Le transport maritime en dix données

Le transport maritime a été marqué en 2021 par des événements sinon inattendus du moins inédits. Aux derniers jours de 2021, certains indicateurs manifestaient l'envie de prolonger le match.

1 – Les taux de fret dans le conteneur ont défrayé la chronique

Le principal combustible à la situation du transport maritime de conteneurs reste les taux de fret spot, enrôlant dans leur spirale haussière les contrats long terme, estimés par Xeneta à 5 700 $ en moyenne entre la Chine et la côte ouest des États-Unis. Le SCFI, qui reflète les taux de fret maritime sur le marché au comptant au départ de la Chine, est passé de 2 783 points le 31 décembre 2020 à 5 047 points aux toutes dernières heures de 2021 (il est actuellement à 5 109,60). Les prix du transport maritime expliquent en grande partie les marges bénéficiaires des exploitants de porte-conteneurs qui ont battu tous les records en 2021. Selon l'indice spot hebdomadaire de Drewry (10 180 $ entre Shanghai et Los Angeles), le transport d’un conteneur sur le marché au comptant était encore en fin d’année cinq à dix fois supérieurs à ce qu'il était au cours de la dernière décennie.

La Deutsche Bank prévoit que les taux de fret moyens des deux transporteurs seront en hausse de 30 % en 2022 par rapport à 2021. Elle anticipe un Ebitda de 34,6 Md$ pour Maersk en 2022, soit une hausse de 43 % par rapport à 2021, et de 20,4 Md$ (+56 %) pour Hapag-Lloyd . Les deux armateurs danois et allemands présentaient, selon la banque allemande, les meilleures marges bénéficiaires en 2021. D’où sa polarisation sur ces deux entreprises.

Les tarifs d'affrètement des porte-conteneurs sont repartis à la hausse en fin d’année alors qu’ils avaient déjà été portés tout au long de l’année au plus haut par une offre réduite. Le 14 décembre, le tarif journalier était, par exemple, de 135 000 $ pour un porte-conteneur de 8 500 EVP, de 87 000 $ pour un 4 000 EVP ou encore de 29 500 $ pour un 1 000 EVP selon Alphaliner.

2 – Les tarifs d’affrètement des vraquiers ont frôlé la folie

Le tarif journalier d’un capesize à l’affrètement est passé de 32 604 $ le 30 juin à un pic de 86 953 $ le 7 octobre, soit une augmentation de 167 %. Les taux ont ensuite baissé mais tout en restant à un niveau élevé.

Dans le vrac sec, selon Trading Economics, le Baltic Dry Index s'établit actuellement à 5 167 points (+ 157 % au cours de l'année écoulée) Le secteur n’avait pas connu cette euphorie depuis septembre 2008 et la récession de la crise financière. À ceux qui craignent un bégaiment de l’Histoire, la situation est bien différente aujourd’hui. En 2008, la crise, subite et brutale, était survenue alors que les compagnies maritimes avaient commandé de nouveaux navires sur la base de taux élevés. Cette nouvelle capacité avait été livrée alors que le monde avait déjà plongé dans le noir.

Ce n'est pas le cas aujourd'hui, « du moins pas encore », assure Klaveness Research. La flotte mondiale de vraquiers ne devrait augmenter que d'environ 2 % au cours de chacune des deux prochaines années. C’est un indicateur précieux pour apprécier l’évolution des taux d’affrètement. Les armateurs devraient donc bénéficier d'une manne de revenus pendant encore un temps sous réserve que la conjoncture maîtrise son hyper volatilité.

Les prix à l’affrètement des navires polyvalents, qui ont notamment été employés pour transporter des conteneurs, sont également concernés par l’inflation. Au 1er janvier, il fallait compter 18 973 $ par jour contre 7 000 $ en décembre 2020.

3 – Le cours des actions des compagnies cotées s’est envolé 

La forte performance du secteur mondial du transport maritime par conteneurs a généré des retombées très intéressantes pour les investisseurs en actions, conviennent les analystes.

