Port de Marseille Fos : sans le raccordement électrique à quai, il n'y aurait pas d'évolution significative de la qualité de l’air

Crédit photo ©Cenaq/ Port de Marseille
 Les résultats de l'étude que le port de Marseille Fos a confiée il y a deux ans au Pôle Mer Méditerranée afin de mesurer l'effet de ses actions pour limiter ses pollutions sont sans appel sur les vertus de l'électrification pour la plupart des polluants. Sans le raccordement électrique à quai, les émissions en 2035 seraient équivalentes à celles de l'année de 2022.

« Quand on s'engage dans des voies différentes, il nous faut des objectifs, qu’il s’agisse de 40, 50 %, 90 % d'abattement de la pollution, mais il faut aussi les mesurer et les certifier, explique Jean-François Suhas, le président de Croisière Marseille Provence, en amont de la restitution d'une étude portant sur la qualité de l’air dans le Port de Marseille. « La science, ce n'est pas un sentiment ou une opinion mais des faits et des données. Et pour pouvoir se projeter à 2030, on en a besoin », ajoute-t-il.

Toutes les mesures prises pour limiter les pollutions forment un système un peu complexe, dont il est difficile d'évaluer l'impact de chaque composante, explique à son tour Hervé Martel, à la tête du port de Marseille. C’est la raison pour laquelle il a confié il y a deux ans au Pôle Mer Méditerranée une étude dont le principe général est d’évaluer les impacts des mesures mises en œuvre de façon à « ajuster la stratégie » le cas échéant. Avec pour objectifs d’affiner les connaissances sur l’impact du transport maritime sur la qualité de l’air à Marseille et dans le Golfe de Fos (émissions des SOx, NOx, particules et autres gaz à effet de serre), par types de trafics maritimes et en fonction des phases d’exploitation du navire (navigation, manœuvres et escales). L’idée étant de se doter d’un outil de pilotage plus efficient et d’une méthode de calcul pérenne et réplicable à d’autres ports ou zones.

Trois années crantées

Les résultats ont été dévoilés à l'occasion du Blue Maritime Summit, événement initié par Croisière Marseille Provence avec le concours du Comité marseillais des Armateurs de France, de l’UMF et du port de Marseille Fos. L’enquête, qui a nécessité un an, a porté sur les années 2015, 2022, et 2035. 2015 a été retenue car elle précède la mise en œuvre de la règlementation IMO 2020 sur la teneur en soufre des carburants marins et les premiers branchements électriques des navires à quai. L’échéance 2035 correspond, elle à la généralisation de la connexion électrique à quai. À cette date, il est considéré que le renouvellement des flottes de navires devrait être bien amorcé, tandis que la zone d’émissions contrôlées pour les oxydes de soufre en Méditerranée aura dix ans d’expérience et les quatre directives contenues dans le paquet législatif européen de Fit for 55, feuille de route climatique de l’UE, seront en cours de déploiement.

Pour ce faire, le Pôle Mer Méditerranée a fait appel au Citepa, Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique, connu pour être l'auteur de l’annuaire et de la cartographie des émissions de gaz à effet de serre au niveau français.

Résultats probants

« Les résultats sont assez frappants, en tout cas satisfaisants », reprend Hervé Martel. Malgré un trafic maritime en légère croissance [3 183 escales en 2022 dans les bassins Est contre 3 228 escales prévues en 2026, NDLR], la création d'une zone de contrôle des émissions d'oxydes de soufre et de particules en Méditerranée et le déploiement Cenaq- Escales zéro fumée [initiatives respectives du port et de la Région en faveur du branchement à quai des navires, NDLR] auront d’importants effets sur la qualité de l’air dès l’année 2026, avec notamment une diminution de 60 % des émissions de dioxyde de souffre et de 48 % des émissions de particules fines ».

S’agissant des croisières (+ 7,7 % d’escales entre 2022 et 2026), les apports de la connexion électrique à quai sont notables, avec des diminutions dès 2026, allant jusqu’à 83 % de émissions de dioxyde de soufre (SO2) et 78 % des émissions de particules fines.

Vertus de l'électrification

Dans le scénario à horizon 2035, les vertus de l’électrification sont encore plus probantes par rapport à 2022, avec notamment une baisse de 44 % de consommation de carburants fossiles, de 80 % d’émissions  du SO2, de 75 % pour celle des particules fines et de 60 % pour les oxydes d’azote (NOx). Parallèlement, le branchement à quai engendre mécaniquement une baisse de la consommation de carburants de 6,1 % par rapport à 2022 et de 44 % à horizon 2035 (une économie de 6 463 et 3 862 térajoules respectivement).

