Maersk : Søren Skou passe la barre à Vincent Clerc

Après quatre décennies dans l’entreprise, Søren Skou passera la barre à la fin de cette année à Vincent Clerc, qui pilote depuis 2019 les activités de transport maritime. Départ à la retraite pour l’artisan de la métamorphose du groupe AP Møller Maersk avec la cession des activités pétrolières et le recentrage sur le transport maritime et la logistique, architecte de la flotte au méthanol et gardien de l’austérité budgétaire...Vincent Clerc récupère une entreprise avec un matelas de liquidités mais dans un marché qui s’est retourné.

Fin d’une époque chez Maersk pour un passage-relais en filiation. Après près de sept ans à la tête du groupe A.P Møller Maersk, onze ans en tant que PDG de Maersk Tankers et quatre décennies dans l’entreprise où il a commencé comme stagiaire en 1983, Søren Skou passera la barre à la fin de cette année à Vincent Clerc, qui pilote depuis 2019 les activités de transport maritime (division Ocean) et que le PDG avait lui-même dirigé (activité conteneurs de Maersk Line) de 2012 à 2016.

Sous sa présidence, l’armateur danois de porte-conteneurs a longtemps été le leader mondial de la ligne régulière avant de céder sa place à MSC en début d’année 2022. Mais avant tout, Søren Skou aura été l’artisan de la transformation d'un groupe aux actifs diversifiés vers un pôle recentré sur le transport maritime et la logistique en vue de créer un « géant de la logistique maritime intégrée », selon ses termes prononcés en 2019, et ainsi s’affranchir des cycles inhérents au transport maritime de ligne alternant baisse et hausse des volumes et des taux de fret.

Le groupe danois s’est en effet délesté des actifs pétroliers après avoir vendu en 2018 Maersk Oil à Total pour 7,45 Md$ (6,4 Md€) tandis que Maersk Drilling et Maersk Tankers ont été cédés à la holding de la famille Maersk, principal actionnaire de Maersk. Il a ensuite restructuré l’organisation en agrégeant les activités des terminaux portuaires et de la ligne régulière au sein d’une même entité (Ocean).

Devenir un fournisseur de services logistiques de bout en bout

Depuis 2019, dans le cadre de cette transformation à grande échelle, l’armateur de porte-conteneurs danois a multiplié les acquisitions dans les activités logistiques, totalisant à ce stade quelque 6 Md$ d’investissement, afin d'acquérir, à terre, des actifs dans le domaine de l’entreposage et de la distribution (Performance Team), de la gestion sous douane (KGH Customs Services), dans la distribution BtoB et BtoC pour le commerce de détail, de gros et l’e-commerce (LF Logistics), du traitement de commandes pour l’e-commerce (Visible SCM, B2C Europe, Huub), de la mode et du lifestyle (ICL), de la livraison du premier et dernier kilomètre, en particulier pour les articles volumineux et encombrants (Pilot Freight Services) et de la logistique de projet pour gérer du fret spécial et hors gabarit (Martin Bencher Group rachetée en août)

Dans la logistique aérienne, le groupe danois a mis la main sur le transitaire allemand Senator International pour 644 M$. 

Pour les trois premiers trimestres de 2022, le chiffre d'affaires des activités logistiques a atteint 10,6 Md$, et le résultat d'exploitation, 675 M$. Le segment a réalisé une croissance organique des revenus de 32 % avec une marge Ebit de 6,4 %. 

Horizon, le ciel

Sous sa direction a également été créée Maersk Air Cargo a été créée, héritée de son historique compagnie Star Air. En attendant la commande de deux B777F neufs, qui seront livrés en 2024, trois B767-300F ont été affrtés auprès de Cargo Aircraft Management et opérée à partir de Billund, au Danemark.

Le premier vol direct entre la Chine et les États-Unis est prévu ce mois-ci après le lancement fin octobre de plusieurs vols hebdomadaires en octobre et novembre entre l’Asie et les États-Unis via Incheon, en Corée du Sud. Maersk vise notamment, côté Atlantique, la desserte du Midwest américain et les bassins de consommation de Charlotte, Atlanta et Dallas, et en Asie, les centres manufacturiers de Dalian et Tianjin et les hauts-lieux chinois et coréens de la high-tech. 

Vincent Clerc, patron de la division Ocean depuis 2019. ©Maersk

L’orchestre des choix de décarbonation

Sur le plan maritime, c’est lui aussi qui a géré l’intégration de la compagnie hambourgeoise Hamburg Süd en 2018. Il est aussi le maître d’œuvre d’une nouvelle organisation dans les différentes marques (Maersk, Safmarine, MCC, Seago, Sealand, Hamburg Süd et Aliança) qui a permis de rationaliser les capacités quand les taux de fret étaient au plus bas.  

Surtout, il restera l’ordonnateur des choix du groupe pour décarboner sa flotte, en prenant le parti (un pari) de la rupture radicale avec le méthanol alors que la disponibilité du carburant marin et l’infrastructure d’avitaillement sont à construire. Et ce, sans attendre qu’un mécanisme-relais puisse compenser le différentiel de compétitivité entre les énergies fossiles et les alternatives vertes. Charge désormais à l’Histoire de ratifier.

