CMA CGM, acteur au coeur d'un paysage portuaire américain en pleine recomposition

Article réservé aux abonnés

Crédit photo CMA CGM
CMA CGM a annoncé fin août avoir finalisé l'opération de rachat de deux terminaux à conteneurs du port de New York New Jersey. En moins de deux ans, le groupe français se sera ancré aux deux points d'entrée pour les importations conteneurisées américaines. Entre temps, les lignes de force portuaires ont bien changé, les chargeurs américains ayant revu leur supply chain.
 

Dix mois après avoir annoncé la signature d’un accord avec Global Container Terminals pour lui reprendre deux des six terminaux de New York/New Jersey (Staten Island dans l’État de New York et Bayonne dans le New Jersey), la direction de CMA CGM a annoncé le 31 août la finalisation la transaction ayant reçu le feu vert réglementaire.

L’opération fait du troisième armateur mondial de porte-conteneurs l’opérateur de sept terminaux aux États-Unis*. Il est aussi le deuxième transporteur maritime européen après Maersk (via APM Terminals) à s’introduire sur les quais du principal port de la côte est-américaine, actuel premier port du continent pour les importations conteneurisées.

Objectif capacités

Lors de l’annonce en décembre, CMA CGM, toujours économe quand il s’agit du domaine privé des affaires, n’avait pas communiqué sur le montant de l’opération (le vendeur avait indiqué de son côté ses prétentions à 3 Md$) mais avait en revanche fait part de ses ambitions : « augmenter de 80 % la capacité des deux installations au cours des années à venir ».

Le GCT Bayonne (capacité annuelle de 1,7 MEVP) est idéalement placé près de l’entrée du port, ce qui réduit les temps de transit. Avec son tirant d’eau de 15,2 m, il est dimensionné pour accueillir des navires plus grands que la moyenne à New York, mais limité à 14 000 EVP. Il est aussi le seul de la région à disposer un parc à conteneurs entièrement automatisé. ONE, Yang Ming, HMM et Hapag-Lloyd figurent parmi ses clients.

Le GCT New York (le seul qui ne se trouve pas dans l’État du New Jersey) accueille principalement des porte-conteneurs de 4 000 à 9 000 EVP. Sa capacité annuelle est estimée à 0,6 MEVP par Alphaliner. Il est fréquemment utilisé par MSC et, dans une moindre mesure, par Wan Hai.

Cap sur l'hinterland

Le plan de développement « créera environ 240 emplois directs et plus de 700 emplois dans le secteur de la construction au cours des sept prochaines années », assure le groupe de transport maritime.

CMA CGM prévoit de doubler la capacité de Bayonne d’ici 2030 de sorte qu’il puisse traiter des porte-conteneurs de 18 000 EVP, une fois le tirant d’eau du poste à quai 3 porté à 16,7 m. Lord de l'annonce du rachat, il était question de 22 000 EVP à horizon 2030.

Dans son communiqué, le groupe mentionne principalement des investissements pour améliorer la fluidité des opérations dans les deux terminaux, notamment en augmentant la capacité d’entreposage et d’accostage et en améliorant l’accès direct aux principales autoroutes et aux voies ferrées vers et depuis les terminaux.

Aux deux entrées critiques du continent nord-américain

Grâce à ce nouvel ancrage sur le marché américain, CMA CGM est implanté aux deux entrées critiques pour le fret conteneurisé sur le marché américain, à l’Est à l’Ouest où il est devenu le maître absolu du terminal Fenix Marine Services (FMS) à Los Angeles, après avoir racheté les 90 % au fonds d’investissement EQT Infrastructure.

.Avec Elizabeth-Port voisin, au sud, New York/New Jersey représente jusqu'à 80 % du fret par conteneurs entrant par la côte Est. FMS opère l’un des plus grands terminaux en eaux profondes du port californien avec 2,5 MEVP sur un total de 9,2 MEVP.

Le navire de charges lourdes Zhen Hua 23 de ZPMC y a livré, durant l’été, les deux dernières des quatre grues à quai ship-to-shore (STS). Les deux premières unités, d’une capacité de charge de 65 t (portée de 72,5 m, hauteur de levage de 52 m), avaient été livrées en avril. Elles portent à douze le nombre de STS en mesure de traiter des 23 000 EVP.

