Quel regard portez-vous sur la digitalisation du secteur transport ?
L’industrie a commencé à s’informatiser massivement il y a 15 à 20 ans avec l’arrivée des TMS et cela s’est poursuivi sur toutes les fonctions opérationnelles avec l’informatique embarquée ou les optimisations de tournées. Selon une étude du cabinet de conseil en optimisation du transport bp2r, 92 % des transporteurs s’estiment très bien équipés en solutions digitales. Mais il est bon de souligner que cette digitalisation a surtout été interne à l’entreprise et n’a pas été forcément tournée vers les clients. Aujourd’hui, les chargeurs restent en attente de solution de la part des transporteurs et attendent une expérience client en ligne proche de celle qu’ils connaissent en BtoC. Il suffit de comparer l’achat d’un billet d’avion en ligne sur Easyjet et la demande d’un prix de transport chez un transporteur. Dans le premier cas, l’utilisateur peut simplement entrer ses critères dès la page d’accueil, alors que dans le second cas il doit faire défiler des pages de présentation de l’entreprise pour arriver sur la page dédiée - quand elle existe -, sur laquelle on risque de lui demander de se pré-enregistrer avant d’effectuer une cotation. Du moins, s’il arrive à remplir toutes les cases qui lui demanderont un détail inouï de spécifications qui risque de le dérouter ! Notre objectif consiste à traduire les prestations des transporteurs de manière simple pour tout acheteur et non de lui présenter des champs de requête du TMS, qui doivent rester de la cuisine interne.
Que propose la plateforme Bary ?
Nous transformons le site internet du transporteur en plateforme de réservation directe et sans intermédiaire. Concrètement, nous proposons notre plateforme en marque blanche pour qu’un chargeur puisse demander une cotation, réserver et payer un transport sur le site de son transporteur local, et ceci aussi facilement que s’il achetait un billet d’avion. Le site web permet de réserver le transport d’un seul colis jusqu’au camion complet. Bary est une plateforme SAS avec un abonnement 24 mois et une variable de quelques centimes par transaction. Notre plateforme se connecte au compte en banque du transporteur, son TMS et son logiciel comptable. Le transporteur est alors libre de faire appel à sa propre flotte pour répondre à une prestation transport ou de la sous-traiter, comme il le fait tous les jours lorsqu’on le contacte au téléphone ou via une bourse de fret !
S’agit-il d’une nouvelle façon de trouver des clients ?
Notre plateforme favorise la mise en relation avec des nouveaux clients, que l’entreprise ne veut ou ne peut démarcher faute de moyens. Par exemple, il peut s’agir d’un client qui n’a qu’un colis à transporter par an et pour lequel le transporteur n’a pas envie d’établir un devis, puis de dérouler tout le processus de facturation pour 200 euros si la prestation se réalise. Bary prend en charge tous ces aspects, y compris la sécurisation de la transaction financière. Cette offre de service permet aux équipes de se concentrer sur leurs métiers plutôt que sur des tâches qui peuvent apparaître à faible valeur ajoutée (saisie, pointage voire relance) et cela renforce l’intérêt du métier à l’heure où bon nombre de salariés sont en demande d’un travail qui a un sens.
Comment avez-vous eu l’idée de lancer Bary ?
Le point de départ est arrivé en observant les opportunités que notre société de transport (Goëvia) manquait. Nous fonctionnons comme beaucoup d’entreprises de transport avec la règle du 80/20 : 80 % du chiffre d’affaires est réalisé par moins de 20 % des clients, avec lesquels les marges sont souvent faibles, d’autant plus que ces clients possèdent un fort pouvoir de négociation. À l’inverse, nous pensons que les nouvelles opportunités peuvent générer plus de marge, mais nous n’étions pas en mesure de les trouver facilement et nous étions invisibles aux yeux des chargeurs qui n’avaient que les pages jaunes pour nous trouver, ou un site internet pas assez visible sur le web.
Combien de transporteurs sont connectés sur Bary ?
Nous avons actuellement une cinquantaine de transporteurs connectés, qui vont de l’entreprise d’une dizaine de camions comme les Transports Girard, spécialiste de matières dangereuses en région parisienne, à de grands groupes comme Sarrion, Bernardi, Vingeanne ou Depaeuw. Nous avons des liens avec les transporteurs des quatre grands groupements que sont Astre, Flo, Tred Union et Evolutrans, sachant que nous avons fabriqué pour ce dernier une plateforme en marque-blanche qui propose, via Wepal, nos services de cotation avec l’intégralité de leurs membres. En tout, plusieurs milliers de chargeurs utilisent quotidiennement nos services, ce qui a déjà généré des transactions de plusieurs millions, payées en ligne reversées directement sans intermédiaire sur le compte en banque des transporteurs, avec une croissance exponentielle.
