Nommé il y a à peine deux mois au gouvernement avec la délégation de la Mer et de la Pêche, Fabrice Loher a échappé au bizutage malheureux lors de son rendez-vous avec la communauté maritime française réunie au grand complet (1 500 inscrits) ce mardi 19 novembre, jour d'ouverture des Assises de l’économie de la mer.
Le maire de Lorient devait surmonter une difficulté et esquiver une potentielle menace pour cette 19e édition qui se tient cette année à Bordeaux, où il a été accueilli par Alain Rousset, président PS de la région Nouvelle Aquitaine. La première embûche consistait à « survivre » à ses illustres prédécesseurs qui se sont succédé à la scène. Le président Emmanuel Macron y a usé ses discours à hauteur de vue panoramique. L'actuel maire du Havre et ex-premier Ministre Édouard Philippe y a réservé sa vision portuaire, laquelle tient toujours lieu de stratégie nationale. L'une des rares ministres de la Mer de plein droit, Annick Girardin, y a lancé sa vaste consultation à 360° appelé Fontenoy du maritime, qui a débouché sur quelques arbitrages favorables. Le sémillant Hervé Berville y a sévi contre la concurrence sauvage post-Brexit en transmanche (loi contre le dumping social entrée en vigueur en 2024).
L'autre chausse-trappe tenait au fâcheux code protocolaire. Le ministre devait prononcer son discours après Rodolphe Saadé, dont l'intervention s’est avérée bien moins martiale ou revancharde que ce que le contexte aurait pu présager. Le PDG de CMA CGM, à la tête du troisième armateur mondial auquel il est demandé un geste patriotique (moins exceptionnel que prévu) de 800 M€ sur les deux prochaines années, était attendu sur ce chapitre alors que la presse évoquait ces derniers jours un peu probable départ économique du pays.
Finalement, fidèle à sa sobriété proverbiale, il aura opté pour la variante « douce » de son discours. « Cette contribution exceptionnelle, je la comprends et l'accepte, car je suis patriote. Dans le contexte budgétaire actuel, il est normal que les grands chefs d'entreprises françaises aident la France à résorber son déficit public. Mais contribution ne doit pas dire confiscation. Ce qui nous est demandé doit être juste et limité dans le temps. Sinon, cela aura un impact important sur nos investissements », a cependant glissé Rodolphe Saadé. Des propos plus durs auraient fait riper le ministre alors que CMA CGM est sensible aux demandes de Bercy, investissant au capital d’entreprises en difficulté (Brittany Ferries, La Méridionale), acquérant des sociétés à impact pour qu’elles ne passent pas dans un pavillon étranger et aligne des milliards pour décarboner sa flotte…
Un discours habile
Nonobstant les inévitables références littéraires – le poète de la Renaissance et cofondateur de la Pléiade Joachim du Bellay pour Fabrice Loher –, le ministre a amorcé à 12h35 sa prestation par une longue mention habile à tous ceux et celles qu’il a eu l’occasion de croiser ces dernières semaines et qui « font vivre l’économie maritime » : « Rachelle et Orama, qui viennent de faire leur rentrée à l’ENSM, et qui se demandent sur quel type de navire, et avec quel type de propulsion, ils exerceront demain leur métier ; Sébastien , patron-armateur d’un chalutier, qui constate une présence inédite de dauphins auprès des côtes et qui s’interroge sur l’avenir de son métier ; Béatrice et Laurence, ostréicultrices, préoccupées par la qualité des eaux côtières ; Thomas, soudeur sur un chantier naval à Saint-Nazaire depuis bientôt 30 ans, qui se demande quel jeune prendra sa relève ; François, commandant d’un porte-conteneur sous pavillon tricolore, pour lequel son armateur a pu bénéficier d’un régime fiscal adapté, et pour lequel l’équipage français a pu bénéficier d’une formation performante… »
Un cap, une méthode, des priorités
Le représentant du gouvernement a rappelé le cap, posé sa méthode et fait part des grandes priorités de son ministère. Sa boussole est la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), document adopté en juin et qui fixe un cap pour les six prochaines années. Les modalités de financement seront examinées « par une mission inter inspections », annonce-t-il. Quant à sa méthode d’actions « pour faire face au changement global et aux chocs multiples pour lesquels le secteur maritime est en première ligne », il compte notamment placer la planification et la science au cœur de la décision publique. « C’est la raison pour laquelle le gouvernement fait du projet Mercator une priorité, en développant un modèle de jumeau numérique de l’océan ». Il signera aussi prochainement le contrat d’objectifs, de moyens et de performance pour l’Ifremer, qui devrait conforter le modèle et les financements de l’établissement en difficulté.
Il s’est montré également disposé à ce qu’un instrument financier relaye le fonds d’intervention maritime (Fim), « qui a permis de soutenir 250 projets à travers plus de 40 M€ de subvention, au cours des trois dernières années ».
