Bruxelles s'attaque à la concurrence déloyale

 

La Commission européenne a présenté son plan d’attaque pour mettre un terme aux distorsions de concurrence au sein de son marché unique. Les aides d'État consenties aux compagnies et aux chantiers navals asiatiques est un sujet sensible dans l’écosystème maritime européen.

« Il existe manifestement un vide réglementaire » ; « aborder la question du vide réglementaire » ; « il s’agit de définir les instruments juridiques envisageables pour combler le vide réglementaire »… À lire le document de 57 pages que vient de commettre l’UE sur les effets de distorsion causés par les subventions étrangères au sein du marché unique, il y a manifestement… « un vide réglementaire » dans ce domaine en Europe. Et la « nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe » présentée le 10 mars dernier entend y remédier. Pour l’heure, la réponse de l’UE à la concurrence pour ne pas dire « déloyale » des entreprises étrangères, prend la forme d’un livre blanc (white paper on levellin the playing field as regards foreign subsidies). Il vient d’être présenté par la vice-présidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence et ex-ministre danoise de l'Économie Margrethe Vestage, aux côté du commissaire européen au Marché intérieur, le français Thierry Breton.

Ces compagnies qui appellent l’État en renfort

 Concurrence biaisée

« L'UE figure parmi les économies les plus ouvertes du monde, ce qui attire des niveaux d'investissement élevés de la part de nos partenaires commerciaux, explique Phil Hogan, commissaire chargé du commerce. Toutefois, notre ouverture est de plus en plus remise en question par des pratiques commerciales étrangères, y compris les subventions, qui faussent les conditions de concurrence équitables pour les entreprises de l'UE. Le livre blanc offre une boîte à outils pour notre autonomie stratégique ouverte.»

Si les subventions accordées par les États membres ont toujours été soumises aux règles de l'UE en matière d'aides d'État afin d'éviter les distorsions, celles octroyées par des autorités de pays tiers à des entreprises dans l'UE ne relèvent pas de ce contrôle. « Mais elles semblent avoir une incidence négative croissante sur la concurrence au sein du marché unique. Il existe un nombre croissant de cas dans lesquels les subventions étrangères semblent avoir facilité l'acquisition d'entreprises de l'UE ou faussé les décisions d'investissement, les opérations de marché, les politiques tarifaires ou encore une procédure de passation de marchés publics, au détriment des entreprises non subventionnées », relève le livre blanc.

Par ailleurs, les règles de défense commerciale existantes ne concernent que les exportations de marchandises en provenance de pays tiers et ne permettent donc pas de remédier à toutes les distorsions dues à des subventions étrangères octroyées par des pays tiers.

Aides d’État : quelles compagnies y ont goûté ?

  Les asiatiques, abondamment subventionnées       

L’affaire n’a échappé personne et dans le secteur maritime et portuaire, le sujet revient vite sur la table même quand il ne figure pas à l’ordre du jour. Encore récemment, le PDG d’AP Møller-Maersk, à l’occasion de la présentation de ses résultats financiers, s’emportait contre ses homologues asiatiques HMM et Yang Ming. « Il est totalement inacceptable qu’elle reçoivent des aides d'État alors qu’elles n'ont pas gagné d'argent depuis dix ans », ne se privait pas Soren Skou. Le dirigeant avait ensuite demandé à ce que l'UE intervienne, considérant que les soutiens publics faussent la concurrence. Il en avait aussi profité pour épingler le soutien apporté par la Corée du Sud à la construction navale [les constructeurs coréens ont reçu en 2018 un financement de 2,6 Md$ de la banque publique sud-coréenne], estimant que les chantiers navals ne devraient pas recevoir de subsides « pour construire des navires destinés à des transporteurs qui ne sont pas rentables. »

Le dirigeant réagissait alors que les pouvoirs publics coréens et taïwanais se précipitaient une fois de plus au chevet des compagnies nationales en difficulté. La Corée du Sud doit abonder son secteur maritime à hauteur de 1 Md$, dont plus de la moitié (591 M$) fléchée vers le transporteur national HMM. La banque publique Korea Development Bank (KDB) a déjà injecté dans les liquidités de la compagnie 1,7 Md$ en 2017 et 850 M$ fin 2018. La Corée du Sud est d’ailleurs conduite par le Japon à s’expliquer devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) après la plainte déposée en février dernier.