Comment procéder pour traduire l’offre d’un transporteur ?
Le transporteur nous explique la façon dont il travaille, en nous fournissant également ses plans de transport, et nos ingénieurs traduisent ces informations en algorithmes. En passant du temps avec le transporteur, nous allons pouvoir affiner le paramétrage et, au passage, lui faire prendre conscience qu’il n’a pas à craindre de proposer ses services sur Internet. Notre procédé permet simplement de formaliser et d’automatiser ce qu’il fait tous les jours au téléphone avec ses clients. Certains clients ont pris Bary pour automatiser quelques dizaines de cotations chronophages qu’ils n’avaient pas envie de laisser passer. D’autres clients utilisent notre outil comme un véritable levier de croissance, qu’ils utilisent avec ambition. Pour les aider, nous allons aussi proposer des formations puisque Bary est en train de devenir un organisme de formation certifié par Qualiopi.
Qu’est-ce que Bary va proposer en matière de formation ?
Nous allons dispenser une formation intensive de deux jours, avec des sessions de coaching tous les mois pendant un an ensuite. Nous aidons les commerciaux des transporteurs à mettre en place une stratégie de prospection et déployer au besoin un outil digital comme un CRM qui reste très peu déployé dans les entreprises de transport. Cela passe aussi par la mise en place de routines, d’objectifs, avec des scripts de prospection et de vente, des méthodes et des outils pour lever des objections et surtout amener les chargeurs sur un autre sujet que le prix. Car le prix n’est qu’une composante de l’offre et ne correspond pas toujours aux vraies attentes des chargeurs. C’est aussi l’occasion d’améliorer la visibilité du site internet du transporteur, avec un site moderne doté d’une ergonomie optimale, dont les contenus sont bien référencés par les moteurs de recherche, et d’utiliser des outils de prospection type emailing.
Quelles sont les prochaines innovations à venir ?
Nous travaillons pour mettre en place le yield management, ou la gestion dynamique du tarif, pour en finir avec la grille tarifaire valable du 1er janvier au 31 décembre qui coûte une fortune au transporteur. On a identifié une soixantaine de variables, au-delà de la simple volumétrie offre et demande, comme la saisonnalité des flux de janvier à décembre, la typologie de la semaine avec les jours les plus chargés, les zones géographiques de chargement et de livraison (urbaine, rurale, balnéaire, et.) ou encore les calendriers avec, par exemple, les semaines de quatre jours qui pénalisent beaucoup les transporteurs. En parallèle, nous souhaitons sensibiliser les chargeurs sur les émissions de CO2 dès la commande.
De quelle manière allez-vous sensibiliser les chargeurs ?
Nous souhaitons indiquer l’impact CO2 des contraintes de livraison appliquées au transport, en tenant compte des créneaux ou du degré d’urgence. Les transporteurs pourront proposer des alternatives plus écologiques à leur client. Nous travaillons également sur un projet de compensation volontaire d’émissions CO2 avec des initiatives certifiées, réalisées en France. Nous avons calculé qu’un transport commandé sur Bary émet en moyenne 5 kg de CO2 selon la règle de calcul fournie par l’Ademe. Avec un coût de 75 euros la tonne de CO2, cela ne coûterait quasiment rien de compenser chaque flux à l’unité et permettrait de redorer le blason des transporteurs accusés à tort de polluer. Notons que certains transporteurs ont déjà commencé à proposer des offres 100 % électriques pour les ZFE sur notre plateforme, ou avec des vecteurs écologiques en B100 ou XTL.
Pensez-vous intégrer des briques d’intelligence artificielle pour une analyse fine des flux ?
La donnée appartient aux clients, et nous nous interdisons de la valoriser qu’autrement qu’à leur seul profit, même de manière anonymisée. C’est une piste qui peut éventuellement créer de la valeur dans l’analyse du flux et de l’offre de chaque client, mais il faut rester vigilant et que cela serve toujours les transporteurs, sans se retourner contre eux. C’est un sujet sur lequel on réfléchira en temps et en heure.