Conteneurs : le retour des tensions sur le front européen

Face à un marché en ébullition, les chargeurs et les transitaires européens demandent aux autorités européennes de la concurrence d'intervenir. Dans un courrier conjoint, l'Association des transitaires et le Conseil des chargeurs européens font part de « conditions déraisonnables » dans l'acceptation des réservations et des tarifs bien supérieurs à ceux convenus dans les contrats.

Une page a été tournée mais le livre n’est pas achevé. Les tensions qui prévalaient au cours du second semestre de l’année 2020 sur le marché des conteneurs ne sont toujours pas neutralisées. Loin s’en faut, elles s’exacerbent. Et les transitaires et chargeurs, qui paient chèrement les perturbations sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en raison de l’épidémie, ne semblent pas lâcher prise. Le Conseil des chargeurs européens (European Shippers' Council, ESC) et l’Association des transitaires européens (CLECAT) ont même démarré l’année bruyamment, enjoignant Bruxelles à « prendre des mesures similaires à celles des autorités compétentes dans d'autres parties du monde. »

Contrairement aux autorités de régulation chinoises et américaines – le très policé mais ferme ministère chinois des Transports (MOT) et les redoutables commissaires américains de la Commission fédérale maritime (FMC) – l’UE s’est bien gardée d’entrer dans la mêlée jusqu’à présent. L’envolée des taux de fret, les disponibilités contraintes, la gestion controversée du repositionnement des conteneurs vides qui hérissent tant les chargeurs ont laissé impavide la direction de la concurrence européenne. Bruxelles s’est contenté d’adresser un courrier durant l’été 2020 aux compagnies quand, à Pékin et à Washington, elles ont été convoquées et sommées de réinjecter des capacités en mer voire de plafonner toute augmentation des taux de fret.  

Conteneurs et reefers : à la limite du chaos

Interventionnisme de la FMC

Outre-Atlantique, la congestion croissante des quais, liée à une rotation inopérante des conteneurs vides des ports américains vers la Chine, avait fini par alerter la Commission maritime fédérale américaine. Saisie par les usagers des ports, l’administration américaine a élargi mi-novembre le périmètre d’une enquête qu’elle avait lancée fin mars pour identifier les dysfonctionnements de la chaîne d’approvisionnement.

Le nouvel objet de l’étude vise à déterminer s’il y a entorse à l'article 46 U.S.C. 41102 portant sur « les politiques et les pratiques des compagnies de transport maritime en matière de détention et de surestaries dans et autour des terminaux maritimes et en termes de gestion des conteneurs à l’export. » La FMC prêtait alors l’oreille à quelques remontées négatives : « certains transporteurs menaceraient de faire payer des frais élevés pour le non-respect des délais de retour des conteneurs vides, même dans les cas où la congestion a rendu cette opération difficile ou impossible », indiquait-elle. La FMC avait alors durci les règles et avait demandé à ce que lui soient signalés les non-conformités. 

Prix du marché contre contrats long terme

Face à un marché sous pression, les compagnies rejettent en bloc tout ce dont on les accuse de façon plus ou moins implicitement : maintenir expressément la tension sur les taux de fret afin de choyer leurs trésoreries voire réserver leurs équipements aux trade les plus lucratifs. Grâce à une gestion au cordeau des capacités dans un marché hyper versatile, elles ont en effet très bien géré la crise consécutive à l’épidémie et ont pu se refaire une santé financière en 2020. Ce que les chargeurs ont bien du mal à concevoir au vu de ce qu’ils estiment être des entailles dans le contrat de service. Aucune compagnie ne nie les tensions sur les équipements et notamment le déficit de conteneurs, le parc des 25 millions d’unités ne suffisant manifestement pas. 

Personne n'aurait pu prévoir les fluctuations de la demande sans précédent, arguent-elles. Personne n’aurait pas non plus imaginé des consommateurs confinés en acheteurs compulsifs de biens d’équipement « dans des volumes conséquents ». Car c’est bien l’explosion de la demande outre-Atlantique qui a entraîné un boom des importations, responsable aujourd’hui des points de tension dans la chaîne d’approvisionnement. CMA CGM indiquait en décembre que tous ses contrats sont honorés, quand bien même la situation est tendue.