« Il ressort de cette étude que sans le raccordement électrique à quai, il n'y a pas d'évolution de la qualité de l’air, tranche Christophe Avellan, directeur du Pôle Mer Méditerranée. Sans cela, les émissions en 2035 seraient équivalentes à celles de l'année de référence de 2022 ». En clair, si la réglementation oblige, elle ne serait pas opérante sans la disponibilité des raccordements. « Ce n'est pas très étonnant dans le sens où la technologie Cenaq permet de couper les moteurs », ajoute-t-il.

Raccordement électrique, le Graal

« Le port de Marseille tient ses engagements sur un plan technique », se félicite Hervé Martel, qui a investi 150 M€ dans la connexion électrique à quai. Après les ferries et avant de s'attaquer à la réparation navale, trois postes embranchés pour les paquebots seront disponibles d'ici 2026. Quand le Grand port maritime de Marseille Fos s'est lancé dans cet « ambitieux programme », nous étions en 2019 et la Méditerranée ne faisait pas encore l’objet d’une zone d’émissions contrôlées comme la Manche, les mers du Nord et Baltique, où les navires doivent utiliser un fuel à 0,1 % de soufre et les moteurs être régis par des normes Tier III. La Grande Bleue, mer si fréquentée et si malmenée, deviendra en mai 2025 une zone de contrôle des émissions pour les oxydes de soufre et les particules.

La même année, la région présidée par Renaud Muselier avait parallèlement lancé son plan « Escales Zéro fumée », avec à la clé, 30 M€ destinés à accompagner « les ports de la région et les armateurs dans la transition énergétique » (selon des modalités pas très précises). À l’époque, seule La Méridionale (alors filiale de Stef, aujourd’hui passée dans le giron de la CMA CGM) avait fait l’investissement pour arrêter ses moteurs une fois à quai, moyennant un quasi-autofinancement à l’exception d’une aide publique de 700 K€. Depuis, elle s'est attelée au traitement des particules ultrafines, que les scrubbers ne solutionnent pas. Sa démarche a trouvé une concrétisation depuis sous la forme d’un filtre à particules, présenté en grande pompe en septembre 2022 quand bien même la technologie fait débat dans les sphères des ingénieurs.

Prêt sur l'offre en carburants

Le port de Marseille Fos est aussi dans les clous sur l’offre en nouveaux carburants, poursuit Hervé Martel. « Personne ne sait exactement comment cela va s’articuler. Tout le monde sait qu’il faudra des biocarburants à court terme mais qu’il n’y en aura pas assez pour tout le monde puis des carburants de synthèse mais sans doute trop cher », résume-t-il fort bien (une table ronde tenue dans le cadre du Blue Maritime Summit en fera une imparable démonstration). Mais nonobstant cette incertitude, il faut prendre des positions dès à présent, signifie-t-il. « C’est ce que l’on fait en accueillant des acteurs de la filière des carburants de synthèse pour être prêt le moment venu ». Il fait référence à l’investissement portée par H2V, dont le port est actionnaire. L’entreprise envisage la construction en deux phases de six unités de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau entrant dans la composition de carburants pour la mobilité lourde, l'aérien (SAF) et le maritime via une unité de production de méthanol de synthèse d’une capacité de 130 à 140 000 t/an. La partie maritime est plus aléatoire ou du moins Alexis Martinez, CEO d'H2V, a été prudent dans son intervention au Blue Maritime Summit.

Un autre projet (NeoCarb), porté par Elyse Energy, vise la production de e-méthanol, pour des usages maritimes, avec du carbone tiré des procédés industriels de la plateforme d’économie circulaire Piicto du Caban-Tonkin. Dans une deuxième phase, l’e-méthanol serait converti en e-kérosène par la technologie dite « alcohol-to-jet ». Les deux unités utiliseront de l’hydrogène bleu produit sur site par électrolyse. La concertation publique est en cours.

En attendant, le GNL

En attendant, depuis deux ans, Marseille Fos est un port où il est possible de faire le plein en gaz naturel identifié. TotalEnergies y a en effet basé son souteur Gaz Vitality dans le port de Marseille qui avitaille les porte-conteneurs de CMA CGM déployés sur les lignes méditerranéennes mais aussi les paquebots de MSC. Or, si le carburant abat plus de 80 % du dioxyde de soufre et des oxydes d’azote, « c'est-à-dire les sujets qui ont un impact sur la santé des habitants », défend Hervé Martel, il ne traite que très partiellement (23 %) les gaz à effet de serre, ennemi public numéro un. « Cela permet au moins aux armateurs de se mettre en conformité par rapport à de nouvelles réglementations qui vont s'appliquer à la Méditerranée, comme la zone Seca, et d'anticiper celles à venir avec l’intégration du transport maritime dans le marché carbone européen et la directive FuelUE sur les carburants maritimes », balaie-t-il.

L'échéance de 2030 ne sera en effet pas un objectif insurmontable pour le transport maritime. Les autres étapes, en revanche, seront plus délicates à opérer.

Adeline Descamps

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