Le bulletin de santé du secteur de l’assurance pour 2023 vient d’être émis par l’Union internationale de l'assurance maritime (IUMI), qui représente 42 associations nationales et régionales d'assurance et de réassurance dans le domaine maritime. « Dans l'ensemble, l'année a été positive. Le commerce mondial a continué de croître, ce qui a eu un impact positif sur la base de primes mondiales, en particulier pour l'assurance des marchandises. Le prix du pétrole semble s'être stabilisé, ce qui est favorable au secteur offshore. La pression inflationniste s'est relâchée et de nombreuses banques centrales commencent à réduire leurs taux d'intérêt, bien que cela n'ait pas nécessairement un effet immédiat sur les coûts de réparation des navires », balaie rapidement Jun Lin, le président du Comité des faits et chiffres de l'IUMI.
En 2023, les assureurs « corps » et « marchandises » ont échappé aux sinistres de grande ampleur qu’ils avaient eu à couvrir ces dernières années, à l’exception toutefois de quelques incendies à bord de « grands navires » et de l’impact de l'inflation (réparations) sur le coût moyen des sinistres attritionnels.
Des primes en hausse de près de 6 %
Les primes mondiales ont augmenté de 5,9 % par rapport à 2022, totalisant 38,9 Md$, dont 22,1 Md$ pour l’assurance marchandises, premier contributeur aux primes avec 56,9 % du total (+ 6,2 % par rapport à l'année), 9,2 Md$ pour l’assurance corps (+ 7,6 % par rapport à l'année précédente) tandis que le secteur de l'énergie offshore, qui pèse près de 12 % du total des primes encaissées, est en croissance de 4,6 %.
Par régions, l'Europe continue de dominer le marché avec une part de 48,5 % des primes mondiales devant l'Asie/Pacifique (28,1%), l'Amérique latine (10,9 %), l'Amérique du Nord (7,0 %) et le reste du monde (5,5 %). « Après une période de déclin, les primes européennes sont en hausse constante depuis 2019 et le marché asiatique a également poursuivi son redressement depuis la fin de sa tendance à la baisse en 2016 », indique le porte-parole de l'IUMI.
Le marché s'est bien comporté. Étonnamment, compte tenu de l’état critique de la navigation au niveau mondial. À la longue guerre entre la Russie et l'Ukraine, qui met la mer Noire sous blocus, s’est greffée celle entre Israël et le Hamas palestinien aux conséquences en mer Rouge. La route traditionnelle entre l’Asie et l’Europe via le canal de Suez est en proie aux exactions des Houthis qui, en guise de soutien au Hamas, attaquent des navires marchands de pavillon considéré comme ennemi. Une séquence ouverte par le détournement du Galaxy Leader en novembre 2023. Ces actions en mer Rouge, opérées à l’aide de drones et de missiles, ont provoqué un exode massif d’une grande partie de la flotte mondiale vers le cap de Bonne Espérance. Les changements d'itinéraires entraînent une modification des risques sur lesquels les assureurs concentrent leur attention en ce moment.
Déterminants du marché inchangés
Le niveau de croissance du commerce maritime mondial reste un des déterminants pour les souscripteurs d’assurance maritime. Il a augmenté en l’occurrence de 2,5 % en 2023 et devrait croître de 2,4 % en 2024 puis de 1,8 % en 2025 et, en tonnes-milles, de 6,1 % en 2024 (+ 4,4 % en 2023) du fait de l’allongement des distances engendré par les déroutements.
« Les moteurs de l'augmentation des primes restent la hausse continue du volume et de la valeur du commerce mondial [cargaison, NDLR], couplée à l'augmentation de la valeur des navires [coque, NDLR], ou à l'augmentation du prix du pétrole qui induit une plus grande activité dans le segment de l'énergie offshore », indique l'IUMI.
Assurance navires, valeur en hausse
La hausse des primes mondiales d'assurance sur corps de navire est attribuée par les souscripteurs à trois facteurs principaux : la croissance de la flotte (qui devrait être de 3,8 % cette année en tonnage brut), la hausse de la valeur des navires et la capacité de marché. L'écart important entre tonnage brut total/nombre de navires et les primes globales, qui s'était considérablement creusé entre 2011 et 2018, se réduit progressivement depuis 2020.
