Les multiples paris de l'hydrogène vert

 

L’hydrogène pourrait sous-coter les autres carburants alternatifs dans la course à la lutte contre le réchauffement climatique. Les investissements pour produire de l'hydrogène vert s’accélèrent. Siemens Gamesa et Siemens Energy d’un côté, Engie et Total de l’autre, s'y attellent. Tous veulent y voir le combustible capable de verdir l'avenir.

Le monde a en ce moment des atomes crochus avec l’hydrogène, érigé au rang des combustibles « miracles » pour décarboner des secteurs dans une impasse climatique. L’élément le plus léger du tableau de Mendeleïev suscite beaucoup d’espoirs en tant que vecteur énergétique. Un consensus s’est créé pour lui reconnaître le potentiel de réconcilier industrie et climat à condition d’être d’origine renouvelable, ce qu’il n’est pas aujourd’hui. Cinq ans se sont écoulés depuis l'accord de Paris sur le réchauffement climatique mais il aura fallu quelques mois d’une épidémie à échelle planétaire pour que l’urgence fasse nécessité. Pas une semaine ne ne se passe désormais sans annonces décisives liées à son exploitation. Investissements massifs, déploiements technologiques, études, rapports, ruptures stratégiques... gouvernements et industriels lui déroulent le tapis vert. 

Mobilisation générale autour de l'hydrogène

Déballage de fonds publics

De nombreux pays d’Europe et d’Asie ont profité des efforts budgétaires post-Covid 19 pour allonger les financements magiques. La France, qui produit 880 000 t d'hydrogène industriel par an, s’est aménagée une enveloppe de 7 Md€ (dont 2 milliards d'ici 2022 dans le cadre de la relance) pour construire une industrie de l’hydrogène fabriqué à partir d’énergies renouvelables. Un conseil national de l'hydrogène vient d’être créé pour fluidifier les échanges entre l'État et les filières industrielles. Cette nouvelle instance, qui se réunira dans le cadre du Conseil national de l'industrie et associera Régions de France, devrait se tenir pour la première fois courant janvier.  

Parmi ses membres figurent des industriels spécialistes du secteur et des représentants des grandes filières concernées par l’urgence de la décarbonation : McPhy, EDF Engie, Total, ArcelorMittal France, Airbus, Faurecia, Alstom, Vicat, Air Liquide, CEA... Objectif : accélérer la maîtrise technologique des composants de la chaîne de valeur et favoriser un passage rapide à l'échelle industrielle, condition nécessaire à la baisse des coûts de production, souligne le gouvernement. 

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Déversement d’objectifs

L’Allemagne, pays qui a acté la fin du nucléaire, programmé la mort du charbon et développé de façon plus marquée que ses pairs européens les énergies renouvelables, prévoit un investissement de 9 Md€ pour accélérer les développements. Outre-Rhin, il est envisagé une capacité de fabrication d’hydrogène vert de 5 gigawatts (GW) d’ici à 2030 et de 10 GW d’ici à 2040.

En juillet, la Commission européenne a déclaré qu’elle allait augmenter sa capacité de production d’électrolyseurs de 250 MW aujourd’hui à 40 GW en 2030. L'UE veut atteindre 12 à 14 % d'hydrogène dans son mix énergétique en 2050 contre 2 % aujourd'hui et évalue le financement entre 180 et 470 Md€. Les porte-drapeaux européens de la filière, Air Liquide ou Linde, s’en font les garants pour préserver une expertise que disputent la Chine, déjà en pointe, le Japon ou encore la Corée du Sud.

Le Royaume-Uni, l’Australie et les pays asiatiques ont également déclaré leur foi dans cette énergie du futur en alignant les subsides.

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Effervescence légitime 

Le recours à l'hydrogène n'est pas nouveau – il s’en produit chaque année entre 60 et 80 Mt par an – mais après de nombreux « faux départs » en 40 ans, selon l’expression de Philippe Boucly, de la filière France Hydrogène, il semblerait que le point de bascule ait été atteint. Non pas parce qu’il est l’élément le plus répandu dans l’univers, mais parce que les moyens « d’aller le chercher » pour le réutiliser dans le système énergétique deviennent envisageables au-delà de ses inconvénients. Et ils sont nombreux : 90 % des 60 à 80 Mt sont des sous-produits ou coproduits des énergies fossiles, principalement du charbon et du gaz. La production de cet hydrogène dit gris a émis dans l’atmosphère 830 Mt de CO2 en 2017, selon l'Agence internationale de l'énergie, soit plus de 2,5 fois les seules émissions de la France.  

Pour qu’il devienne bleu, il faudrait y associer des dispositifs de capture du carbone. Une coalition d'industriels, dont ExxonMobil et ENI, plaide pour cette option, bien que coûteuse. 

Mais l’élément clé de la transition énergétique reste d’utiliser de l’électricité renouvelable pour alimenter un électrolyseur, technologie qui permet de casse la molécule d’eau. En connectant l’électrolyseur à des fermes éoliennes ou à des panneaux photovoltaïques, il est non seulement possible d’obtenir de l’électricité verte mais mieux, de la convertir pour qu’elle devienne stockable et exploitable via la pile à combustible. Si les coûts d’investissement sont élevés, c’est le moyen ultime de stocker en masse et en puissance des énergies intermittentes. D’où l’effervescence qui encadre cette énergie si prometteuse. 