Le directeur des lignes, Olivier Nivoux, reconnaissait toutefois que la situation était en effet difficile pour ceux qui opèrent sur le marché spot, où la pénurie de l’offre alimente une envolée des cours. Morale de l’histoire : ceux qui ont joué les prix de marché contre les contrats long terme ont perdu cette année. Il n’est pas anormal que les marchés spot, qui reflètent d’ordinaire le rapport de force momentané entre l’offre et la demande, surréagissent à une telle pression sur la demande.

En attendant, une gymnastique spatiale étrange se joue sur les quais pour récupérer l’excès de conteneurs qui jonchent les ports ouest-américains afin de les envoyer au plus en Chine afin d’être rapidement chargés et repartir pleins. Ce qui, par effet domino, nourrit un défaut « globalisé » d’équipements, dont pâtissent les exportateurs européens. Certaines compagnies maritimes transporteraient chaque semaine plus de 30 000 EVP de conteneurs vides en direction de l'Asie et utiliseraient également des navires affrétés pour les évacuer lorsque leurs propres navires sont pleins...À la fin du troisième trimestre 2020, Hapag-Lloyd aurait ainsi transporté plus de 165 000 EVP sur 44 navires spécifiquement dédiés aux chargements vides... 

Olivier Nivoix, directeur de lignes CMA CGM : « nous renforçons notre capacité de 10 % entre l'Asie et l'Europe au premier trimestre 2021 »

« Pratiques déraisonnables » 

Les arguments et les déclarations d’intentions des opérateurs de la ligne régulière annonçant des renforts en mer – CMA CGM annonce 10 % de capacités supplémentaires entre l'Asie et l'Europe au premier trimestre 2021 – ne semblent pas avoir convaincus. Dans le courrier adressé aux autorités de la concurrence européenne, les chargeurs et transitaires dénoncent notamment le non-respect des contrats dans les disponibilités et les prix, des « conditions déraisonnables » dans l'acceptation des réservations et des pratiques inopportunes des frais de surestarie et de détention, telles des «​ surtaxes pour déséquilibre d'équipement », dont ils ne sont pourtant pas comptables, s’époumonent-ils.

Les représentants européens de ces professions craignent surtout pour les plus petits de leurs membres aux trésoreries contraintes. « Un exemple révélateur est celui d'une entreprise française produisant des vélos électriques qui risque de faire faillite car elle ne reçoit pas de pièces détachées en provenance d'Asie. En raison des retards et du manque d'espace, combinés à la hausse des tarifs, cette jeune entreprise enregistre des pertes et n’est pas en mesure de terminer ses produits pour la vente. » 

Taux de fret : cette pilule si amère (par Paul Tourret, directeur de l’Isemar)

Juge de paix, le World Shipping Council a tenté de calmer le jeu dans un communiqué intitulé Assessing the COVID Cargo Crunch, appelant à éviter les pratiques qui ne font qu'aggraver la situation, telles « les réservations fictives, le fait de sauter des rendez-vous dans les terminaux ou de conserver des conteneurs chargés comme solution de stockage. » Depuis août, le SCFI, le thermomètre du secteur conteneurisé composé des taux spot au départ de la Chine vers de nombreuses destinations dans le monde, a des envies de prendre l’air et grimpe toujours plus haut, dépassant allègrement les 4 000 $ par EVP.

 Reste un mystère : si 60 % des conteneurs en circulation sont négociés dans le cadre des contrats à long terme entre l’armateur et le chargeur, comme il est communément admis, comment comprendre certes les envolées du SCFI mais aussi du China Container Freight Index, qui semble aussi tenté par les montées d’escalier ? En 2020, il a grimpé de 30 % sur les routes principales par rapport à l’an dernier. 

Adeline Descamps

 

 

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