Les pétroliers n’ont pas été touchés par la grâce et restent à l’écart du halo de prospérité qui enveloppe les porte-conteneurs, les vraquiers et les méthaniers depuis 12 à 18 mois. Les premiers ont été dopés par le boom de la consommation, les seconds par des matières premières en ébullition, les troisièmes par la crise énergétique, la faiblesse des stocks, et les arbitrages dans les gazoducs. Pendant ce temps, les navires-citernes sont contraints par les restrictions de mobilité, affaires et voyages, qui plombe la demande de pétrole.
Les navires de produits pétroliers et de brut ont opéré une bonne partie de l’année à des niveaux de rentabilité et d'exploitation dégradés, sans couvrir leurs frais d'exploitation et encore moins atteindre le seuil de rentabilité.
Les taux spot mondiaux moyens sont tombés à 800 $/j pour les VLCC de plus de dix ans (- 90 % en un mois) alors que pour couvrir leurs coûts d’exploitation, ils devraient au moins gagner à 26 000 $. À 4 200 $/j par jour, les suezmax sont également loin de leurs seuil de rentabilité de 19 000 $ par jour, selon Clarksons.
Effondrement des investissements
« Le marché pétrolier est conditionné à la demande de carburant de transport. C’est son talon d'Achille par rapport à d'autres matières premières », indique Gibson dans sa dernière note. Pour le courtier, la demande de pétrole ne devrait revenir aux niveaux prépandémiques que cette année, alors que la flotte s'est accrue de 4 % depuis la fin de 2019. Il gage surtout sur la faiblesse des stocks de pétrole, qui, « lorsqu'ils seront confrontés à une reprise de la demande, forceront une augmentation du commerce maritime à la fois pour le brut, car les raffineurs augmentent leur production pour répondre à la demande, et pour les produits, car ces carburants sont distribués sur le marché ».
Les stocks sont en effet inférieurs aux moyennes quinquennales, à savoir 100 millions de barils par jour, faute de demande certes, mais résultant aussi de l'effondrement en 2020 des dépenses d'investissement dans les nouvelles sources d'approvisionnement, à environ 350 Md$.
Événement improbable
L’émergence d’un « cygne noir », comme les analystes se plaisent à appeler ces événements statistiquement presque impossibles mais qui se produisent tout de même, peut aussi propulser les taux des pétroliers à des niveaux quasi record. « Tout comme un conflit commercial entre l'Australie et la Chine a eu un impact sur le vrac sec, le risque d'une confrontation majeure entre la Russie, l'Europe et les États-Unis pourrait redéfinir complètement le commerce du pétrole ». Comme un éventuel embargo pétrolier sur la Russie...
Si la demande se fait attendre, l’offre se discipline. « Les propriétaires de pétroliers devraient être rassurés par le fait que les livraisons en 2023 sont à leur plus bas niveau depuis environ 25 ans et s'annoncent également relativement faibles en 2024. »
Mises à mort
Quand bien même les exploitants de tankers auraient des envies, ils seraient corsetés dans leur appétit car la plupart des chantiers navals de premier ordre sont désormais complets pour 2023, ce qui signifie que la flotte de pétroliers enregistrera une croissance minimale au cours des deux prochaines années.
Selon les statistiques de Clarkson Research Services, les commandes des chantiers navals ont été orientées l’an dernier vers les porte-conteneurs (42 Md$) et le gaz (21,6 Md$). Les commandes de pétroliers représentent 7,3 % de la flotte existante, loin de 26 % pour les porte-conteneurs.
Tout comme Gibson, BRS appelle les propriétaires de navire-citerne à envoyer à la ferraille. « Si la mise au rebut est anticipée en 2022, cela aidera à garantir les fondamentaux de la flotte. Pendant ce temps, du côté de la demande, il semble qu'il faudra attendre au moins le deuxième semestre avant que la demande ne retrouve un cours normal ce qui suggère que le premier semestre de l'année ne devrait pas changer le sort des propriétaires de pétroliers actuellement en difficulté », a-t-il déclaré dans son dernier rapport consacré aux tankers.
105 pétroliers retirés du marché
La flotte de transporteurs de brut et de produits pétroliers de plus de 10 000 tpl a connu une croissance nette de 2,7 % (en tonnage port en lourd, tpl) en 2021, selon les données de Simpson Spence Young, contre 3,2 % et 5,7 % en 2020 et 2019. Quelque 105 pétroliers totalisant une capacité de 9,4 Mtpl ont été retirés du marché au cours de l'année 2021, soit le niveau le plus élevé depuis 2018, mais très loin de cette année où 20,1 Mtpl avaient été envoyés à la ferraille.
Ces dernières heures, les cours du pétrole s'envolent à nouveau. Le prix du baril de Brent de la mer du Nord pour échéance en mars s’est établi 87,55 $. À New York, le baril de West Texas Intermediate (WTI) pour livraison en février atteignait aussi son niveau de 2014, à 85,21 $. Les tensions géopolitiques croissantes au Moyen-Orient (avec les rebelles yéménites Houthis) et la situation à la frontière entre l'Ukraine et la Russie font craindre de nouvelles perturbations alors que l’offre est déjà tendue.
L’offre est serrée quoi qu’il en soit. Si l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et ses partenaires (Opep+) ont progressivement augmenté les objectifs de production, mais certains membres, dont l'Angola, le Nigeria ou la Libye, peineraient à atteindre leurs quotas.
Adeline Descamps