Le climat économique mondial change rapidement avec une inflation aux courbes records qui ébranle la confiance des consommateurs et des investisseurs. La lutte contre les prix galopant à bride abattue devient l’urgence des banques centrales du monde entier relevant les taux d'intérêt dans l'espoir de refroidir la demande dans un contexte de perturbations continues de l'offre pour parvenir à un meilleur équilibre.
En France, pays qui a le goût de la polémique radicalisée, il n’y a pas que l’inflation qui est en surchauffe. BFM avait amorcé la journée avec son débat éruptif d’experts autour des questions existentielles de l’économie : faut-il taxer les superprofits de TotalEnergies et de CMA CGM ?
Ristournes et rabais
Dans la matinée, TotalEnergies annoncera une remise sur le litre de carburant rehaussée de 10 à 12 centimes d'euros pour les automobilistes faisant le plein dans les stations-service du groupe sur autoroute cet été (a priori 120). Dans la journée, CMA CGM enverra un communiqué pour annoncer sa contribution à « l’effort de modération des prix à la consommation pour les ménages français », vivement sollicité par le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
Entre temps, son locataire, Bruno Le Maire, est passé par Europe 1 puis a annoncé lors d'un point presse consacré au bilan de la présidence française du conseil de l'Union européenne (PFUE) sur les dossiers économiques et financiers que le gouvernement « fera les comptes » à la fin de l'année avec les entreprises, qui ont bénéficié de la forte inflation, pour vérifier qu'elles ont utilisé « une partie de leurs profits pour soulager le pouvoir d'achat des ménages ». « Le fardeau de l'inflation doit être partagé entre la puissance publique et les entreprises bénéficiaires du pic d'inflation », a-t-il insisté alors que le gouvernement finalise son projet de loi sur le pouvoir d'achat.
Baisse des taux de fret entre 10 et 20 % selon les destinations
Au moment où le budget rectificatif de l’État prévoit notamment une prolongation en août de la remise carburant de 18 centimes, instaurée au 1er avril, la proposition initiale de TotalEnergies – reconduire la remise de 10 centimes par litre appliquée entre le 14 février et le 15 mai dans ses 2 700 stations-services –, avait été jugée insuffisante par Bercy. Alors que l'armateur CMA CGM affine son « geste commercial » depuis des semaines, son annonce du 30 juin s’apparente à une réponse directe à Bercy, dont le moment était opportun pour une récupération à son avantage. C’est le jeu politique.
Concrètement, l’armateur marseillais va baisser ses tarifs de 500 € par conteneur de 40 pieds pour les biens de consommation importés via les ports français par ses clients de la grande distribution (14 enseignes concernées a priori) ainsi que pour la totalité des importations vers les territoires ultra-marins. Ces mesures entreront en vigueur au 1er août et pour une durée d’un an.
« Il est essentiel que cette mesure soit accompagnée par ces enseignes afin de maximiser l’impact et d’assurer la baisse effective des prix des produits de grande consommation. Cette baisse représente entre 10 et 20 % de réduction du taux de fret suivant les destinations », assure l’entreprise. « L’État pourra contrôler les prix à la consommation des produits [alimentaires, hygiène corporelle, nettoyage, petit équipement ménager] via le dispositif Bouclier Qualité/Prix (BQP) ».
Le groupe français rappelle en outre qu’il a gelé ses taux de fret dès le mois de mai pour les territoires français ultra-marins et en septembre 2021 sur l’ensemble de ses lignes maritimes. Une mesure dont les bénéfices ont été atténués par l’attrition de capacités.
Des bénéfices qui passent mal
Les « super profits » engrangés en temps de crise passent mal en France. Le groupe CMA CGM a terminé l’année 2021 sur un bénéfice avant impôts de 23 Md$ et un chiffre d’affaires de 56 Md$, dégageant un résultat net de 17,9 Md$. Entre janvier et mars de cette année, son chiffre d’affaires s’est élevé 18,2 Md$ et le résultat net part du groupe ressort à 7,2 Md$. CMA CGM a donc réalisé en trois mois 40 % du bénéfice net enregistré sur l’ensemble de l’année 2021 (17,9 Md$).
TotalEnergies a également publié des résultats en forte progression au premier trimestre, grâce à la hausse des prix du gaz et du pétrole et en dépit d'une provision de 4,1 milliards de dollars liée au projet Arctic LNG 2 en Russie. Au premier trimestre, le fournisseur d’énergies a dégagé un résultat net part du groupe de 4,9 Md$, tandis que le résultat net ajusté, indicateur phare du secteur qui retraite les stocks de pétrole et les participations financières, a progressé à 9 Md$. Le résultat opérationnel ajusté est ressorti à 9,46 Md$ et l'excédent brut d'exploitation (Ebitda) à 17,42 Md$, contre 8,17 Md$ un an plus tôt.
Des mesures de pouvoir d’achat aux bénéfices imposants
Lors du point presse sur le bilan de la PFUE, Bruno Le Maire a répété sa détermination pour faire adopter la réforme de la taxe sur les multinationales en Europe. « Cette taxation minimale sera mise en place dans les mois qui viennent, avec ou sans le consentement de la Hongrie », a-t-il affirmé. Viktor Orban oppose en effet son veto à une taxe minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales.
Quoi qu’il en soit, l’accord des pays du G7 signé le 5 juin 2021 à Londres sur l’introduction d’un taux d'impôt mondial de minimum de 15 % contrevient aux politiques fiscales appliquées au transport maritime et notamment, celles qui sous-tendent les systèmes de taxation au tonnage.
Dans le transport maritime, selon les pays, les entreprises peuvent bénéficier de régimes spécifiques au titre de leurs activités maritimes, telle la taxation au tonnage ou des systèmes similaires. Dans ce cas, elles peuvent choisir d’être taxées sur le tonnage net (montant fixe calculé en fonction du tonnage net mondial exploité ou EVP déployé) plutôt que sur leurs résultats d'exploitation réels. Les années en fond de cale, elles peuvent avoir à payer des impôts quand bien même elles ont enregistré des pertes. Mais les années fastes, comme en 2021, les impôts sont au plancher même si les bénéfices atteignent des sommets.
Quant à TotalEnergies, il enregistre l’essentiel de ses gains à l’international. En 2021, selon les analystes financiers, le groupe français avait reporté un résultat fiscal déficitaire si bien qu’il n’avait pas acquitté d’impôt sur les sociétés dans l’Hexagone.
Adeline Descamps