Maersk et la problématique de ses huit grands porte-conteneurs au méthanol

Après avoir annoncé la commande d’un feeder au méthanol en juillet, le leader danois du transport maritime de conteneurs n’attend pas la preuve du concept et enclenche la vitesse supérieure avec ce nouvel engagement portant sur des navires de grande taille. 360 000 t de carburant seraient nécessaires. Or, le méthanol, qui n’est pas extrait de terre, est couteux à produire.

C’est ce qui s’appelle un grand bond en avant. Le 1er juillet, le leader de la ligne conteneurisée annonçait avoir passé commande de son premier porte-conteneurs au méthanol auprès du chantier naval sud-coréen Hyundai Mipo. Un feeder de 2 100 EVP à double motorisation lui permettant de naviguer avec du méthanol ou du carburant conventionnel à très faible teneur en soufre (0,1 % de soufre). La date de livraison n’avait pas été précisée mais Maersk a toujours indiqué que les premiers navires neutres en carbone* de sa flotte seraient mis en service à partir de 2023. Soit sept ans avant 2030, première date clé fixée par l’OMI pour réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par la flotte mondiale. 

Le feeder devait lui permettre « d'acquérir une expérience précieuse dans l'exploitation des porte-conteneurs du futur », avait commenté Henriette Hallberg Thygesen, qui dirige la flotte cher A.P. Møller - Maersk. Une sorte de POC (prove of concept) envoyant de surcroît un signal au marché pour accélérer les développements autour du méthanol, en well-to-wake (du puits à la pompe), et ainsi faire baisser les coûts de production grâce à une mise à l'échelle rapide de la chaîne d’approvisionnement. 

Investissement supplémentaire de l’ordre de 10 à 15 %

Deux mois à peine après ces déclarations tout en prudence et alors qu’il annonçait encore début août à l’occasion de la présentation de ses résultats semestriels s’en tenir à une certaine retenue financière dans la commande de navires pour se concentrer sur sa stratégie d’intégration verticale (logistique), il redéfile son histoire.  

Maersk annonce la commande de huit navires de 16 000 EVP à double motorisation avec du méthanol vert (le processus de fabrication utilise des énergies renouvelables, sans cela, il reste un carburant hydrocarboné) et du fuel à faible teneur en soufre (< à 0,5 % de soufre). L’armateur précise qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un « renouvellement de flotte » portant sur plus de 150 000 EVP d’ici le premier trimestre 2024 et de son objectif de decarbonation.

Les navires seront construits par Hyundai Heavy Industries (HHI). L'accord comprend en outre une option pour quatre unités supplémentaires en 2025. L’investissement est estimé à près d’1,5 Md€. Cette formule dual fuel alourdit la facture de l’ordre de 10 à 15 %, précise-t-il.

Ces nouveaux navires devraient permettre de réduire l’empreinte carbone de Maersk à hauteur d’1 Mt de CO2. Selon le leader mondial dans le transport maritime de conteneurs, plus de la moitié de ses 200 plus gros clients – parmi lesquels Amazon, Disney, H&M Group, HP Inc, Levi Strauss & Co, Microsoft, Novo Nordisk, The Procter and Gamble PUMA, Schneider Electric, Signify, Syngenta et Unilever – ont ou sont en train de fixer des objectifs ambitieux en matière de décarbonation. 

Suggère-t-il ainsi qu’il pourrait négocier une « prime de fret zéro carbone » de façon à partager le coût du nouveau carburant vert avec les chargeurs ? Le méthanol vert reste coûteux à produire (à la différence d’autres énergies, il n’est pas extrait de terre, il doit être fabriqué). Selon Maersk, il pourrait coûter autant que le  et il faudrait deux tonnes de méthanol pour avoir l’équivalent d'une tonne de HFO (fuel à 3,5 % de teneur en soufre), ce qui étabit un coût réel à 2 000 $ la tonne. 

200 clients en demandent

« Cette commande prouve que des solutions neutres en carbone sont disponibles aujourd'hui sur tous les segments de porte-conteneurs et l’engagement de Maersk auprès du nombre croissant de [ses] clients qui cherchent à décarboner leurs chaînes d'approvisionnement », indique Søren Skou, PDG de A.P. Møller – Maersk. Tout en soignant son profil auprès des médias en vendant l’idée que son entreprise prend tous les risques alors que l'offre en technologies maritimes vertes est limitée, le dirigeant presse aussi les fournisseurs de combustibles de soute d’allonger le pas.