En octobre, l’armateur danois a confirmé avoir confié à Hyundai Heavy Industries (HHI) la construction de six navires supplémentaires de 17 000 EVP bicarburant avec le méthanol, portant l’ensemble à dix-neuf et à vingt-cinq si l’armateur exerce ses six options. Lorsqu’ils seront livrés, tous d’ici 2025, les porte-conteneurs, sous pavillon danois, remplaceront du tonnage ancien. « Ils permettront de réduire les émissions annuelles de CO2 de la flotte d'environ 2,3 Mt par an », assure le CEO, qui a fixé pour son entreprise un objectif de zéro émission nette pour 2040, anticipant de 10 ans les exigences (bien moindres) de l’OMI.

Parallèlement, sous sa direction, l’armateur s’est employé à « bétonner » son avitaillement avec des contrats d’achat long terme. Il a ainsi signé en novembre son huitième accord en vue de produire du méthanol vert aux États-Unis, en partenariat avec la société américaine Carbon Sink, peu de temps après avoir annoncé un vaste projet de 10 Md€ avec le gouvernement espagnol destiné à développer la production de méthanol vert en Espagne. S’il se concrétise, il permettrait de produire jusqu'à 2 Mt par an.

Pape de l’austérité pour verser plus de dividendes

En revanche, il a été le pape de l’austérité budgétaire pour mieux rémunérer ses actionnaires. Le carnet de commandes de Maersk (31 navires, 374 013 EVP) est l’un des plus ténus du secteur si bien que le leader mondial a perdu son titre en janvier 2022 au profit de MSCmaintenant sa capacité à 4,3 MEVP quand ses pairs, et en particulier le transporteur suisse, se sont jetés dans des achats compulsifs.

« Au cours de son mandat, Soren a joué un rôle déterminant dans la redéfinition de Maersk en un fournisseur de logistique de bout en bout centré sur le client et occupant une position de leader mondial dans les solutions de transport durable », a reconnu Robert Uggla, le président du conseil d'administration depuis février.  

« Alors que les perspectives s’annoncent de plus en plus difficiles, le conseil d'administration estime que Vincent [Clerc] possède l'expérience et les capacités nécessaires pour poursuivre et superviser le développement stratégique et organisationnel de Maersk dans les années à venir », mentionne dans le communiqué l’arrière-petit-fils du fondateur de la société.

Crise de management 

Le suisse Vincent Clerc avait été nommé en 2019 à la tête de la division Ocean and Logisticsen même temps que Henriette Hallberg Thygesen (ex-patronne de Svitzer) à la direction de Towage et Manufacturing (services portuaires), après les départs successifs du directeur général adjoint, du directeur d’exploitation Søren Toft, nommé depuis à la tête de la ligne conteneurisée de l’italo-suisse MSC et de la directrice financière Carolina Dybeck Happe. Pour remanier son management, Søren Skou avait choisi de confier des postes clés à des profils maison.

Directeur commercial de 2015 à 2019 et président de la filiale logistique Damco avec la mission de déployer des solutions sans couture aux clients (transport de porte-à-porte), Vincent Clerc est entré chez Maersk début 2012.

« Après une pandémie, et maintenant avec la guerre en Ukraine et une crise de l'énergie, de nombreux défis nous attendent, qui nous concernent tous et pour lesquels Maersk peut faire la différence. Les entreprises repensent leurs chaînes d'approvisionnement dans ce nouvel environnement, elles recherchent plus de stabilité et plus de soutien dans leur démarche de décarbonation. Cela représente pour Maersk une incroyable opportunité commerciale », a fait valoir l’intéressé dans le communiqué.

Une transition à gérer

Vincent Clerc prend les rênes d’une entreprise qui a enregistré, entre juillet et septembre, son seizième exercice trimestriel de croissance de ses bénéfices. Sur les neuf premiers mois de l’année, le chiffre d'affaires a augmenté de 37 % (+ 6,2 Md$, à période comparable) par rapport au troisième trimestre 2021 pour atteindre 22,76 Md$. Le résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement s’est établi à 10,9 Md$ (+ 4 Md$) et le bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts (excédent brut d'exploitation) à 9,5 Md$ (+ 3,6 Md$). Le résultat net ressort à 8,9 Md$ pour le troisième trimestre et à 24,2 Md$ sur neuf mois.

En 2021, le chiffre d’affaires avait augmenté de 55 % pour atteindre 61,78 Md$ et le résultat net avait été multiplié par six, à 18,03 Md$.

Fin d’une époque avec des taux de fret alliés

Cette divine époque touche à sa fin. Les taux de fret spot se sont effondrés bien que Maersk ait changé sa politique commerciale d’épaule en faisant le choix de placer une grande partie de ses capacités (71 %) dans des contrats de long terme, ce qui le rend plus résilient face au retournement de conjoncture. Si le groupe restera dans la sphère des milliards, son Ebit est anticipé en repli de 45 % pour les trois derniers mois de l’année par rapport à son précédent exercice trimestriel, estimé à 5,2 Md$.

Vincent Clerc doit désormais constituer sa propre équipe de direction et pourvoir au poste qu’il va quitter. Avec peut-être un changement de quelques lignes dans la stratégie de ce groupe qui a absorbé 30 000 personnes au cours des deux dernières années et en compte actuellement plus de 100 000 dans 130 pays.

Adeline Descamps

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