Conçu par CMB.Tech, le nouveau remorqueur d’Anvers fonctionne en utilisant pour carburant un mélange de gasoil et d’hydrogène. HydroTug1 n’est pas le premier navire bicarburant hydrogène de CMB. Il pourrait avoir des sisterships, le port d’Anvers-Bruges s’étant lancé dans une transition vers la neutralité carbone.
Un rayon de soleil a brillé entre deux averses sur le port d’Anvers, le 12 décembre 2023, pour l’inauguration de l’Hydrotug1. Le temps pour les personnalités réunies sur le quai du bassin du Kattendijk, au pied du majestueux siège du port d’Anvers-Bruges, de prononcer quelques mots avant de briser la traditionnelle bouteille du baptême sur l’étrave du navire.
Sur l’estrade et le tapis rouge déployés pour l’occasion se trouvent les représentants de l’autorité portuaire, qui exploitera le remorqueur, ainsi que les membres de la famille Saverys qui dirige la Compagnie maritime belge, dont la filiale CMB.Tech a conçu le navire.
Deux moteurs de 2 MW
Le remorqueur, commandé par le port en 2019, devait initialement entrer en service fin 2021. Sa livraison avec près de deux ans de retard sur le planning initial s’explique par le côté très novateur de l’Hydrotug1. L’hydrogène qu’il utilise n’est en effet pas consommé par une pile à combustible qui alimenterait un moteur électrique, comme c’est souvent le cas à bord des véhicules à hydrogène.
Le navire de 30 m de long pour 12,5 m de large et 5,9 m de tirant d’eau, qui affiche une force de traction de 65 t, dispose d’une salle des machines d’apparence très traditionnelle. En y descendant, on est d’abord surpris par l’odeur de neuf qui y règne, l’Hydrotug1 ayant été livré au port d’Anvers-Bruges le 30 novembre. S’ils ne parfument pas la salle des machines, les hydrocarbures y sont pourtant bien présents. Le gasoil alimente en effet les deux groupes Volvo à la norme Stage V qui fournissent l’électricité du bord. Ce carburant est aussi utilisé par les deux moteurs principaux de 2 MW chacun, fournis par la compagnie gantoise Anglo Belgian Corporation (ABC).
Gasoil et hydrogène dans le même cylindre
Particularité de ces moteurs : ils ne consomment pas seulement du gasoil, mais également de l’hydrogène. Le gaz est directement injecté dans chaque cylindre selon une proportion variable pouvant atteindre 75 % du carburant utilisé mais qui se limite généralement à 50 %. L’Hydrotug1 embarque au total 415 kg de dihydrogène, stocké dans 54 bouteilles sur le pont avant du remorqueur.
Ces 54 « cigares », comme les appellent les trois membres d’équipage, permettent une autonomie de 24 heures de navigation. Largement suffisant pour les besoins du navire, à bord duquel la relève d’équipage se fait toutes les huit heures.
Vers un hydrogène « vert »
L’Hydrotug1 sera exploité par l’autorité portuaire pour les bassins de la rive droite de l’Escaut, en amont de l’écluse maritime. En aval de celle-ci, ce sont d’autres remorqueurs des sociétés privées Boluda Towage et Antwerp Towage qui vont chercher les navires en mer pour leur faire remonter l’estuaire de l’Escaut.
Pour le port d’Anvers-Bruges, qui s’est lancé dans la « décarbonation » de ses activités et vise la neutralité carbone en 2050, l’utilisation du dihydrogène par ses remorqueurs est une étape importante, puisque l’Hydrotug1 doit permettre une réduction de 65 % des émissions de CO2 par rapport aux remorqueurs précédents. Il faut pour cela une production décarbonée d’hydrogène, ce qui pourrait être obtenu par exemple grâce à l’énergie éolienne. Le port d’Anvers, où fonctionne un électrolyseur, s’est couvert ces dernières années d’éoliennes que l’on peut voir tourner au-dessus de chaque bassin.
Le mot du jour « fierté»
« Nous devons commencer par verdir notre propre flotte », souligne Jacques Vendermeiren, directeur général du port. « Ce premier Hydrotug nous engage vers la transition énergétique alors que nous sommes à la croisée des chemins pour parvenir à la décarbonation. Nous sommes fiers d’ouvrir la voie avec une technologie de rupture, même si ce rôle de pionnier nécessite d’investir beaucoup d’argent, de subir des retards et de défricher la réglementation ».
Échevine du port de la ville d’Anvers, qui préside à ce titre le conseil d’administration du port, Annick De Ridder s’est déclarée « fière que le monde maritime nous regarde aujourd’hui et que la première mondiale que constitue l’Hydrotug ait lieu en coopération entre l’autorité portuaire et une entreprise, CMB, qui symbolise l’esprit d’entreprise flamand ».
