefs d’État et de gouvernement de 41 pays, les dignitaires des grandes institutions internationales (ONU, de l’Unesco, de l’OMI) et financières (BEI, AFD, BERD), les représentants de plus de la moitié des zones économiques exclusives (ZEE).

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le secrétaire général de l’OMI 
Kitack Lim, l'émissaire américain pour le climat, John Kerry, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, dont le pays organisera la COP27 sur le climat en novembre, le président portugais, Marcelo Rebelo de Sousa, qui accueillera à Lisbonne fin juin un sommet de l'ONU sur les océans, étaient présents à Brest. Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, le vice-président chinois Wang Qishan, les Premiers ministres japonais (Fumio Kishida), britannique (Boris Johnson), indien (Narendra Modi), ou encore le président ivoirien, Alassane Ouattara ont assisté à distance.  

La filière maritime et portuaire au complet

La filière maritime et portuaire n’a pas dédaigné le formidable balcon international avec vue sur mer offert par l’événement. L’occasion était trop belle pour valoriser quelques engagements, déjà contractés par ailleurs.

Comme à la COP 26 à l’instar des corridors verts par exemple, ces routes maritimes fléchées sur lesquelles vont être expérimentées à l’échelle les solutions technologiques les plus efficaces pour parvenir à réduire rapidement et significativement les émissions carbone. « Sur ces trajets donnés, tout sera mis en œuvre pour réduire la complexité et simplifier les process grâce à des partenariats public-privé », expliquera Johannah Christensen, à la tête de la coalition Getting to Zero, dans le cadre de l’atelier organisé sur les « navires zéro émission » auquel ont participé Christine Cabau-Woehrel (CMA CGM), Hervé Gastinel (Ponant), Jean-Emmanuel Sauvée (président d’Armateurs de France), Victorien Erussard, (Energy Observer), Frédéric Moncany de Saint-Aignan (Cluster Maritime Français), Philippos Philis, pour sa première intervention publique en tant que président des armateurs européens (ECSA) ou encore Matthieu de Tugny (Bureau Veritas). 

11 armateurs signent pour aller au-delà des réglementations

À l’occasion de l’événement, 11 armateurs européens ont annoncé leur candidature au label Green Marine Europe, initiative lancée par l’ONG Surfrider Europe, qui les engage à aller au-delà du cadre réglementaire sur plusieurs critères (bruit sous-marin, émissions atmosphériques, gaz à effet de serre, eaux de ballast, recyclage des navires, rejets en mer…).  

Louis Dreyfus Armateurs, CMA CGM, MSC Cruise, Stena, TOWT, Compagnie Maritime DMO, Compagnie Polynésienne de Transport Maritime /Aranui Cruises, Express des Iles, Iliens, Plastic Odyssey et SPM Ferries ont ainsi rejoint celles qui y avaient déjà adhéré : Brittany Ferries, Compagnie Maritime Nantaise, Compagnie maritime Penn Ar Bed, Corsica linea, Genavir-Ifremer, La Méridionale, Orange Marine, Ponant, Socatra et Sogestran. 

18 ports pour la fourniture de l’électricité à quai

Sur le plan portuaire, 18 ports – Brême, Hambourg, Anvers-Zeebrugge, North sea Ports, Ostende, Amsterdam, Rotterdam, Göteborg, Malmö, Montréal, Busan, Copenhague, Osaka, Kobe, Yokohama, Tokyo, Tanger –, se sont engagés pour accélérer la fourniture d’électricité aux navires en escale à l’horizon 2028.

La plupart sont en Europe, où les émissions des navires à quai représentent 7 % des émissions totales de CO2 du transport maritime (en 2020). Ils y sont donc, quoi qu’il en soit, fermement invités par le paquet législatif européen Fit for 55

Dunkerque, le Havre et Marseille ne pourront pas louper l’échéance, a rappelé Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des Transports, dans un communiqué. Ils ont bénéficié pour cela de financements publics dans le cadre du plan France Relance (175 M€). « Ces fonds doivent leur permettre de proposer une offre d’électricité à quai à cette échéance ».

Brest aura aussi offert, sur le plan portuaire, quelques images : faire intervenir dans un même atelier les présidents des deux premiers ports français pour les conteneurs, Stéphane Raison (Haropa), et Hervé Martel (Marseille Fos), en présence (par visioconférence) de leurs homologues des deux principales portes d’entrée américaines pour les importations conteneurisées, Los Angeles (Gene Seroka) et Long Beach (Mario Cordero). Les premiers ne connaissent pas la congestion portuaire à l’origine du chaos de l’approvisionnement mondial. Les seconds croulent sous les boîtes tandis que les porte-conteneurs font la queue dans la baie de San Pedro, sans parvenir à écluser. Tout un symbole.

Création d’une zone SECA en Méditerranée

Une autre annonce a porté sur la création d’une zone à faibles émissions de soufre (SECA) sur toute la Méditerranée au 1er janvier 2025L’ensemble des pays méditerranéens et l’Union européenne, se sont mis d’accord sur ce point en décembre dernier lors de la Convention de Barcelone. La proposition a d’ailleurs été soumis à l’OMI le 4 février dernier afin d’être étudiée lors du 78e Comité pour la protection du milieu marin (MEPC78) prévu en juin 2022. 