Selon l'Association nordique des assureurs maritimes (Cefor), la valeur des navires s'est redressée depuis la pandémie, parallèlement à l'augmentation de la demande dans certains segments. Celle des porte-conteneurs reste toutefois particulièrement volatile, reflet du boom de la demande après la pandémie puis d’une certaine normalisation.
L'augmentation de la demande (et donc de la valeur) des navires-citernes est également liée, selon les assureurs, à la modification des routes maritimes afin d’éviter les zones à haut risque. Un prix du pétrole élevé depuis la fin de 2020 et stable depuis plus d'un an, encourage l'activité offshore (la base des primes tend à refléter le prix du pétrole). « C'est la cause probable de la valorisation récente des navires de ravitaillement offshore », ajoutent les assureurs. Dans l'ensemble, les sinistres dans ce secteur restent faibles et relativement stables, bien que deux sinistres majeurs aient été déclarés en 2023.
Sinistralité stable
La sinistralité des navires, qui avait fortement chuté durant la pandémie, a repris ses droits depuis mais jusqu’à cette année, elle restait en deçà des niveaux d’avant-Covid. Si elle est à un niveau très bas, le coût des accidents a dépassé en 2023, pour la première fois, le niveau d'avant la pandémie. L’an dernier, des dossiers d’indemnisation supérieurs à 50 M$ ont été enregistrés. En cause, les incendies à bord des grands porte-conteneurs et des transporteurs de voitures. La pression inflationniste sur les coûts de réparation n’y est pas non plus étrangère.
Assurance marchandises, pertes améliorées
Pour ce qui est des marchandises, « les pertes se sont améliorées au cours des cinq dernières années, les pertes majeures étant en baisse d'une année sur l'autre. Il semble que les transporteurs et les opérateurs se concentrent davantage sur la prévention ».
En 2023, le nombre des sinistres dépassant 250 000 $ a diminué, soit 535 incidents déclarés totalisant 590 M$. Si les dossiers pour des sinistres de plus de 500 000 $ sont toujours plus nombreux, la situation est relativement stable pour ceux de la tranche de 500 000 à 1 M$.
Les conditions météorologiques demeurent préoccupantes pour toutes les catégories d'assurance, souligne l’association. Les pertes de conteneurs en mer et les incendies à bord sont également en augmentation. Les conflits internationaux restent un sujet pour les cargaisons transitant encore par des zones à haut risque. « Le déroutement massif expose les navires à des eaux inconnues. L'absence d'installations de sauvetage et de réparation sur les itinéraires alternatifs signifie que même des incidents mineurs peuvent dégénérer en accidents majeurs ».
Risques liés au détournement de la flotte
En attendant, ce sont les demandes d'indemnisation liées aux conditions météorologiques difficiles autour du cap de Bonne Espérance qui risquent d’augmenter. CMA CGM et MSC ont connu plusieurs incidents avec pertes de conteneurs en raison de la saison particulièrement violente des ouragans cette année. L’équipage du vraquier Ultra Galaxy a, lui, été contraint d'abandonner le navire, qui a chaviré et s'est échoué sur le rivage au nord du Cap avec sa cargaison d'engrais.
« L'assurance des navires ayant des liens avec des pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël est désormais plus complexe et la sélection des risques devient plus sélective. Les assureurs doivent examiner de près les risques physiques et politiques encourus », indiquent les professionnels. Les vieux pétroliers de la flotte noire les rendent aussi nerveux. Ces unités, dont la propriété n'est pas claire et la classification est souvent douteuse, complique l'évaluation de la responsabilité en cas d'accident ou de pollution.
La transition énergétique du transport maritime et l'évolution vers des navires à la motorisation hybride qui en découle entraînent son lot de nouveaux risques et les nouvelles énergies vont influer sur les polices d’assurance, peut-on aussi lire.
« Ce sont autant de facteurs qui doivent être pris en compte dans le calcul du coût moyen des sinistres (…) Ils signifient un changement de risque, qui doit être surveillé et dont il faudra tenir compte à l’avenir ».
Adeline Descamps
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