« L'approvisionnement d'une quantité adéquate de méthanol neutre en carbone dès le premier jour de service sera un défi, car il nécessite une augmentation significative de la production de méthanol neutre en carbone, pour laquelle Maersk continue de s'engager dans des partenariats et des collaborations avec les acteurs concernés ». Il y a quelques jours, l’armateur indiquait avoir identifé ses fournisseurs en méthanol vert pour son feeder (cf. plus bas).

L’avitaillement en méthanol vert est en effet un point critique. Pour propulser ses nouveaux huit porte-conteneurs, 360 000 t de méthanol vert seraient nécessaires. Selon un rapport récent de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables et du Methanol Institute, environ 98 Mt de méthanol sont produites chaque année, dont la production et la combustion génèrent 300 Mt de CO2. Moins de 200 000 t sont du méthanol vert, la plupart étant du bio-méthanol.

Sous pavillon danois

Pour ce projet, Maersk s’est appuyé sur le motoriste allemand MAN. Ce dernier avait annoncé le 28 juillet avoir « remporté la commande pour la fourniture du premier moteur bicarburant au monde fonctionnant au méthanol dans le segment des conteneurs » avec son B&W 6G50ME-LGIM (Liquid Gas Injection Methanol). Il s’agissait alors de motoriser le feeder. Il va donc accompagner cette série.

Le nouveau moteur est basé sur la série ME de l'entreprise (5 000 moteurs en service). Selon le motoriste, les tests effectués sur le moteur, lorsqu'il fonctionne au méthanol, « ont enregistré un rendement identique ou légèrement supérieur à celui des moteurs conventionnels fonctionnant au HFO [fuel lourd, NDLR] ».

Les navires seront classés par l'American Bureau of Shipping (ABS) et navigueront sous pavillon danois. 

Militant en faveur d’une taxe carbone

Le méthanol n’est pas le seul carburant auquel Maersk s’intéresse. L'ammoniac et les biocarburants retiennent aussi son attention. Pour ces derniers, ses intérêts se portent plus précisément sur l’utilisation de la biomasse lignocellulosique et notamment, la valorisation de la lignine. 

En revanche, contrairement à Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, Søren Skou est un grand détracteur du GNL, condamnant publiquement son empreinte environnementale et stigmatisant notamment ses fuites de méthane.  

Le dirigeant fait également partie des militants de la première heure d’une taxe carbone sur les énergies fossiles. Il considère que tant que les combustibles conventionnels seront nettement moins chers, ils décourageront les alternatives plus sobres. Raison pour laquelle il défend fermement des mesures basées sur le marché, autrement un cadre fiscal ou réglementaire incitatif envers les alternatives à privilégier ou dissuasif à l’égard de ce qui est à proscrire. Afin de combler l'écart de coût, Soren Skou proposait de payer 50 $ par tonne d'émissions d'équivalent CO2 d'ici 2025, ce qui correspondrait à une taxe carbone de 150 $ par tonne de combustible de soute au prix fixé à 400-500 $ (HFO/VLSFO).  

7 Md$ d’investissements dans les deux ans

Maersk, dont la capacité conteneurisée actuelle est de 4,22 MEVP soit 17 % de parts de marché mondial, a un peu plus de 46 000 EVP actuellement en commande. Et il a toujours soutenu jusqu’à présent que cette capacité de flotte lui convenait.  

Le groupe AP Møller-Maersk a fait le choix stratégique de se concentrer sur l’intégration progressive entre le fret maritime (Maersk) et la logistique (Damco) en vue d’offrir un transport de porte-à-porte. Mais c’est toujours de sa division Ocean (transport maritime) que Maersk tire la majeure partie de son chiffre d’affaires (78 %), de la croissance de ses revenus et de ses bénéfices.

Durant le premier semestre, le chiffre d’affaires global du groupe s’est élevé à 26,7 Md$ et l'Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement). L’Ebit (bénéfice d'exploitation avant intérêts et impôts, ajusté des coûts de restructuration et d'intégration) à 9,1 Md$.

Les dépenses d'investissement pour les nouveaux navires ne viennent pas grever celles qui sont actuellement prévues pour 2021et 2022, fixées à 7 Md$.  

Adeline Descamps

*Un carburant neutre en carbone signifie que, tout au long de son cycle de vie, il émettra la même quantité de CO2 qu'il absorbera.

Maersk s’assure l’approvisionnement en méthanol de son premier navire

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