Retour à la case départ pour les articles relatifs au secteur maritime contenus dans la composante « recettes » du projet de loi de finances 2025 (PLF). Les sénateurs, qui ont commencé leur parcours au Sénat le lundi 25 novembre, après son rejet par les députés, ont abordé le 28 novembre le célèbre article 12, qui prévoit une « contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des grandes entreprises de transport maritime de plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires » selon la terminologie du gouvernement, mais qui ne concerne en réalité que l’armateur français CMA CGM.
Lors de l’examen en première lecture, les députés avaient voté en faveur d’une pérennisation au taux de 5,5 % au-delà des deux seuls exercices budgétaires de 2025 et 2026 pour lesquels la contribution avait été initialement pensée de façon à rapporter 500 M€ en 2025 (taux de 9 %) et 300 M€ (taux de 5,5 %) en 2026 aux comptes publics. Ils avaient également adopté un amendement du vice-président socialiste de la Commission des Finances, Philippe Brun, prévoyant de caper la taxe au tonnage, le régime fiscal dérogatoire dont bénéficie le secteur au niveau européen et mondial, à 500 M€. L'amendement avait été voté par le Rassemblement national et la gauche.
Rejets en bloc
Contrairement au Palais bourbon, les sénateurs ont validé la contribution exceptionnelle de CMA CGM dans les proportions décidées par le gouvernement (800 M€ sur deux ans), ont décidé de ne pas la pérenniser au-delà de l’échéance initialement prévue et de ne pas revenir sur la taxe au tonnage qui permet de calculer l’impôt sur les sociétés à partir du tonnage de la flotte et non sur la base des bénéfices réels de la société. Il n'est pas non plus question de plafonner la taxe au tonnage à 500 M€ (deux amendements rejetés).
Le palais du Luxembourg a ainsi tranché sur les débats qui encadrent la situation particulière de CMA CGM, privilégiant en somme la contractualisation à la taxation : ils ont choisi de faire contribuer la grande entreprise du secteur aux comptes publics du pays tout en lui concédant l’avantage d’une fiscalité particulière. À elle et à l’ensemble des entreprises du secteur. « Ce secteur a une fiscalité particulière pour des raisons spécifiques, a rappelé in situ Laurent Saint-Martin, ministre en charge du Budget et des Comptes publics. C'est un choix politique. Il ne s’agit pas d’un débat global sur l’attractivité et la fiscalité du pays. La question est bien plus simple. Sans cette taxe au tonnage, on n’a plus d’armateur national et de pavillon français. On a tous intérêt collectivement, industriellement et commercialement, à garder cette entreprise en France, dans l’intérêt du pays, des emplois et de cette économie-là ».
Suppression de la taxe au tonnage rejetée
L’amendement (990) du sénateur de la Sarthe, Thierry Cozic, qui portait sur la suppression de la taxe au tonnage, a donc été rejeté. « Par cet avantage, accordé par la France depuis 2013, il s’agissait de défendre les armateurs européens de la concurrence étrangère et d’éviter l’exit fiscal par l’usage de pavillons étrangers. Or, depuis plus de 20 ans, cette mesure est en échec » plaide l’élu du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. La part des navires sous pavillon européen a décroché par rapport à l’ensemble de la flotte mondiale : entre 2017 et 2022, sa croissance est de 3,3 % quand elle est de 7 % au niveau international. »
Sur ce sujet, le sénateur se fait l’écho des arguments avancés par les députés de son groupe à l’Assemblée nationale : « ce dispositif a permis à CMA CGM de défiscaliser ses bénéfices records de 23,5 Md$ en 2022 et a représenté un manque à gagner pour les finances publiques de 5,6 Md€ en 2023 et de 3,8 Md€ en 2022 ». Thierry Cozic s’en réfère ici au dernier rapport de la Cour des comptes, classant la taxe au tonnage comme la troisième niche fiscale française, sans rappeler qu’il s’agit d’années exceptionnelles.
Contribution exceptionnelle rehaussée rejetée
Le sénateur défendait, dans un autre amendement (994), de mieux encadrer la contribution exceptionnelle de CMA CGM en la pérennisant pour « qu’elle reflète mieux la réalité de ses bénéfices ». Un amendement identique (1673) voulait augmenter le taux de 9 à 18 % tandis que l’amendement 408 souhaitait rehausser l’écot de de CMA CGM à 525 M€ (au lieu de 500 M€) en 2025 et à 320 M€ en 2026 (au lieu de 300 M€) avec pérennisation. Tous ont été rejetés par une assemblée réduite à quelques sénateurs et avec avis défavorable de la commission des finances. « C’est un sujet de concurrence internationale. Cela n’excuse pas tout mais c’est un fait, évacue le rapporteur général de la commission des finances, le LR Jean-François Husson.
Pour justifier son vote, Claude Raynal, sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (Haute-Garonne) et président de la commission des Finances explique que le coche a été loupé quand il aurait fallu le faire. « C’est au moment où il y avait des bénéfices extravagants en période de crise que l’État était en droit de négocier une participation de ces entreprises mais pas au moment où il est en difficulté et que nous sommes revenus à un cycle normal. Nous sommes d’accord pour dire qu’il vaut mieux avoir le troisième armateur mondial que pas. Il n’empêche que la faute a été commise ».
Bien que les bénéfices de CMA CGM soient « déments », avec un « résultat d’exploitation multiplié par 55 et des profits par 24 », cet article arrive trop tard aussi pour le sénateur des Côtes d’Armor Gérard Lahellec (CRCE, Groupe communiste républicain citoyen et écologique), qui convient que la stigmatisation d’une seule entreprise peut être discriminatoire. « La CMA CGM ne peut pas servir de caution au gouvernement pour protéger d’autres entreprises qui réalisent des profits indus ».
Suramortissement vert prolongé jusqu'en 2027
Le Sénat a également prolongé jusqu’en 2027 le dispositif dit de suramortissement vert pour le financement de la décarbonation des navires, institué par la loi de Finances de 2019, modifié dans celle de 2024 mais pas retenu dans le PLF 2025 si bien que le mécanisme doit s’éteindre à la fin de l’année.
Alors que le gouvernement est sous la menace d'une potentielle motion de censure la semaine prochaine à l'Assemblée sur le budget de la sécurité sociale (PLFSS2025), les sénateurs continuent leurs travaux sur le projet de loi de finances jusqu'à dimanche, avec près d'un millier d'amendements encore au programme.
Calendrier à écueils
L'adoption par 49.3 des textes budgétaires après lecture définitive à l'Assemblée nationale devient de plus en plus probable. Le prochain écueil pour le gouvernement est le PLFSS 2025, prévu la semaine prochaine. La partie recettes du PLF 2025 doit être adoptée au Sénat d’ici le 30 novembre, avec un vote au Sénat sur l’ensemble du texte dès le 12 décembre. Une commission mixte paritaire députés et sénateurs est prévue autour du 16 décembre et le texte sera alors soumis au vote, 49.3 et risque de motion de censure en embuscade.
Adeline Descamps
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