La coercition économique et la « militarisation de la haute mer » au menu du G7

Actions contre les navires aux pratiques occultes dans la contrebande de pétrole. Nouvelles sanctions contre des entités maritimes et énergétiques liées à la Russie. Surveillance militaire accrue dans le détroit d'Ormuz et le golfe d'Oman. Mise en garde de la Chine dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Le transport maritime plus que jamais sous le feu croisé de la géopolitique.

« Les menaces qui pèsent sur les chaînes d'approvisionnement mondiales, la militarisation des mers et l'érosion des normes mondiales telles que la liberté de navigation sont plus réelles que ce que nombre de nos concitoyens britanniques peuvent imaginer dans nos eaux européennes calmes », a placé Anne-Marie Trevelyan, la ministre britannique chargée de l'Indo-Pacifique, en ouverture de la conférence annuelle du First Sea Lord qui avait pour thème la sécurité maritime à laquelle participait notamment l'amiral français Vandier.

Au cœur de son propos, la région indo-pacifique mais aussi « les défis maritimes que la crise ukrainienne a engendrés ». « Lorsque les actions russes bafouent la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, cela fournit à la Chine une excuse pour ignorer les normes internationales, pour ignorer le système international fondé sur des règles à son profit, menaçant ainsi l'option d'un indo-pacifique libre et ouvert pour tous. »

Raid diplomatique surprise de l'Ukraine

De militarisation des mers et de coercition économique, de l’Ukraine, du détroit de Taïwan, de la mer Méridionale..., il n’a été question que de cela ces derniers jours. À commencer par le G7 à Hiroshima, au Japon, qui n’est plus le G8 depuis le désaveu de la Russie, où les chefs d’État et de gouvernement des sept économies les plus développées (Canada, France, États-Unis, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni) avaient rendez-vous du 19 au 21 mai pour leur sommet annuel. En discussion : accroître la pression sur la Russie par des contraintes supplémentaires afin de saper toutes sources de revenus du pays.

À cette occasion, Volodymyr Zelensky a mené un raid diplomatique surprise pour rallier à sa cause un maximum de pays mais qui a semblé n’avoir qu’un seul motif : convaincre/contraindre le Premier ministre indien Narendra Modi. Non seulement, l'Inde n'a jamais condamné l'invasion russe mais elle lui achète son pétrole (à un prix décoté, en moyenne de 44 $ le baril) au point d’être devenir le premier pays importateur du brut russe.

Moscou n'a pas tardé à réagir, sur le ton comminatoire, tant à l’annonce faite en amont du G7 d’une prochaine livraison de F-16 par les pays occidentaux qu'à celle portant sur l’apport à l’Ukraine de munitions, matériels militaires et chars blindés par les États-Unis.

Adhérer au « scénario de l'escalade » comporte des « risques énormes » pour ceux qui s'y prêtent, a signifié le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Alexandre Grouchko, cité par l’agence russe TASS (en russe).

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Pékin invité à faire pression sur la Russie

Dans le même temps, les dirigeants du G7 ont appelé Pékin, qui tient ferme une position de neutralité dans ce conflit tout en étant un allié décomplexé de Moscou en important charbon et pétrole, à « faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son agression » contre l'Ukraine, et « retire immédiatement, totalement et sans conditions ses troupes ».

Le pays de Xi Jinping a exprimé en retour un « vif mécontentement » mais en réaction à la publication par le G7 d'un communiqué qui, sans la nommer expressément, fait état de plusieurs préoccupations, notamment quant à la stabilité de part et d’autre du détroit de Taïwan et de la situation en mer de Chine méridionale, où Pékin déploie une stratégie maritime méthodique d’expansion territoriale.

« Le G7 s’obstine à manipuler les questions liées à la Chine, à discréditer et à attaquer la Chine », a indiqué dans un communiqué un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, reprochant notamment aux pays du G7 de ne pas manifester d’opposition claire au mouvement indépendantiste taïwanais. « Le G7 claironne qu’il entend aller vers un monde pacifique, stable et prospère. Mais, dans les faits, il entrave la paix dans le monde, nuit à la stabilité régionale et inhibe le développement d’autres pays ».