Drewry Maritime Financial Research, la branche de recherche sur les investissements de Drewry, confirme dans son Container Forecaster de Drewry publié en décembre. D’après cette analyse, les opérateurs asiatiques de la ligne régulière auraient été les plus performants, avec une hausse de 1 583 % pour Yang Ming (au 15 décembre 2021), de 987 % pour Evergreen et de 976 % pour Wan Hai. HMM a généré un rendement de 621 %. Une croissance plus modeste a été observée en Europe, où les actions de Hapag-Lloyd ont augmenté de 192 % et celles de Maersk de 123 %.

Ces résultats peuvent être attribuées pour partie au renforcement des bilans. Les résultats financiers de 12 transporteurs suggérent en effet que la dette cumulée a diminué de 3,5 Md$ entre fin décembre 2020 et fin septembre 2021, pour atteindre 73,2 Md$. Un certain nombre de transporteurs sont en position où leur solde de trésorerie est supérieur à la dette totale. Un territoire rarement défriché dans le secteur...

Les données d’Alphaliner sont moins flatteuses. D’après le spécialiste de la ligne régulière, le cours des actions des principales sociétés de transport de conteneurs aurait augmenté en moyenne de 140 % en 2021. Les taïwanais ont enregistré les gains les plus importants, entre 200 et 300 %. À leur apogée en juillet, leurs actions totalisaient 3,81 billions de TWD (137 Md$), soit 30 % de la valeur totale de la bourse de Taïwan. Hapag-Lloyd a vu ses titres augmenter de 150 % tandis que Matson (+ 46 %), Cosco (+ 47 %) et Maersk (+ 56 %) affichent des augmentations plus « modestes ».

Drewry et Alphaliner s’entendent sur un fait. Entre le 26 novembre – date à laquelle l'OMS a désigné Omicron comme un variant préoccupante – et la fin de l’année, les actions des compagnies ont enregistré une hausse équivalente à celle du S&P500, entre 11 et 33 % (selon Alphaliner). Les cours étaient pourtant en retrait depuis juillet, les marchés gageant alors sur une rapide normalisation du marché (et donc de la baisse des taux de fret). Les investisseurs dont donc considéré que le nouveau variant pourrait une fois de plus faire grimper les revenus du transport maritime.

Pour renforcer encore la confiance des investisseurs, les grandes compagnies maritimes ont initié des programmes de rachat d’actions. Les administrateurs de Maersk ont ainsi approuvé un programme supplémentaire de rachat d'actions de 5 Md$ pour les années 2024 et 2025, ce qui porte le total en cours à 10 Md$ (2022 à 2025). Cosco a également annoncé le 6 décembre un rachat à hauteur de 10 % de ses actions A et H en circulation, sous réserve de l'approbation des actionnaires.

4 – Les taux de fret ont réveillé l’inflation

Dans un contexte d’augmentation rapide de la demande, de perturbations de l'offre et d'épuisement des stocks, l'OCDE considère que la hausse des prix des matières premières et des taux de fret dans le transport maritime par conteneurs (indice SCFI, marché spot) explique en grande partie la reprise de l'inflation des prix à l'importation (+ 11 %) et à la consommation (+ 1,5 %). Soit des niveaux inégalés. 

Les banques centrales en Europe s'attendent à ce que l'inflation se calme lorsque les effets des déséquilibres mondiaux entre l'offre et la demande s'atténueront. Or, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement s'avèrent plus persistantes que prévu. L'inflation devrait donc rester élevée pendant la majeure partie de l'année 2022 alors qu’il était prévu de rendre les politiques monétaires un peu moins accommodantes du fait des déficits élevés et des niveaux d'endettement croissants. La perspective effraie les investisseurs qui craignent la hausse des taux d’intêrêts.