Alexander Saverys, directeur général de la CMB, est sur la même ligne et proclame le caractère « fièrement européen, distinctement belge et très anversois » du groupe familial. « Nous nous sommes engagés il y a six ans dans le long voyage de l’hydrogène, rappelle-t-il, et nous avons prouvé que la décarbonation du secteur maritime n’est pas un rêve lointain mais une réalité d’aujourd’hui. »
Hydroville, la vitrine technologique
La CMB, en effet, n’en est pas à son coup d’essai avec l’hydrogène. Dès 2017, l’armateur anversois avait innové avec le premier navire doté d’un moteur à hydrogène : l’Hydroville. Conçue par CMB Tech, cette unité de 14 m peut embarquer 16 passagers et naviguer jusqu’à 27 nœuds grâce aux 600 cv fournis par ses deux moteurs Volvo. Outre ses deux cuves de 250 litres de diesel, il dispose de deux autres cuves permettant de stocker un total de 400 litres d’hydrogène à 200 bars. Comme ceux de l’Hydrotug, ses moteurs sont prévus pour consommer à parts égales gasoil et dihydrogène.
L’Hydroville, à l’origine, n’était pas exploité commercialement mais utilisée pour transporter sur l’Escaut le personnel du groupe, entre Kruibeke et Anvers. Une bonne solution pour traverser le fleuve en évitant les bouchons routiers des heures de pointe. C’est avec ce navire que CMB, en collaboration avec Air Liquide, a développé la technologie de soutage d’hydrogène utilisée aujourd’hui sur l’Hydrotug1. Ce soutage évite d’avoir recours à des bouteilles d’hydrogène interchangeables, solution plus simple pour s’approvisionner en hydrogène en échangeant une vide contre une pleine, mais qui présente l’inconvénient majeur de devoir recourir à des bouteilles d’un poids considérable, alors que le poids et l’encombrement du stockage de carburant est une des faiblesses majeurs de ce gaz par rapport au gasoil. L’Hydroville constitue aujourd’hui une vitrine pour CMB, qui a en outre pu affiner ainsi la technologie d’injection de dihydrogène dans les cylindres d’un moteur diesel.
Hydrocat pour décarboner la maintenance des éoliennes offshore
La technique de bicarburation gasoil-hydrogène a aussi été mise par la CMB au profit de l’industrie éolienne offshore. L’armateur, via sa filiale Windcat, est en effet très actif dans les services maritimes avec une flotte de 55 navires de transfert d’équipage (CTV). Depuis 2022 est entré en flotte l’Hydrocat 48, un navire transportant 26 personnes et qui utilise les deux carburants. Il a déjà été utilisé au large d’Ostende puis, au cours de l’été 2023, pour l’installation d’un champ d’éolienne au large de l’Écosse. Un autre navire de ce type est en construction et deux autres devraient suivre.
Windcat va ensuite passer à la taille supérieure, avec la construction commandée à Damen de deux CSOV, des navires de 85 m utilisés pour la construction et la maintenance des éoliennes offshore. Ces deux navires utiliseront aussi l’hydrogène. Un carburant cependant réservé aux « petits » navires selon Roy Campe, directeur technique de CMB.Tech, qui met aussi en avant les avantages de l’alliance entre gasoil et hydrogène : « L’ammoniac est adapté aux navires hauturiers, l’hydrogène aux bateaux portuaires et côtiers. Nous ne pouvons pas construire aujourd’hui un bateau qui sera utilisé au cours des trente prochaines années et fonctionnerait uniquement au gasoil. La construction, cependant, coûte plus cher, de même que l’exploitation. Si un client est prêt à payer davantage pour utiliser de l’hydrogène, nous le ferons. Dans le cas contraire nous naviguerons uniquement au gasoil. »
Deux carburants, gage de sécurité
L’utilisation du gasoil et de l’hydrogène dans le même moteur présente en outre un tout autre avantage, dans le domaine de la sécurité : en cas de fuite ou de tout autre incident sur le circuit hydrogène, l’approvisionnement peut en être coupé et le moteur continue à fonctionner comme un diesel classique. Un point intéressant pour la sécurité en mer, afin de rester manœuvrant tout en limitant les risques avec l’hydrogène, dont la fuite est à la fois plus difficile à éviter et plus dangereuse que celle du gasoil.
Pour l’Hydrotug1, le coût de construction est supérieur d’environ 20 % à celui d’un remorqueur classique. Mais il s’agit, selon Roy Campe, du premier d’une série pour CMB.Tech, qui a déjà sur la table à dessin un futur remorqueur dont la construction comme la maintenance seraient moins coûteux. « Anvers est une vitrine qui va donner envie à beaucoup de ports et d’autres utilisateurs de s’équiper de remorqueurs à hydrogène. Ils pourront s’appuyer sur nous qui avons démontré ici une efficacité technique et économique. »