MEPC 77 : acte manqué et occasion ratée selon le secteur privé

La 77e session du Comité de protection du milieu marin, qui s’est clôturée le 28 novembre, n’a débouché sur rien de probant, selon les organisations maritimes. Elles souhaitaient obtenir une révision des objectifs de décarbonation négociés en 2018 et poser les termes du débat sur la création d’un fonds de R&D de 5 Md$ et d’une taxe carbone. L’OMI n’a pas dérogé de son ordre de jour et reporté ces sujets aux prochains MEPC, en 2022 et/ou 2023...

Les États-membres, qui siégeaient à l’Organisation maritime internationale (OMI) la semaine dernière pour la 77e session du Comité de protection du milieu marin (MEPC), ont à peine touché au plat du jour, se sont régalés les commentateurs à l’issue de cette session, devenue stratégique depuis qu’il est question de décarbonation du transport maritime.

Aucune des propositions défendues par le secteur maritime n’a été débattue. Elles ont surtout été remises à plus tard. Le MEPC77 a incontestablement généré du dépit et de la déception au sein des organisations représentatives du secteur, qui semblent oublier le mode de fonctionnement de l’organisation onusienne. À l’OMI, le compromis est roi pour préserver les équilibres mondiaux entre les quelque 175 membres aux intérêts divergents. Et obtenir le consensus prend nécessairement du temps, dont l’échelle n’est pas celle de l’économique et encore moins celle de l’urgence climatique.

Sur ces questions, la cassure est de plus en plus nette. Deux blocs s’opposent entre les partisans d’un durcissement les objectifs de décarbonation, d’une taxe carbone  et d’une contribution obligatoire pour alimenter un fonds de R&D et ceux qui s’y opposent en partie. Parmi les pays plaidant en faveur d’une politique plus ambitieuse de l’OMI figurent notamment l'UE27, le Canada, le Japon, le Liberia et les pays insulaires du Pacifique. Parmi les « antis », l'Arabie saoudite, le Brésil, l'Argentine, la Chine ou encore la Russie. 

Pas de révision avant 2023 ?

De l’avis des principales organisations maritimes, la session, qui s’est tenue durant cinq jours la semaine dernière, n’a donc pas été probante. Heurtés par les minces avancées obtenues lors de la COP26, les pays plaidant pour des objectifs de décarbonation rehaussés, dont la France, pensaient forcer la porte à l’OMI. D’autant qu’une trentaine de nations s’étaient rangées durant le sommet international sur le climat derrière la résolution (nécessitant un vote) portée par les îles Marshall et Salomon. Les États insulaires demandaient une révision à la hausse des objectifs, à savoir que les émissions générées par le transport maritime soient réduites à zéro d'ici 2050. Bien au-delà donc de ce qui avait été convenu en 2018 lorsque la stratégie de décarbonation a été votée, moyennant une revoyure en 2023. Elle assigne le secteur à une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2008 et de 50 % en 2020.

Mais au premier jour de la session, la France, ainsi que l’UE, et d’autres pays (Norvège, les Bahamas, Corée du Sud...) ont voté contre pour une « question d’efficacité », a justifié la délégation française. Le Canada, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni…ont en revanche soutneu la résolution zéro émission, portant au final à seulement huit pays les partisans.

« Les mesures prises lors de cette session sont vraiment importantes, surtout après la COP26. Il sera crucial de renforcer l’ambition de la stratégie initiale de l’OMI en matière de gaz à effets de serre », détonne à l’issue de la session le secrétaire général de l’OMI Kitack Lim alors que le sujet a été reporté au prochain MEPC, qui se tiendra du 8 au 10 juin 2022, soit un an avant la date fixée pour la revoyure. Il est donc fort probable que les nouvelles ambitions ne soient pas révisées avant.

L'OMI remet à plus tard la décision sur la création d'un fonds de 5 Md$

De reports en reports

L’OMI a également remis à plus tard le débat portant sur la création d’un fonds dédié à R&D pour lequel milite l’industrie du transport maritime depuis plus d’un an (baptisé IMRB). Cette proposition avait déjà été présentée à l’occasion du MEPC75 en novembre 2020 et écartée pour être débattue plus tard.

Les organisations représentatives du secteur – la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) en tête car à l’origine de l’initiative – espéraient, à l’occasion de cette semaine, poser les termes du débat sur une contribution obligatoire prélevée sur la tonne de fuel (à raison de 2$) auprès des compagnies afin de collecter 5 Md$ pour financer la révolution de propulsion qui sera nécessaire. Sachant qu’aucune alternative vraiment décarbonée n’est disponible à l’échelle et encore moins l’infrastructure d’avitaillement.