Souveraineté à tous les étages
Comme ses prédécesseurs, il entend également faire du maritime un levier de souveraineté, dans toutes ses composantes, sécuritaire (maîtrise des espaces maritimes et des chaînes logistiques qui conditionnent les approvisionnements du pays), numérique, alimentaire (création d’un fonds sanitaire conchylicole), énergétique...
À cet égard, le gouvernement a publié le 18 octobre la carte de déploiement de l'éolien en mer d'ici 2035 et 2050, énergie censée représenter 20 % de la production électrique française en 2050, avec des projets prévus sur toutes les façades maritimes de l'Hexagone. Cette publication réaffirme l'objectif de production de 18 gigawatts (GW) en 2035 et 45 GW en 2050, contre 1,5 GW aujourd'hui. Elle ouvre également la voie au lancement dès le début d’année 2025 du dixième appel d'offres (AO10), de 9,2 GW, soit environ 150 % des parcs déjà attribués et six fois la puissance des parcs déjà en service. Le gouvernement vient par ailleurs de retenir douze candidats pour l'AO9 qui concerne l’extension du parc éolien du Sud Bretagne (AO5), de deux parcs en Méditerranée (golfe de Fos et Narbonnaise, AO6) et de celui d’Oléron (AO7).
Flotte stratégique, une forme opérationnelle à venir
Sur la flotte stratégique, il entend lui donner une forme opérationnelle, « sur la base des travaux du député Yannick Chenevard et grâce à la déclinaison de certaines de ses recommandations ».
Pas d’Assises de l’économie de la mer sans évoquer la diplomatie environnementale. Fabrice Loher n'y a pas dérogé. Et de reprendre à son compte les combats et les succès de ses prédécesseurs, à savoir le renforcement du réseau d’aires marines protégées à travers le processus de labellisation des zones de protection forte, dès 2025, le moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins, la préservation de la haute mer (traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dit BBNJ), dont la ratification est désormais en cours de finalisation. En attendant, sa prochaine échéance diplomatique est « la troisième conférence des nations unies pour les océans que nous organiserons l’an prochain à Nice » dont il compte faire un levier pour obtenir « de réels progrès sur ces différents chantiers », s'est engagé le ministre, qui a également confirmé le lancement de l’Année de la mer en 2025.
Cadre fiscal stabilisé ?
Mais il était surtout attendu sur le cadre fiscal alors que la taxe au tonnage et les exonérations de charges sociales, notamment patronales, qui ont permis aux entreprises du secteur de redevenir concurrentielles, sont menacées par le PLF 2025. « L'industrie maritime française doit naviguer dans un environnement complexe face aux enjeux géopolitiques, écologiques et numériques. Pour tenir le rythme et rester parmi les leaders mondiaux, le secteur privé ne peut pas porter tout seul. Il faut que l'État prenne sa part en amorçant la baisse de la dépense publique, en garantissant la stabilité du cadre fiscal et en permettant aux entreprises de se développer librement », l'avait devancé Rodolphe Saadé.
Sur le sujet, le ministre a apporté une réponse en biais : « je fais de la politique de soutien à notre pavillon, dans toutes ses composantes, une priorité absolue de mon ministère. Elle repose sur un cadre fiscal et réglementaire cohérent, équilibré, qui a fait ses preuves. Il ne peut pas être totalement étranger aux efforts budgétaires qui affectent tous les secteurs de notre économie. Mais la taxe au tonnage, les exonérations de charges en faveur de nos armements les plus exposés à la concurrence internationale, et notre régime de soutien aux investissements constituent un cadre cohérent. Et cette cohérence doit impérativement être préservée ».
Il confirmera par ailleurs, ce que Christophe Béchu, alors ministre de la Transition énergétique et de la Cohésion du territoire, avait indiqué à l'occasion de la soirée annuelle des Armateurs de France le 9 avril. « Une partie » des recettes issues du système maritime d’échange de quotas d’émission (ETS ou SCEQE) sera affectée au soutien à la décarbonation du secteur. En salle de presse, le représentant de l'exécutif précisera que le montant total de la partie française pourrait représentera entre 170 et jusqu’à 400 M€ (en fonction de la montée en puissance de l'ETS). Selon le décompte jusqu’à présent annoncé, 25 % des recettes reviendront à l’Union européenne pour alimenter un de ses fonds innovation et 75 % à chaque État-membre. Trois catégories de navires devraient en bénéficier en priorité, répondant à ceux qui polluent le plus, à savoir les gaziers, les porte-conteneurs et les ferries.
Pour le verdissement de la flotte, le ministre a annoncé qu’un nouvel appel à projets, lancé via le Secrétariat général pour l’investissement, fléché vers l’innovation, sera publié dès cette semaine, et doté d’une enveloppe de plusieurs dizaines de millions d’euros. Il sera accompagné d’un nouvel appel à manifestation d’intérêt du conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer).
Adeline Descamps