Chine : la stratégie zéro Covid menace les approvisionnements mondiaux

Échec du confinement en alternance pour Shanghai qui ne parvient pas à endiguer le rebond épidémique. L'ensemble de la ville a été placée sous cloche. Les fermetures des usines consécutives au rebond épidémique dans de nombreux provinces ont déjà créé une rupture d'approvisionnement, indiquent les indices de l’activité manufacturière et des délais de livraison.

Pour ne pas paralyser l’activité économique, les autorités de la mégapole portuaire avaient pris le parti d’organiser une mise sous cloche de Shanghai en deux temps, à l’est et à l’ouest, de part et d’autre du fleuve Huangpu, qui traverse la ville. Depuis le 1er avril, le confinement aurait dû basculer à l’ouest pour quatre jours après avoir été imposé à l’est. Or, face à l’indomptable Omicron, la quasi-totalité des 26 millions d'habitants de la ville se retrouvent cloitrés chez eux et de façon sine die.

Shanghai, qui loge le premier port à conteneurs mondial (47,03 MEVP en 2021, 17 % du volume total des ports chinois) et sert de baromètre pour le commerce extérieur de la seconde puissance économique mondiale, compte désormais trois cas asymptomatiques sur quatre dans le pays et 9 000 détections ont été enregistrées ces dernières 24 heures. Une campagne massive de test à grande échelle a démarré, sous l’égide de l’armée. Plus inquiétant, un nouveau sous-variant d’omicron a été signalé au cours du week-end à Suzhou, à 80 km de Shanghai. 

Terminaux opérationnels

Les usines sont fermées tout comme les transports publics. Mais les terminaux portuaires restent opérationnels. Les protocoles en circuit fermé – les travailleurs sont divisés en deux équipes –, réduisent toutefois la productivité et limitent les opérations de chargement et de déchargement tandis que les restrictions d’accès aux camions (les personnels extérieurs doivent notamment présenter un test d'acide nucléique négatif de moins de 24 heures) limitent le dépôt et l’enlèvement des conteneurs dont les effets directs sur la congestion des quais et la disponibilité des boîtes sont connus. Pour l’heure, ce sont les terminaux des ports de Waigaoqiao et de Yangshan qui sont les plus encombrés si bien que les escales programmées à Shanghai sont déroutées vers le voisin Ningbo.

D’après le Shanghai International Port Group (SIPG), qui tient à démentir des propos rapportés par « certains médias étrangers selon lesquels le nombre de navires en attente de chargement et déchargement était monté en flèche pour atteindre plus de 300 cette semaine », le temps d'attente moyen des porte-conteneurs à quai est inférieur à 24 heures, et il y aurait moins de dix navires en attente depuis le 28 mars. Tout en reconnaissant la perte d’efficacité en lien avec les procédures imposées aux chauffeurs routiers, l’opérateur insiste sur l’ensemble des mesures prises pour optimiser la collecte comme la possibilité offerte aux transporteurs de récupérer les conteneurs vides en dehors des périodes de pointe, tout en encourageant les clients à livrer les conteneurs par voie maritime et ferroviaire, plutôt que par voie terrestre.


Stabilité de la croissance, une priorité  

L'aggravation de la situation met la pression sur les décideurs politiques contraints de renforcer le soutien fiscal et monétaire tandis que le Premier ministre chinois Li Keqiang a réaffirmé la semaine dernière que la Chine s'en tiendrait à son objectif de croissance pour l'ensemble de l'année, soit environ 5,5 %. Les économistes s'attendent à de nouvelles mesures d'assouplissement de la part de la banque centrale, notamment des réductions des taux d'intérêt directeurs et du ratio de réserves obligatoires. 

Les craintes quant à une nouvelle mise à l’épreuve de l’approvisionnement mondial se manifestent dans les indicateurs bien que ceux de mars sous-estiment encore le degré de détérioration des conditions commerciales, indique Bloomberg Economics. Le confinement de Shanghai ne date en effet que de quelques jours (fin mars) et celui de Shenzhen a été de relative courte durée. « Les indices PMI d’avril [indicateur des directeurs d’achat reflétant l'activité manufacturière d'un pays, NDLR] révèleront très probablement une tendance à la baisse beaucoup plus prononcée. Ces données donnent le feu vert à un renforcement des mesures de relance. » 

Les indicateurs en vrac

L'indice PMI manufacturier a chuté à 49,5 (en dessous de 50, c’est la contraction), selon le Bureau national des statistiques. L'activité manufacturière s'est contractée en mars pour la première fois en cinq mois. Il s'agit d'une chute sans précédent, car chaque année, après le Nouvel An lunaire, l’activité est en forte reprise. 

Or, cette année, du fait du confinement de Shenzhen, connu pour être le centre technologique du pays avec ses nombreuses entreprises de la tech – notamment le fournisseur en composants électroniques d'Apple, Hon Hai Precision Industry (Foxconn) –, ont fermé leurs portes pendant une semaine en mars. À Changchun, qui représenterait environ 11 % de la production automobile annuelle totale de la Chine en 2020, des constructeurs automobiles comme Toyota Motor Corp. ont été contraints de fermer. 

Stabilité de la chaîne d'approvisionnement manufacturière impactée

Si certaines entreprises ont pu reprendre le travail en adoptant un système dit en circuit fermé, selon lequel les employés sont soumis à des tests réguliers, les PME ont été plus sévèrement touchées et ont continué à se contracter en mars, selon les enquêtes PMI. 

D’après le National Bureau of Statistics of China, les perturbations ont affecté la « stabilité de la chaîne d'approvisionnement manufacturière ». L’indice mesurant le délai de livraison des fournisseurs est tombé à 46,5, le plus bas depuis février 2020. En cause, le manque de personnels en poste, des perturbations dans la logistique et l'allongement des cycles de livraison. Les économistes semblent craindre bien plus les dommages causés à la consommation que ceux portés à la production.