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Siemens Gamesa et ses 120 M€

« Pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris, le monde aura besoin de grandes quantités d'hydrogène vert et le vent fournira une grande partie de l'énergie nécessaire à sa production », affirme Siemens, qui s’y prépare. Avec sa maison mère Siemens Energy, le fabricant de pales et nacelles d’éoliennes va investir 120 M€ dans les cinq prochaines années pour développer une solution intégrant un électrolyseur à la base d’une éolienne offshore. Les deux entreprises se fixent comme ligne d’horizon 2025-2026 pour livrer un démonstrateur à échelle réelle. Siemens Gamesa adaptera pour cela l'éolienne offshore SG 14-222 DD, la turbine la plus puissante du monde, avec une puissance nominale portée à 15 MW.

Pour produire l’équivalent de la production actuelle d’hydrogène gris, il faudrait une capacité de production éolienne de 820 GW, soit 26 % de plus que la capacité éolienne mondiale installée, a estimé Siemens. « À plus long terme, de nombreuses études suggèrent que d'ici 2050, la production aura atteint environ 500 Mt avec un passage significatif à l'hydrogène vert. Cette croissance nécessiterait entre 1 000 GW et 4 000 GW de capacité renouvelable d'ici 2050 ». 

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Total et Engie, associés dans un site de production en France

Total et Engie ont également révélé ces derniers jours la signature d'un accord de coopération pour développer et exploiter « le plus grand site en France de production d'hydrogène à partir d'électricité renouvelable », qui dans un premier temps alimentera la bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône). Alimenté par des fermes solaires d'une capacité globale de plus de 100 MW, l'électrolyseur de 40 MW produira 5 t d'hydrogène par jour. 

Le projet prévoit une solution de stockage pour gérer l'intermittence de la production solaire. Dans un second temps, de nouvelles fermes renouvelables pourront être développées pour l'électrolyseur, qui aura alors la capacité de produire jusqu'à 15 t d'hydrogène par jour. 

Le début de la construction est prévu en 2022 pour une production en 2024, sous « réserve de mise en place des soutiens financiers et autorisations publiques nécessaires » Des demandes de subventions ont en effet été déposées auprès des autorités françaises et européennes. 

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À quel prix ? 

Si l’hydrogène vert est la seule solution durable, son prix reste nettement plus élevé que celui de ses homologues bleus et gris. Dans sa feuille de route, Bruxelles a annoncé vouloir descendre le prix entre 1 et 2 €/kg pour l’hydrogène vert, ce qui le rendrait compétitif par rapport à l’hydrogène gris (actuellement environ 1,5 €/kg). 

Selon l'organisme de recherche Bloomberg NEF, avec la chute des prix du solaire et de l'éolien, et sous condition de changement d'échelle, l'hydrogène vert pourrait d'ici 2050 être produit pour 0,8 à 1,6 $ le kg, ainsi comparable au gaz naturel.  

Sept grands noms des énergies renouvelables – Iberdrola, Ørsted, ACWA Power, CWP Renewables, Envision, Yara et Snam – se sont engagés au sein d’une nouvelle alliance à faire baisser le prix de l'hydrogène vert de 50 %, à 2 $/kg, d'ici 2026, tout en multipliant la production par 50. 

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Éolien et hydrogène, mauvais cocktail

« Combiner l'éolien offshore et l'hydrogène vert est encore trop cher. Ce sont de bons ingrédients mais un mauvais cocktail », assène Rystad Energy. Les modélisations économiques de l’organisme tendent à démontrer que la combinaison n'est pas économiquement viable dans le cadre des schémas coûts actuel, ce que personne ne nie. L’analyse s’est appuyée sur un projet parc éolien offshore de 1 GW dont la moitié de l'électricité produite par le parc excédentaire serait utilisée pour la production d'hydrogène. L'analyse montre qu'au seuil actuel de rentabilité , la majeure partie de l'hydrogène produit devrait être vendue à 5,1 €/kg, soit environ quatre fois le prix de l'hydrogène d’origine fossile.

Mais le soutien et les subventions à l’amorçage peuvent créer l'échelle, l'industrialisation et la courbe d’apprentissage nécessaires pour réduire considérablement les coûts, assure le consultant. « La production d'hydrogène en mer peut devenir plus intéressante si une taxe carbone élevée est imposée sur la production d'hydrogène gris. Cela obligerait les fabricants d'hydrogène à réorienter une plus grande partie de la production vers l'hydrogène bleu, ce qui rendrait les projets verts plus compétitifs en termes de coûts », explique Petra Manuel, analyste de la recherche énergétique chez Rystad Energy, qui ne dira pas à quel prix plancher il faudrait émettre la taxe.

Selon d’autres avis, entre 70 et 75 €/t de CO2, l’hydrogène bleu est rendu compétitif. À 100 €, le vert est rentabilisé. 

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Concurrence pour les autres carburants marins

Si l’hydrogène reste statufié, il fait planer une menace pour les autres candidats à la décarbonation. 77 % des nouveaux approvisionnements en GNL sont menacés par des alternatives plus durables et renouvelables, telles que l'hydrogène vert, dans la course à la lutte contre le réchauffement climatique, présume le cabinet de recherche et de conseil en énergie Wood Mackenzie.

Adeline Descamps

 

 

 

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