Renforcer les chaînes d'approvisionnement

Dans le communiqué final du G7 portant sur « la sécurité économique », les chefs d’État se sont mis d’accord sur un ensemble de mesures visant à « renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement » (qui dépendent lourdement de la Chine).

Par ces mesures, non détaillées, les dirigeants entendent contrôler « de manière appropriée » les « technologies sensibles essentielles pour la sécurité nationale ». « Les dirigeants du G7 veulent éviter que les exportations technologiques vers la Chine ne portent atteinte à leur sécurité nationale », avait décodé en amont un haut fonctionnaire américain.

Ces dispositions font écho aux demandes de Washington qui, partisan de la fermeté à l’égard de la Chine, veulent restreindre l'accès de la Chine aux « outils avancés de fabrication de semi-conducteurs », en invoquant des préoccupations de sécurité nationale.

Action contre les navires aux pratiques occultes

Dans le même temps, les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays réclament une surveillance accrue pour lutter contre la pratique en plein essor des transferts d'hydrocarbures non réglementés en mer via des transferts de navire en navire (STS).

« Ils sapent l'ordre international fondé sur des règles et augmentent le risque de pollution pour les États côtiers voisins. Cela menace les efforts déployés au niveau mondial pour prévenir la pollution causée par les navires », indique le document soumis à l'Organisation maritime internationale (OMI), dans la perspective du MEPC 80, le Comité de protection du milieu marin, qui se tiendra en juillet.

Cette proposition a également été soutenue par l'Australie, le Canada, l'Espagne et l'Ukraine. « Ces pratiques risquées, bien qu'elles relèvent de la juridiction d'un État du pavillon, exposent injustement les autorités et les gouvernements nationaux et locaux à payer les coûts d'intervention et de nettoyage et à indemniser les victimes », peut-on encore lire.

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Lutte contre la contrebande de pétrole

La flotte dite fantôme, opérant dans un cadre opaque et exerçant un commerce parallèle de pétrole, n’est pas née avec la répression internationale russe. Elle prospère à l’ombre des embargos maritimes frappant certains pays à l’instar de l’Iran et du Venezuela. Les tactiques utilisées sont connues. Elles consistent à désactiver les transpondeurs de suivi des navires (AIS) de façon à brouiller leur localisation pour opérer en STS.

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Un bataillon de 400 à 600 navires

Cette flotte a connu un véritable essor depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, notamment en mer d'Alboran, nouvelle plaque tournante pour la contrebande de pétrole à la jonction de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, reliés par le Détroit de Gibraltar. Tant et si bien que l'Espagne a durci ses règles de navigation.

Ce bataillon de navires, qui opère en dehors des cercles occidentaux de l'assurance, de la finance et des services maritimes, serait au nombre de 600 navires, dont 400 transporteurs de brut. Si ces données étaient avérées, cela signifierait que 10 % des navires de transport de brut et 7 % des pétroliers de produits raffinés sont employés à des fins clandestines.

L’affaire inquiète d’autant plus que l'assureur West a récemment indiqué qu'il accepterait de couvrir les opérations STS effectuées par des navires sous réserve de certaines dispositions.

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Surveillance militaire accrue dans le détroit d'Ormuz

La militarisation s’exprime aussi autour du détroit d’Ormuz dans le golfe Persique où l'Iran a saisi plusieurs navires marchands depuis la fin du mois d'avril. La surveillance accrue du détroit d'Ormuz sera assurée par le Consortium international de sécurité maritime (IMSC) et par l'European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz (EMASoH)**, groupement de huit pays, tous deux ayant été créés en 2019 à la suite d'une recrudescence « des activités maritimes déstabilisatrices de l'Iran dans la région ». Selon l'administration américaine, « les 15 navires que l'Iran a harcelés [huit saisies et sept attaques, NDLR] au cours des dernières années » en témoignent.