La croissance du deuxième trimestre pourrait être amputée, de 1,8 % d’après Natixis alors que les zones touchées par les épidémies assurent 30 % du PIB de la Chine.

Taux de fret en baisse

Le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), qui reflète les prix au comptant du fret conteneurisé de Shanghai vers un certain nombre de destinations mondiales, a pourtant enregistré une nouvelle baisse pour la 11e semaine consécutive, en plongant de 1,9 %, à 4 348,7 points. Ils restent toujours 68,2 % plus élevés qu'à la même époque l'année dernière. 

Les taux de fret des contrats de conteneurs à long terme ont, eux, doublé en un an, indique Xeneta, dont l’indice est établi à partir des dernières données sur les taux de fret maritime fournies par les principaux chargeurs. Cette appétence toute récente reflète la volonté des chargeurs de sécuriser leur approvisionnement à tout prix dans un marché de vendeurs, car les capacités restent limitées 

Ainsi, les tarifs long terme ont grimpé de 96,7 % en un an, après avoir augmenté de 7 % au cours du seul mois de mars. Et selon le spécialiste, il n'y aura probablement pas de changement avant 2024.  

Toutefois, les termes du contrat évolueraient vers un mode plus « take-or-pay » considéré par Xeneta comme plus équilibré. « En échange d'un engagement de volume, les transporteurs s'engagent à fournir de l'espace aux chargeurs. Il s'agit d'une amélioration par rapport aux "accords tarifaires" courants dans le passé, où la promesse dans les deux sens n'était pas observée : les chargeurs ne respectaient souvent pas les quantités minimales, sans pénalités ; les compagnies maritimes n'honoraient pas leur engagement en matière d'espace de chargement. Des contrats exécutoires, pluriannuels, signifieront la fin de l’alternance entre des cycles d'expansion et de  ralentissement qui ont rendu autrefois le transport de conteneurs si pénible pour les deux parties contractantes ». 

Baisse des taux de fret contre-intuitive

Pour Drewry, qui vient de publier son dernier rapport trimestriel Container Forecaster de Drewry, il serait contre-intuitif de prévoir la baisse des taux de fret à un moment où la chaîne d'approvisionnement est gravement perturbée. La guerre entre la Russie et l'Ukraine et les nouveaux blocages en Chine viennent s'ajouter à l’engorgement logistique existant dans un contexte et où les prix du carburant explosent. 

« Nous ne pensons pas que ce soit la fin de la période de hausse des taux de fret dans le secteur du conteneur mais le marché est extrêmement volatil et les choses peuvent changer très rapidement », indique le consultant britannique. 

Drewry estime que la capacité effective des porte-conteneurs (le nombre d’espaces de chargement disponibles sur le marché) était inférieure d'environ 17 % à son potentiel en 2021 (en partant du principe que la productivité portuaire était au niveau d'avant la pandémie de 2019) et qu'il devrait en être de même en 2022.  

En utilisant les données de suivi des navires de l'AIS, le britannique a développé un nouvel indicateur de congestion portuaire, qui mesure le nombre de porte-conteneurs en attente en dehors de trois paniers de ports sélectionnés (haut, moyen et bas volume), le résultat final étant normalisé à l'aide de la méthode statistique du z-score (le nombre d'écarts types par rapport à la moyenne pré-pandémique 2019).  

Ports à volume moyen gagnés par la congestion

Sur la base de cette méthode, il ressort que les ports à fort trafic du monde entier ont été, en moyenne, fortement congestionnés tout au long de l'année 2021, et non seulement la situation ne s'améliore pas, mais elle semble se dégrader. « Il est en outre inquiétant de constater que de plus en plus de ports à volume moyen entrent dans la catégorie des ports sous pression, tandis que la congestion des ports à faible volume se détériore également. » 

« En 2022, le marché des conteneurs ne sera pas fondamentalement changé. Cependant, les risques sont maintenant plus fortement pondérés à la baisse ». 

Les risques qui présentent un haut degré d’incertitude pour le secteur du conteneur ne manquent pas. En premier lieu, les événements géopolitiques, à commencer par une guerre prolongée entre la Russie et l'Ukraine, qui a la capacité de faire dérailler la croissance économique mondiale et avec elle, la demande de conteneurs. Avantage : elle pourrait contribuer à résorber les perturbations en mer et dans les ports (entraînant une baisse des taux de fret et des bénéfices), analyse Drewry. 

La géopolitique et les risques liés au Covid se conjuguent par ailleurs pour entamer la confiance des consommateurs et des entreprises. La hausse rapide de l'inflation, due dans une certaine mesure aux problèmes de la chaîne d'approvisionnement, réduira la consommation de biens. 

Rebond épidémique et surveillance réglementaire

Quel impact la politique chinoise zéro Covid peut-elle avoir sur le secteur ? « Elle pourrait soit aggraver les embouteillages de conteneurs en limitant la capacité logistique, soit réduire la production manufacturière et par conséquent les exportations et importations », répond Drewry. Le premier cas aurait un effet inflationniste sur les taux de fret, le second un effet déflationniste.

Pour la société de conseil, une surveillance réglementaire accrue, la hausse des coûts d’exploitation (flambée du coût des carburants et des tarifs d'affrètement des navires) sont d’autres passages du gué tandis que les nouvelles normes réglementaires de l’OMI, qui vont appeler des investissements importants pour moderniser les flottes, sont à double tranchant car le retrait des navires les plus anciens et les moins économes en carburant atténuera quelque peu les nouvelles capacités qui doivent déferler sur le marché d’ici 2023.   

Adeline Descamps

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