La Réserve fédérale américaine a déclaré, elle, qu'elle réduirait plus rapidement son plan de relance par l'achat d'obligations et a annoncé une hausse des taux d'intérêt en 2022. 

5 – Les navires se sont vendus comme des petits pains

À la mi-décembre, le coutier grec Allied Shipbroking avait recensé 1 897 ventes de navires en 2021, pour une capacité totale de 130,84 millions de tpl. C'est bien plus que le nombre consolidé de transactions observées chaque année depuis la crise financière et 32 % de plus (mesuré en tpl) que le dernier record enregistré en 2017.

MSC a incontestablement été le plus vorace avec 411 000 EVP acquis en seconde main, soit une augmentation de 10,7 % sur une base annuelle. En 2021, la compagnie a été hyperactive sur le marché de l'affrètement, de la construction neuve et de l’achat de seconde main. Ce qui lui a permis de détrôner Maersk officiellement le 5 janvier. 

Dans cette posture, elle n’a d’égal qu’Evergreen (près de 1,48 MEVP). La taïwanaise, septième dans le classement mondial d’Alphaliner, a acquis des navires totalisant 199 250 EVP, augmentant ainsi sa capacité de près de 16 %. Wan Hai Lines a également été très active sur le marché S&P, notamment pour des navires de petite taille (2 038 à 3 055 EVP) totalisant 26 500 EVP.

Les ventes de vraquiers, qui s’arrogent traditionnellement la part du lion de l'activité S&P, ont également établi des records. Le nombre de transactions a été en hausse de 64 % en 2021 par rapport à 2020 et de 34 % plus élevé que le récent pic de 2017. Le courtier Intermodal a relevé 740 opérations l’an dernier, les vraquiers à fort tonnage représentant environ 65 % des transactions.

6 – Les commandes ont accaparé les chantiers navals

En dépit des coûts de construction qui ont flambé concomitamment au cours de l’acier, les carnets de commande des chantiers navals se sont garnis d’une floraison de porte-conteneurs au point de bloquer les créneaux des constructeurs pour d’autres catégories de navires. Entre janvier à septembre 2021, selon Clarksons, des commandes ont été passées pour 470 porte-conteneurs d'une capacité d'environ 3,9 MEVP (0,2 MEVP à la même période de 2020).

Aussi, le GNL s’est ancré l’an dernier. Selon DNV, le nombre de navires commandés au GNL a atteint les 240 unités, soit plus que les quatre années précédentes réunies. La flotte en service et en commande représenterait désormais près de 10 % de la flotte mondiale (189 il y a un an). Cette croissance est enregistrée alors que les prix du GNL ont grimpé de plus de 300 % pour atteindre des niveaux record en 2021 et devraient rester élevés en 2022 en raison de l'augmentation de la demande. Il y a actuellement 35 navires de soutage au GNL en opération selon DNV, contre 27 en 2020. Vingt-quatre autres sont en commande.

7 – Les candidats à la ferraille ont déserté

Les chantiers de démantèlement étant majoritairement situés en Asie (Bangladesh, Inde, Pakistan), les opérations de recyclage ont été, à plusieurs reprises, entravées par les restrictions sanitaires.

Les porte-conteneurs et les vraquiers ont surtout manqué à l’appel. Pour ces deux catégories, il s’agissait plutôt de gérer la pénurie que le trop-plein en 2021. Les taux de fret élevés dans ces deux segments ont limité les envois à la ferraille. Alors que 31 % des mises à la casse (48 navires) les concernaient entre juin et octobre 2020, ils n’étaient que huit durant la même période de cette année. Même destin pour les porte-conteneurs si bien que seuls deux ont été envoyés à la ferraille entre le 30 juin et le 25 octobre, ce qui représente une baisse de 94 % par rapport à 2020, au cours de laquelle 34 unités avaient terminé leur vie en Asie.