Ils entendaient aussi débattre d’une taxe sur le carbone appliquée aux navires de plus de 5 000 tonnes brutes par le biais d'un mécanisme mondial fondé sur le marché pour réduire l’écart de coût entre les combustibles fossiles conventionnels et les alternatives vertes. 

Nécessité d’une transcription dans la loi

La Chambre internationale du transport maritime (ICS), qui dit représenter 80 % de la flotte marchande mondiale, a regretté dans un communiqué publié le 26 novembre une « occasion manquée ». « Les gouvernements ne peuvent pas continuer à botter en touche. Chaque retard nous éloigne de la réalisation des objectifs climatiques urgents. Le fonds de R&D de 5 Md$ comme étape immédiate et une taxe sur le carbone sont les deux seules mesures qui permettront de parvenir à des émissions nettes nulles pour le transport maritime d'ici 2050. »

L’ICS marque son dépit tout en réaffirmant sa détermination à obtenir une décision sur ces sujets. Les entreprises ne demandent pas l’aumône, signifie la Chambre internationale, « ni subventions ni fonds publics » mais un cadre réglementaire et législatif : « que les gouvernements nous laissent nous mettre au travail et faire ce qui doit être fait. Il n’est plus temps de tergiverser ». En clair, que leurs propositions soient ancrées dans la législation, seule à même de signifier à toutes les parties de la chaîne de valeur maritime que la transition est irréversible et de veiller à ce qu’elle soit équitable pour tous, en sanctionnant éventuellement ceux qui ne s'y conformeraient pas.

Satisfaction du secrétaire général

« Il est décevant de voir les mêmes gouvernements, qui faisaient de grandes déclarations à la COP26 il y a quelques jours, ne pas joindre le geste à la parole lorsqu'il s'agit de prendre des mesures concrètes à l'OMI. Notre secteur est difficile à décarboner car les technologies et les carburants complètement décarbonés ne sont pas encore disponibles. Nous devons maintenant faire avancer les choses vers un point de basculement qui donne des signaux clairs au marché. C'est pourquoi l'immobilisme inexplicable des pays membres de l'OMI concernant l’IRMB est préjudiciable », a indiqué lors de la clôture John Butler, PDG du World Shipping Council (WSC). L’organisation, qui représente plus spécifiquement les intérêts du secteur du conteneur, estime qu’avec la mise en œuvre d’un tel fonds, « des navires sans émissions de gaz à effet de serre pourront être mis à l'eau d'ici le début des années 2030 ».

En revanche, de son côté le secrétariat de l’autorité de réglementation du transport maritime estime avoir bien progressé sur les mesures de réduction des gaz à effet de serre à court terme, propositions qui du reste étaient à l’ordre du jour. Cette session devait en effet avancer sur les dernières avancées du MEPC 76. Il avait alors été acté quelques mesures techniques et de court terme via deux outils portant sur l’efficacité énergétique des navires (EEXI) et l'intensité de carbone (Carbon Intensity indicator, CII). Il a été convenu que l’intensité carbone soit améliorée de 2 % par an entre 2023 et 2026 (une amélioration de 1,5 % par an jusqu'en 2023 et de 2 % par an jusqu'en 2026), soit 11 % sur durée. Là encore, les États occidentaux – États-Unis, Union européenne et Royaume-Uni – auraient souhaité qu’elle soit à « au moins » 21,5 % en 2030 par rapport à 2019. 

Demi-mesure pour l’Arctique

L’ONG Clean Arctic Alliance, qui appuyait la proposition de résolution soumise par onze États membres de l'OMI appelant les navires opérant en Arctique et en proximité à proscrire le fuel lourd, a aussi exprimé une forme de déception « sur un texte édulcoré, vidé de sa substance ». Toutefois, son porte-voix, Sian Prior, a reconnaissant « un premier pas ». Selon lui, la substitution par des alternatives décarbonées permettrait une réduction immédiate d'environ 44 % des émissions de carbone noir, « substances polluantes qui se retrouvent sur la calotte glaciaire de l’Arctique et contribuent à l’accélération de sa fonte. »

Or, l’OMI s’est limitée à « encourager les États membres à commencer à s’attaquer à la menace que représentent ces émissions » et « les prie instamment de faire en sorte que les exploitants utilisent des carburants de substitution lorsqu’ils opèrent dans l’Arctique ».

La Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Angola sont également pointés du doigt à cet égard par l’association de défense de l’environnement.

Adeline Descamps

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