La France, l’Espagne, l’Italie et Monaco demanderont également cet été à l’OMI la création d’une « zone maritime particulièrement vulnérable au regard de la forte présence de cétacés », afin de pouvoir y limiter la vitesse de navigation et réduire ainsi les collisions. Le projet sera soumis à l’organisation maritime internationale en décembre 2022. 

Des déclarations en aparté

À titre individuel, Ponant et CMA CGM ont fait part d’engagements à part. Elles auraient pu faire l’économie de quelques-unes, simplement parce que les réglementations l’y obligent ou parce que certaines sont déjà à l’œuvre. 

Reste la puissance des symboles

Pour son premier grand geste en tant que tête de pont du Conseil de l’Union européenne, la France s’est offert une formidable autopromotion géopolitique sur la scène internationale. En revêtant la parure d’une puissance maritime à l’avant-garde de la défense des océans négligés, parents pauvres des politiques climatiques et orphelins d’un cadre juridique international.  

« Droit au but », arrivera à placer dans son allocution finale le président de la république française et non moins fan de l’OM. « J’irais droit au but ». Emmanuel Macron aura même établi le plan du match. À moins que le poteau (du but) ne change en permanence. Ce qui en matière de diplomatie internationale n’est jamais exclu. 

Adeline Descamps

*Allemagne, la Barbade, Canada, Chine, Chypre, Colombie, Comores, Congo, Corée du Sud, Costa-Rica, Côte d’Ivoire, Croatie, Egypte, Espagne, États-Unis, France, Gabon, Ghana, Grèce, Inde, Irlande, Islande, Italie, Japon, Madagascar, Malte, Maroc, Mexique, Monaco, Namibie, Norvège, Palaos, Panama, Papouasie-Nouvelle Guinée, Portugal, Royaume-Uni, Sénégal, Seychelles, Tanzanie, Tonga, Tunisie. 

**La haute mer commence là où s’arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des États, à un maximum de 200 milles nautiques (370 km) des côtes. Elle représente plus de 60 % des océans et près de la moitié de la planète.

Les autres annonces plus générales  

■ Une coalition pour la Haute mer 

Les deux tiers de l’Océan, situés au-delà des juridictions nationales, soit 45 % de la surface de la planète, ne peuvent pas pour l’heure bénéficier d’aires marines protégées. Les 27 États membres de l’Union européenne et 16 pays tiers se sont fédérés à l’occasion du One Ocean Summit au sein d’une « Coalition de la Haute ambition pour un traité de la Haute mer » afin de peser, après des années de négociation sous l’égide de l’ONU, pour parvenir à conclure un traité destiné à sauvegarder la haute mer. « Nous sommes très proches de l’issue mais nous devons donner de l'impulsion pour le conclure cette année », a insisté la présidente de la Commission européenne, Ursula Von den Leyen. 

■ 30 nouveaux États pour protéger leurs territoires 

Avec les 30 nouveaux États s’engageant à protéger 30 % de leurs territoires en 2030, ils sont maintenant 84 à consolider la « Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples » lancée lors du One Planet Summit de janvier 2021.  
 

■ Stop aux subventions publiques à surpêche 

Plaidant pour la cohérence entre politiques commerciales et environnementales, Emmanuel Macron a appelé à bannir les subventions publiques à la surpêche et à la pêche illicite, non déclarée ou non réglementée. Soit près d’un cinquième des prises mondiales, selon le dossier de presse.

Le sujet est en débat à l'Organisation mondiale du commerce (OMC)… depuis deux décennies. Les subventions mondiales à la pêche sont estimées par le gendarme du commerce international entre 14 et 54 Md$ par an. Ngozi Okonjo-Iweala, qui a pris ses fonctions en mars dernier à la tête de l’OMC, en a fait une priorité.  
 

■ Les institutions financières vont allouer 4 Md€ à la réduction des pollutions plastiques 

Il est estimé que 9 Mt de plastiques sont déversées dans l’océan chaque année, dont 80 % proviennent des côtes et des fleuves. À l’occasion du sommet, la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) a rejoint la Clean Oceans Initiative (réduction des pollutions plastiques), lancée par la Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence Française de Développement (AFD), les banques de développement allemande KfW, italienne Cassa Depositi e Prestiti (CDP) et espagnole (ICO). 

Les membres de l’initiative ont décidé de doubler leur intervention afin de mettre à disposition 4 Md€ de financements d’ici la fin de 2025. En trois ans, la Clean Initiative aurait accordé 1,6 Md€ de financements long terme en faveur de projets tels que le traitement des eaux usées au Sri Lanka, en Chine, en Égypte et en Afrique du Sud, la gestion des déchets solides au Togo et au Sénégal ou encore la gestion des eaux pluviales et la protection contre les inondations au Bénin, au Maroc et en Équateur.  

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