Les attaques des Houthis se poursuivent sans relâche et la situation est devenue encore plus incertaine pour le passage de navires. Depuis la réponse militaire apportée par les forces américaines et britanniques en mer rouge avec les frappes aériennes massives sur huit sites militaires détenus par les Houthis au Yémen, la région est entrée dans un cycle de représailles sans fin.
« Le trafic maritime en mer Rouge a diminué de 22 % en un mois », a signalé le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, à la presse à l'issue d'une réunion des ministres du Commerce de l'UE.
Le canal de Suez, qui achemine 12 à 15 % du commerce mondial de marchandises et 25 à 30 % des conteneurs maritimes, accuse le coup. La moyenne mensuelle des transits est passée de 1 914 sur la période juin-novembre 2023 à 1672 en décembre et à 947 au 22 janvier.
Pour l'Union européenne, 23 % de toutes les marchandises importées depuis l’Asie en 2022 transitent par le canal.
Les grands porte-conteneurs ont quasiment tous déserté
Le trafic quotidien des porte-conteneurs en mer Rouge a chuté de près de 60 % depuis la mi-décembre selon les données de LSEG et de 80 % pour les ultra large container ships (ULC), ces chevaux de trait prédominants sur la ligne principale Est-Ouest. Autant dire un exode généralisé dans le conteneur.
Les rares qui s’y aventurent se remarquent tout de suite : il s'agit des petits transporteurs régionaux aux intérêts liés à la Chine notamment et parmi les grandes du secteur, CMA CGM et Cosco avec ses CSCL Uranus (pavillon Hong Kong) et Kilimanjaro (Libéria).
Au cours de la semaine écoulée, les CMA CGM Greenland (15 000 EVP, pavillon français), CMA CGM Champs Élysées (23 000 EVP, pavillon français), CMA CGM Antoine de Saint-Exupéry (20 954 EVP, Malte) et CMA CGM Apollon (15 536 EVP, Malte) ont transité sous la protection de la marine nationale.
Toutefois, l’armateur français a exercé la semaine dernière son droit de retrait en annonçant son intention de détourner sa boucle australienne Nemo via le Cap de Bonne Espérance.
Les taux spot continuent de grimper si l’on se base sur le Drewry World Container Index (WCI) qui a bondi à 3 777 $ par conteneur de 40 pieds pour la semaine qui s'est achevée jeudi dernier. Il est désormais en hausse de 173 % depuis le début de l'année. À l'exception de la période Covid exceptionnelle, l'indice du consultant britannique a été la semaine dernière le plus élevé jamais enregistré depuis la création du WCI en juin 2011.
Pour autant, l’autre thermomètre de référence, le Shanghai Containerized Freight Index a chuté de 60,5 points entre le 19 et le 26 janvier, de 2239 à 2179 points.
Les pétroliers gagnés par l'exode de façon plus massif
Encore timides jusqu’alors, de plus en plus de pétroliers se détournent désormais plus massivement du canal de Suez. Torm, Hafnia, Stena Bulk, Hafnia, BP, Frontline, Equinor, Euronav et Shell ont choisi d'éviter la zone.
Du côté du vrac sec, alors que plusieurs vraquiers ont été touchés ou pris à partie (les Zografia, Genco Picardy, Gibraltar Eagle), les réactions sont encore mesurées.
Le géant minier BHP a signalé il y a quelques jours que certains de ses opérateurs de navires affrétés ont détourné pour des raisons de sécurité. Mais l’annonce du groupe de Rio Tinto n’a d’effet qu’à la marge car la majeure partie de son volume Est-Ouest transitent déjà par la route du Cap. Le premier exportateur mondial de minerai de fer sollicite principalement des capesize, (150 000 t) qui, pour des raisons de gabarit, sont invités à contourner l’Afrique.
Le Baltic dry index (BDI) est toujours fixé à son niveau le plus bas sur quatre derniers mois (1 308 points). Toutefois, il a clôturé la semaine à 1 503 points, en hausse de 13 % en deux jours, tandis que le BCI (capesize) a augmenté de près de 23 %, à 2 244 points.
Le BPI (panamax) s’est également envolé d'environ 10 % sur une base hebdomadaire (1 550 points). Mais n’était-ce pas plutôt une réaction aux déclarations enthousiasmées de BHP sur son marché ? Le groupe minier s'attend à ce que les mesures de relance élargies en Chine permettent une reprise graduelle. « Au début du quatrième trimestre, l'économie chinoise a montré des signes de stabilisation, avec des investissements accrus dans l'infrastructure et la production pour contrebalancer le secteur immobilier en difficulté », confirme la société de courtage Xclusiv.
Un soutien à la réponse armée ?
Après le vote du conseil de sécurité de l’ONU du 10 janvier qui a été assimilée à un blanc-seing au principe d'une réponse armée internationale, la semaine dernière a été marquée par une nouvelle déclaration, cette fois des gouvernements de 24 États. Toujours sans le paraphe de la France et de l’Union européenne mais avec celles des poids lourds du Vieux Continent*. La France défend une position plus mesurée, celle de l'opération Prosperity Guardian, version élargie de la coalition navale internationale (39 pays), qui existe depuis quelques années en mer Rouge et dans le golfe d'Aden, sous le nom de « Task Force 153 », chargée d'assurer la protection des navires marchands.
« En réponse à la poursuite des attaques illégales et inconsidérées des Houthis contre les navires transitant par la mer Rouge et les voies navigables environnantes, ces frappes ont été conçues pour perturber et dégrader la capacité des Houthis à poursuivre leurs attaques contre le commerce mondial et les marins innocents du monde entier, tout en évitant l'escalade », indique la déclaration conjointe dans le texte.
Adeline Descamps
*Albanie, Allemagne, Australie, Bahreïn, Canada, Croatie, Danemark, Estonie, de Guinée-Bissau, Hongrie, Italie, Kenya, Lettonie, Lituanie, Monténégro, Macédoine du Nord, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, République de Corée, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni et États-Unis.