Le linéaire de quai, d'une longueur actuelle de 1 215 m, sera porté à 1 600 m. FMS traite presque exclusivement des navires du groupe CMA CGM. Le plus important service, qui y fait escale est le AWE3/PSW3, assuré par 22 navires de 10 000 à 16 000 EVP.

Ancrage outre-Atlantique

L’entreprise française est implantée sur le continent nord-américain depuis la fin des années 80. Elle a établi son siège en 2005 à Norfolk, en Virginie. Mais elle a surtout amélioré ses positions transpacifiques avec l’acquisition de la compagnie américaine APL, qui faisait partie de la corbeille du groupe singapourien Nol, dont CMA CGM a pris le contrôle en 2016.

Depuis APL a été recentrée en 2020 sur une niche de spécialité : les prestations de transport maritime pour le gouvernement des États-Unis.

Le groupe français a largement profité de la période épidémique qui fut particulièrement lucrative pour les taux de fret entre Asie et Etats-Unis, les Américains gagnés par une fièvre consumériste dont ils ont le secret.

Retour à la normalisation

Mais sur le front portuaire américain aussi, c’est le retour à la normalisation pour reprendre le mot-valise à succès. L'année dernière, à la même époque, les observateurs se demandaient quand l'amoncellement de porte-conteneurs au large de la baie de San Pedro allait se résorber.

Un an plus tard, l’inflation galopant, le consommateur américain n'est plus en crise boulimique. La mollesse de la demande de transport a contribué à désengorger les ports ouest-américains qui avaient pourtant frôlé l’embolie.

Lire aussi : Canal de Panama : des restrictions de passage qui ont un coût pour le transport maritime

Panama, quel impact ?

C'est donc un retour froid à la normale à quelques nuances près. Le passage du canal de Panama, l'un des points clés entre l’Asie et la côte Est des États-Unis est devenu problématique en raison d’une sécheresse critique.

L’autorité du canal de Panama (ACP) a annoncé à plusieurs reprises des limites d’accès aux navires, fixant le tirant d’eau pour les nouvelles écluses à 13,3 m maximum, contraignant les néo-panamax – les 14 000 EVP au tirant d’eau de 15 m qui acquittent les péages les plus élevés –, de se délester de conteneurs pour les transborder par rail ou d’emprunter des voies alternatives plus longues et plus coûteuses.

Fin août, l’ACP a confirmé que les restrictions concernant le nombre de transits quotidiens de navires (moyenne de 32 navires par jour avec ou sans réservations) et le tirant d'eau maximum (à 13,3 m pour les écluses récentes, 12,06 m pour les anciennes écluses) seraient maintenus pendant dix mois.

Si les restrictions impactent plus surement les transporteurs de vrac, elles ne sont pas totalement neutres pour les chargeurs qui importent et exportent depuis la côte Est, carconteneurs, préféré au canal de Suez plus long (35 versus 41 jours).

New York/New Jersey, Savannah et Houston ont représenté près de 60 % des importations totales de l'Asie de l'Est en juillet 2023, selon les données du Canal de Panama.

Actuellement, les 18 services de ligne déployés sur l'itinéraire Asie - Côte du Golfe/Est des États-Unis via le canal de Panama font escale à New York/New Jersey, Savannah ou Houston.

Pour les entreprises, la problématique est davantage dans le sens États-Unis/Asie car il s’agit généralement de marchandises lourdes et sensibles aux prix. Car les restrictions de Panama surenchérissent le coût du transport maritime sans compter les effets sur les taux de fret, non encore observés.

Récupérer le fret « évadé »

Côté Ouest, les déboires de Panama pourraient presque apparaître comme une opportunité pour récupérer une partie de l’évasion du fret vers la façade est-américaine, laissent entendre des représentants du port de Los Angeles, qui estiment à 15 % la part de fret détourné vers d'autres portes d'entrée nationales.

À l’occasion du rituel mensuel de présentation des trafics, Gene Seroka, directeur général du port de Los Angeles, revient systématiquement sur cet enjeu, rappelant que la côte ouest-américaine demeure pour les marchandises fabriquées en Asi la voie maritime la plus rapide entre l'usine et le port via le canal de Suez. Et que ses ports disposent d’un vaste système logistique intermodal pour distribuer les marchandises à travers tout le pays.