Seuls les navires-citernes, les paquebots et les navires offshore étaient de potentiels cibles. Pour autant, si les navires de produits pétroliers et de brut ont opéré une partie de l’année à des niveaux de rentabilité et d'exploitation dégradés, sans couvrir leurs frais d'exploitation et encore moins atteindre le seuil de rentabilité –, tous n’ont paradoxalement pas encombré les plages de la baie d’Alang. Les propriétaires de VLCC ont notamment assuré des voyages à perte plutôt que de condamner certains de leurs navires, anticipant un fort rebond du marché avec les campagnes massives de vaccins et la reprise du trafic aérien. Ils ont péché par excès d’optimisme.

Aussi, pour Clarkson Platou Hellas, la majorité des grands pétroliers, qui ne sont plus dans les clous des normes et spécifications (OMI), ont été acquis à des niveaux de prix bien au-delà de ce qu’ils en auraient tiré avec le recyclage. Mais en fin d’année, la mise à la casse à la casse s’est accélérée (112 à fin octobre). Le prix moyen de la ferraille sur le sous-continent indien, qui n’a cessé d’augmenter l’an dernier, explique sans doute cette précipitation. Fin octobre, il était estimé à 620 $/t contre 390 $ en 2019. Un VLCC pouvait donc rapporter 27,7 M$ selon VesselsValue alors qu'en octobre 2019, le même était démantelé pour 19,8 M$.

Pour le courtier, le Bangladesh a été le principal recycleur en 2020, avec plus de 200 navires, devant l'Inde (plus de 150), qui détient désormais la certification de conformité à la convention de Hong Kong, et le Pakistan (environ 100).

8 – Les primes ont flambé

Portées par l'envolée des taux de fret par conteneur, les compagnies maritimes ont connu une croissance considérable de leurs revenus. Les bénéfices consolidés du secteur pourraient avoisiner les 150 Md$. Les salaires en profitent. Evergreen, qui a déclaré un bénéfice après impôts de 5,7 Md$, a par exemple annoncé des primes allant jusqu’à 40 mois de salaire selon « les résultats » du salarié. Certains employés ont ainsi pu empocher jusqu'à 72 400 $.

CMA CGM va octroyer à l’ensemble des salariés de l’activité shipping huit semaines de salaire supplémentaires au titre de l’année 2021. Les marins français et étrangers de CMA Ships bénéficieront en outre d’une enveloppe globale de 4 M€. Sachant que l’accord salarial de NAO (négociation annuelle obligatoire) prévoit par ailleurs une augmentation salariale cette année.

Maersk a offert une prime de 1 000 $ en décembre à ses 80 000 employés. 

9 – Les milliards ont été investis...

Sur le seul mois de décembre, les trois premiers leaders mondiaux du transport maritime de conteneurs ont débloqué 15 Md$ pour trois acquisitions. CMA CGM a mis sur la table 3 Md$ pour le rachat à l’entreprise américaine Ingram Micro de son activité Commerce & Lifecycle Services. MSC a soumis une offre au groupe Bolloré pour ses activités portuaires africaines sur la base d’une valeur d’entreprise de 5,7 Md€. Histoire de bétonner son offre. Vincent Bolloré n’en attendait sans doute pas tant… Maersk a offert 3,6 Md€ pour un groupe chinois de logistique, valorisé à 1,4 Md$.

10 – … et ont servi au désendettement

Hapag-Lloyd a soldé l’année sur une dette ramenée à 1,2 Md€, contre 5,5 Md$ en début d’année. CMA CGM, l'une des plus endettées suite à l’acquisition de Ceva Logistics en 2019, a réduit son endettement de 18 à 12 Md$ en deux ans, ce qui a permis à l’entreprise de procéder à un remboursement d’obligation à échéances pour un montant de 750 M€. Le singapourien PIL, en très grande difficulté ces deux dernières années, a annoncé être en mesure de finaliser la restructuration de sa dette de 1 Md$ avant son échéance.

Adeline Descamps

 

 

 

Shipping

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15