Quant à Yang Ming, contrôlé à 48 % par des entités publiques, dont le ministère taïwanais des Transports et des communications (MOTC), son conseil d'administration a approuvé le 6 mai un placement privé de 300 millions d'actions afin de lever des capitaux. La compagnie, qui accumule aussi les déficits – 220 M$ en 2018, 144 M$ en 2019 et encore 27 M$ au premier trimestre 2020 – avait déjà levé 10,3 milliards de NTD en 2017 grâce à de nouvelles émissions d'actions auxquelles les entités gouvernementales avaient contribué pour plus de la moitié du montant total levé.

Surveillance des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques

Dans les ports européens, on dénonce aussi l’absence de surveillance des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques et on réclame la réciprocité. Alors qu’en Chine, le gouvernement interdit aux étrangers de disposer de plus de 49 %, la Fédération européenne des ports et exploitants portuaires (Feport) a toujours demandé à qu’il en soit de même en Europe pour éviter le scénario du Pirée, avec le rachat par Cosco du port grec. « Ne disposant d’aucun instrument qui permettent de limiter l’investissement dans domaine portuaire au-delà d’une certain seuil dans un domaine stratégique, nous sommes dans une vulnérabilité totale », faisait valoir la Feport avant les élections européennes. L’organisation européenne considère que si « demain, on doit autoriser des opérateurs maritimes ou des investisseurs non européens à mettre de l’argent dans nos ports et dans les armements, il va falloir avoir des instruments pour vérifier s’ils sont subventionnés ou pas par des États. Nous avons besoin de sécurité juridique au niveau européen comme cela existe dans l’aérien ».

Les représentants institutionnels du secteur maritime questionne aussi une certaine politique maritime et industrielle menée il y a plusieurs décennies qui a fait que l’ensemble des navires qui étaient construits en Europe sont partis en Chine « car on a arrêté de subventionner les chantiers navals ».

Trois options

Dans son livre blanc, l'exécutif européen propose plusieurs instruments de contrôle du marché et détaille trois cas pour lesquels il se propose d’intervenir : dans le marché unique en général ; lors d'acquisitions d'entreprises de l'UE ; lors des procédures de passation de marchés publics.

Dans le premier cas – le marché unique en général – si  l'existence d'une subvention étrangère est établie, l'autorité de surveillance, « qui devrait être une autorité nationale ou la Commission », pourrait imposer des mesures, telles que des paiements compensatoires.

Dans le second cas, le livre blanc propose, qu’à partir d'un certain montant (le chiffre d’affaires de 100 M€ est évoqué), les sociétés étrangères, largement financées par des États, soient obligées de notifier les acquisitions ou participations significatives au capital. Les transactions ne pourraient pas être clôturées tant que l'examen de la Commission est en cours. L'autorité de surveillance pourrait, en dernier ressort, interdire l'acquisition.

Long voyage

Dans le dernier cas, celui des marchés publics, le livre blanc considère que les subventions étrangères peuvent accorder un avantage indu aux soumissionnaires en leur permettant par exemple de soumettre des offres à un prix inférieur au prix du marché, voire au prix de revient, et d'obtenir de ce fait des marchés publics qu'ils n'auraient pas obtenus autrement. Bruxelles propose alors que ces sociétés étrangères notifient en amont les aides dont elles bénéficient de la part de leur État. Et s'il est avéré que ces subventions faussent la concurrence, la compagnie étrangère pourrait être exclue de l'appel d'offres.

La Commission européenne doit désormais recueillir des avis et des contributions de toutes les parties prenantes sur les options présentées. La consultation publique, ouverte jusqu'au 23 septembre, est le préalable à des propositions législatives. Le document entreprend donc un long voyage avant une quelconque action ou réaction.

Adeline Descamps

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