L'IMSC veille aussi à la sécurité dans le détroit de Bab Al Mandab qui mène du golfe d'Aden à la mer Rouge. « Nous allons prendre une série de mesures pour renforcer notre position défensive dans le golfe Persique », a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, à la presse. « La saisie et le harcèlement injustifiés, irresponsables et illégaux de navires marchands par l'Iran doivent cesser », a indiqué de son côté le commandement de la 5e flotte américaine dans un communiqué publié après l'annonce de la Maison Blanche.

Les commandants des marines américaine, britannique et française basés au Moyen-Orient ont traversé le détroit d'Ormuz le 22 mai à bord d'un navire de guerre américain, voulu comme un signe d'une approche unifiée pour assurer une libre et sécure navigation.

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Alerte à la navigation dans les eaux du golfe d'Oman

Dans une de ses récentes saisies, l'Iran avait indiqué avoir agi en représailles à l'arraisonnement par les États-Unis du Suez Rajan, ce dernier suspecté de transporter du brut iranien sanctionné. Ces dernières semaines les tensions ont redoublé dans la région par lequel transitent 30 % du pétrole maritime mondial.

Les forces marines des Gardiens de la révolution islamique ont arraisonné le 27 avril le suezmax Advantage Sweet battant pavillon des Îles Marshall dans le golfe d'Oman, puis le 3 mai, le VLCC Niovi, battant pavillon panaméen. Mais ce dernier semble davantage en lien avec un différend commercial.

Nouvelles sanctions américaines

Alors que l'UE finalise son 11e train de sanctions, les États-Unis ont annoncé, le 19 mai, avoir placé sur liste noire « plus de 300 personnalités, entreprises, navires et avions, à travers l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie ». Les exportations américaines vers 70 entités en Russie et dans d'autres pays sont par ailleurs proscrites. Une petite vingtaine d'entités énergétiques et maritimes allongent la liste des bannis, y compris dans la construction navale, la recherche et l'exploration énergétique dans l'Arctique russe. Le géant russe de l’énergie nucléaire Rosatom y figure.

Washington a également sanctionné la compagnie maritime Khazar Sea Shipping Lines (groupe Irisl, la plus grande compagnie du pays), en raison de ses « liens de plus en plus étroits entre la Russie et l'Iran ».

L'Iran et la Russie lancent un corridor ferroviaire

Faut-il voir une manifestation concrète de cette formule facile à l'emploi dans la signature, la semaine dernière, d'un nouvel accord entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue iranien Ebrahim Raisi ? Les deux chefs d'État se sont engagés à financer (1,6 Md$) la construction du dernier tronçon d'une ligne de chemin de fer (Rasht-Astara) et maillon d'un projet plus vaste de corridor de transport Nord-Sud consistant à relier l'Inde, l'Iran, la Russie, l'Azerbaïdjan et d'autres pays par voie ferroviaire et maritime. Un itinéraire bis qui, selon la Russie, pourrait rivaliser avec le canal de Suez.

Ce projet est à l'étude et en cours de développement depuis 2000, retardé à plusieurs reprises faute de financement, l'Iran en proie aux sanctions peine à apporter sa contribution.

Associé à une liaison maritime traversant la Caspienne entre l'Iran et la Volga, le corridor ferroviaire offre une nouvelle voie pour échapper aux sanctions occidentales sur les échanges russes.

L'Iran est l'un des principaux soutiens de la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine, en fournissant notamment des drones utilisées pour cibler les infrastructures civiles sans parler des sociétés écrans qui permettent à la Russie de dissimuler certains commerces.

Adeline Descamps

*Albanie, Bahreïn, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Arabie saoudite, Seychelles, Émirats arabes unis, Royaume-Uni et États-Unis

**Belgique, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas et Portugal

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