Le système ferroviaire devrait en outre bénéficier d'une partie des 2,2 Md$ de travaux prévus à Long Beach au cours de la prochaine décennie.

« De nombreux importateurs ont trouvé des avantages dans les ports de la côte Est et de la côte du Golfe », soutient néanmoins Jonathan Gold, vice-président en charge de la supply chain à la National Retail Federation (NRF), la puissante fédération nationale du commerce de détail, à l’initiative d’un baromètre sur les trafics conteneurisés dans les principaux ports américains.

Congestion et perturbations sociales

Los Angeles et Long Beach ont perdu leur rôle de premier plan pour les importations conteneurisées américaines il y a un an déjà, sanctionnées par l'épique congestion durant la pandémie, relayée ensuite par une impasse d'un an dans les négociations entre les employeurs et les dockers, porteuse de perturbations potentielles.

Aux termes de 13 mois alternant coups de freins, sorties de route et pointes d’accélération, la Pacific Maritime Association (PMA), qui représente quelque 70 exploitants de terminaux dans les 29 ports de la côte ouest-américaine, et l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU), pour les 22 000 dockers ont fini par convenir d’un accord en juin sur leurs droits et obligations respectifs pour les six prochaines années.

Il y a quelques jours, le nouveau contrat a été approuvé par 75 % des membres du syndicat. Mais il reste l’idée que le « combo » entre le chaos pandémique et les incertitudes sociales aurait convaincu nombre de chargeurs de revoir leur supply chain pour être moins dépendants d'une seule porte d'entrée.

Logistique revisitée pour ne plus dépendre d'une seule porte d'entrée

La NRF soutient que les entreprises à l’import ont investi dans de nouvelles installations sur la côte Est. Ces mouvements peuvent avoir d’autres motivations que les problématiques inhérentes au sous-dimensionnment des ports américains.

Selon une enquête menée par la Chambre de commerce américaine auprès de 346 entreprises, le pourcentage de chefs d'entreprise disposés à réduire leurs investissements sur le marché chinois a augmenté de 22 % entre 2017 et 2020.

Les vagues épidémiques en Chine, qui ont perturbé la production mondiale, et la pression croissante des coûts en Chine (multipliés par douze en dix ans), les ont incités à transférer une partie de la production vers des pays comme le Vietnam, l'Inde, le Bangladesh et la Thaïlande.

Or, ces pays bénéficient d’une plus grande connectivité avec les ports de la côte Est et du golfe du Mexique.

New York/Los Angeles, un nouveau rapport de force

Le port de New York et du New Jersey, devenu la première porte d’entrée américaine pour les importations conteneurisées en juillet 2022, était toujours le port le plus actif du continent nord-américain en juillet 2023 avec 725 479 EVP, en hausse de 16,2 % par rapport au moins précédent et de 9,4 % de marchandises par rapport à juillet 2019.

Les responsables du port de New York et du New Jersey ont notamment constaté une augmentation de 40 % des expéditions de vêtements, de jouets, de jeux et d'équipements sportifs.

Dans le même temps, Los Angeles annonçait une baisse de 27 % de ses unités équivalentes à vingt pieds traitées par rapport à juillet 2022. Le port voisin de Long Beach connait une situation similaire.

Pour rappel, en 2022, Los Angeles avait traité 9,9 MEVP et avait franchi le cap des 10 MEVP en 2021 pour la première fois de son histoire. Long Beach avait loupé de peu le seuil fatidique.

Adeline Descamps

*AFMS (100 %) et PMS (10 %) dans la région de Los Angeles, Dutch Harbor (100 %) en Alaska, Bayport (26 %) à Houston et SFCT (26 %) à Miami.

Lire aussi

Canal de Panama : des restrictions de passage qui ont un coût pour le transport maritime

New York/New Jersey détrône Los Angeles

S’affranchir de la dépendance à l’égard de la Chine n’est pas évident

Chaînes d'approvisionnement mondiales : prêtes pour un retour aux sources ?

Accord social dans les ports ouest-américains à la veille de la haute saison

Shipping

Port

Maritime

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15