Les trois voies qui mènent à la décarbonation du transport maritime

 

Selon la société de classification américaine ABS, qui vient de publier une somme d’une centaine de pages, il existerait trois voies possibles pour développer des navires sans émissions. Un guide pratique vers la décarbonation de la flotte mondiale ? 

Le chemin est pavé de bonnes intentions – un avenir sans carbone – mais sinueux et escarpé pour y parvenir. La société de classification entend accompagner les armateurs dans les eaux inexplorées d’un transport maritime plus vertueux.

Pour rappel, les objectifs décidés dans le cadre de la stratégie de réduction du CO2 adoptée en 2018 à l'OMI sont ambitieux et le timing serré. Le transport maritime est sommé de réduire de 40 % la quantité de CO2 émise par volume transporté en 2030 par rapport à 2008 et de 50 % les émissions globales de la flotte mondiale (indépendamment de la croissance de celle-ci). Selon les modèles prédictifs, il faudra que l’industrie s’astreigne à réduire de 75 à 85 % les émissions de la flotte mondiale. Si le premier cap est un objectif d’efficacité énergétique de chaque navire, le second impose de facto la décarbonation. 

Les objectifs assignés ont fait l’objet d’un large consensus, cependant « la manière de les atteindre a été laissée aux propriétaires et exploitants de flotte. Ils sont désormais confrontés à la tâche extraordinairement complexe de la décarbonation de leurs flottes », posent les auteurs de Setting the Course to Low-Carbon Shipping - Pathways to Sustainable Shipping outlook. Le document vient d’être rendu public par la société de classification américaine American Bureau of Shipping (ABS). « Les voies actuelles vers les objectifs de 2030, et au-delà, comprennent des mesures opérationnelles, de nouvelles technologies conçues pour améliorer l'efficacité énergétique ou des carburants de substitution. Avec autant de combinaisons d'options sur la table – et plus encore dans les années à venir – la conception d'une stratégie durable à l'échelle d’une flotte et qui réponde aux objectifs de l'entreprise est complexe, d'autant plus que chaque navire nécessite une solution sur mesure qui corresponde à son âge et à son profil d'exploitation, etc. »

Combinaison de technologies optimale

La société de classification s’y est employée et livre une somme qui s’apparente à une véritable boîte à outils simplifiant le processus de décision. Elle a pris le parti de retenir trois filières de carburants : le gaz léger (GNL, bio-GNL, gaz naturel synthétique, gaz naturel renouvelable, hydrogène), les alcools (méthanol, éthanol et ammoniac) et les biocarburants, quelle que soit l’origine de la biomasse. Des choix motivés par des considérations techniques – « elles peuvent être utilisées dans les systèmes de production d'électricité et de propulsion existants » – mais aussi en raison de leur potentiel avéré pour réduire ou éradiquer le CO2 et d'autres émissions réglementées. Pour chacun, elle dresse l’état de l’art des technologies, les défis, les impacts sur la carburation, les avancées réglementaires… Mais l’intérêt de l’ouvrage est vraiment ailleurs. 

ABS a replacé chaque carburant de substitution dans son environnement. Ainsi elle en a étudié la faisabilité technique et économique selon le type de navires – cinq au total, vraquiers, pétroliers et chimiquiers, porte-conteneurs, méthaniers et transporteurs de GPL – et en fonction de leur profil d'exploitation suivant les routes commerciales et les cargaisons transportées. L’objectif étant d’aider les exploitants à déterminer la ou les technologies les plus adaptées à chaque navire et à son profil d'exploitation.

« Les marchés sont nettement différents en termes de capacité à adopter de nouvelles technologies, de ressources disponibles et de complexité de leurs cadres réglementaires »justifient les auteurs. « Ces différences et ces points communs influenceront grandement les voies que les propriétaires choisiront pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre en 2030 puis 2050 ».

 : OMI : Les dessous de la bataille du CO2

Méthanol et ammoniac, plus adaptés au short-sea

Le document, qui est le second d’une série intitulé « Perspectives » (le premier a été publié en juin 2019) a pris en considération d’autres facteurs : l'évolution du commerce mondial jusqu'en 2050, « pour comprendre la demande future de navires, avoir une vision de l’offre et la demande en produits de base (minerai de fer, charbon, pétrole brut, produits raffinés, produits chimiques etc.), calculer la consommation future de carburant et estimer les émissions de CO2 des navires ». Mais la société a aussi modélisé les variations dans le temps des carburants utilisés ou encore la décarbonation des différents secteurs industriels dont dépend le transport maritime. ABS s’est associée pour cette tâche ardue à Maritime Strategies International (MSI).

En procédant ainsi, elle peut établir quelques règles de conduite. Pour ne prendre qu’un exemple, les carburants tels que le méthanol et l'ammoniac, seront plus adaptés au transport maritime à courte distance. Ce mode de transport nécessite un soutage plus fréquent. « Ces carburants exigeraient une reconfiguration des navires au long cours, notamment parce que les bunkers devraient être agrandis pour stocker suffisamment d'énergie pour des voyages plus longs. C’est un frein à l’adoption de ces carburants de substitution car les perspectives d'emploi du navire devraient justifier cet investissement. Toutefois, d’autres, comme les méthaniers ou les transporteurs de GPL, pourraient être de bons candidats car ils peuvent transporter ces carburants sous forme de cargaisons. »

Changements dans la structure des échanges

Dans ses conclusions, la société semble penser que la décarbonation de l'économie mondiale entraînera inéluctablement des changements dans les volumes et la structure des échanges au cours des trente prochaines années. Ces changements affecteront l'évolution de la flotte et réduiront certains segments de navires jusqu'en 2050.

Pour la société américaine, le passage à des carburants neutres en carbone est susceptible d'augmenter le coût des navires et de leur exploitation à moyen terme, jusqu'à ce que les technologies associées pour leurs production, distribution, soutage et exploitation deviennent plus rentables. Inévitablement, les futurs carburants nécessiteront un changement des cadres réglementaires, qui pourraient à leur tour affecter le volume des cargaisons et des échanges commerciaux. Aussi l’exploitation de ces carburants pourrait ne pas être couverte par les normes actuelles. De nouvelles réglementations sont là aussi à prévoir, seule garantie pour favoriser une adoption de ces carburants à grande échelle, indique ABS, qui se fait le chantre des règles...

« Le défi du secteur maritime peut être considéré comme une énigme complexe. (...) Les modèles de notre recherche suggèrent que notre industrie atteindra les objectifs de réduction de l'intensité de carbone d'ici 2050, mais elle pourrait ne pas y parvenir pour le total des gaz à effet de serre émis annuellement », a indiqué Christopher J. Wiernicki, PDG d’ABS, lors de la présentation de l’étude. « En clair, il y a un écart entre la réalité de l'industrie et son ambition déclarée. » Jusqu’à preuve du contraire apportée par « l’industrie ».

Adeline Descamps

 

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