Alors que le gouvernement entrevoit l’horizon au bout de son long tunnel parlementaire obstrué par l'encombrant projet de la réforme des retraites, une partie de la France a encore prévu de descendre dans la rue ce 6 juin à l’appel de huit syndicats pour la 14e journée de mobilisation. Deux jours avant l’examen de la proposition de loi (PPL) du groupe Liot au parlement, cependant vidée d’une bonne partie de sa substance.
La PPL, visant à abroger la retraite à 64 ans pour rétablir la retraite à 62 ans, passée en revue en commission des Affaires sociales la semaine dernière, a été retoquée par 38 voix contre 34. Conformément à ce qui était prévu, le groupe parlementaire n’aura d’autre choix que de réintroduire l’article supprimé par le biais d’un amendement qui pourrait alors être déclaré irrecevable financièrement par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet au nom de l’article 40 de la constitution.
Premiers décrets publiés
Les premiers décrets d’application ont été publiés au Journal Officiel ce dimanche 4 juin. Et l’un d’entre eux entérine précisément la mesure la plus controversée du texte de loi, à savoir l’augmentation progressive de l’âge d’ouverture des droits à la retraite de 62 à 64 ans et la durée d’assurance requise pour le taux plein.
Le second est en lien « avec les départs anticipés, notamment s’agissant des carrières longues et au titre du handicap », indique le communiqué du gouvernement.
Ces deux décrets sont les premiers des 31 textes d’application qui seront publiés avant le 1er septembre.
Agenda social
Les syndicats ne désarment pas dans la rue et parallèlement ont avancé des propositions communes pour obtenir des « avancées sociales », font-ils savoir : augmentation des salaires dans le public et le privé, égalité hommes-femmes, rétablissement des critères de pénibilité supprimés en 2017 pour permettre des départs à la retraite anticipés, élargissement des droits et prérogatives des représentants du personnel en matière environnementale...
La CGT n’exclue pas de son côté une 15e journée de mobilisation si le vote sur la proposition de loi Liot était empêché le 8 juin.
Trois jours de mobilisation dans les ports
Dans les ports, la Fédération nationale des Ports et Docks CGT, qui revendique toujours une retraite à 60 ans pour tous et à 55 ans pour les professions pénibles, appelle à 4 heures d'arrêt de travail, heures supplémentaires et shifts exceptionnels, les 6, 7 et 8 juin, donc les trois jours encadrant la journée de mobilisation interprofessionnelle et le passage au parlement de la proposition Liot.
« Les propos et provocations du président de la République, isolé, hors sol, voire dangereux pour notre démocratie ne font que renforcer la détermination et la colère des travailleurs portuaires et dockers », indique le communiqué qui réagit également aux propos tenus par Emmanuel Macron lors de sa visite le 25 mai sur le port de Dunkerque, où, fait rare, la CFDT domine la réprésentation des personnels.
« À Dunkerque, il y a un port qui fonctionne bien, qui ne fait pas grève », avait déclaré Emmanuel Macron, ce que la CGT a pris pour une attaque à l'endroit du droit de grève. « Nous n’avons de leçons à recevoir de personne, y compris le Président de la République, concernant notre capacité de négociation permettant des acquis sociaux. Le syndicat CGT du grand port maritime de Dunkerque a toujours été dans la lutte », rétorque le syndicat.
Au pic de la crise sociale, les dockers à Dunkerque s’étaient en effet mobilisés, ce qu'ils n'avaient plus fait depuis 30 ans.
À l’occasion de sa visite dans la ville des hauts-de-France, région de Xavier Bertrand, Emmanuel Macron avait confirmé l'implantation des usines du Taïwanais Prologium (fabrication de batteries) et du Chinois XTC (cathodes) sur du foncier portuaire.
Des trafics en berne
Les ports français ont été très perturbés par les trois mois de grèves perlées contre la réforme des retraites. Au point qu’aucun d’entre eux ne veut communiquer sur ses trafics, arguant d’une habitude de communication semestrielle. Un argument à la carte en fonction des résultats.
« Pourquoi communiquer quand ils ne sont pas bons », a balayé d’un revers de main Hervé Martel, le président du port de Marseille, aux journalistes présents à la réélection de Gérald Kothé, le représentant local de MSC, à la tête de l’Association des agents et consignataires de navires (AACN) à Marseille.
Pour cause, entre janvier et mars, tous trafics confondus, le port phocéen a encaissé une baisse de 19,2 %, passant de près de 20 Mt à la même période l’an dernier à 15,65 Mt.
Dans la catégorie des marchandises diverses, ce n’est pas le conteneur qui sort le plus affecté mais le conventionnel (- 38 %). Pour autant, le conteneur a dévissé de 23 % (à 312 994 EVP à l’issue du trimestre).
Le roulier accuse une perte de vitesse de 15 %. Seul le transport de véhicules neufs échappe aux difficultés (+ 19 %). Point de salut du côté des vracs liquides et solides, respectivement en chute de 16 et 25 %.
Partant de très bas dans un contexte post-Covid, le trafic passagers est en revanche sous amphétamines (+ 201 % pour les croisières, effet de base expliquant) à l’exception de la ligne régulière (- 14 %).
Cumul de difficultés
Tout ne peut naturellement pas être attribué aux mouvements sociaux. Partout en Europe, les résultats sont mauvais, tous confrontés à un environnement économique difficile, cumulant des tensions géopolitiques, un contexte de sanctions à l’égard de la Russie, une inflation persistante, des stocks élevés dans les entreprises, la consommation du détail en berne.
Rotterdam a ainsi vu son volume de conteneurs chuter de 11,6 %, à 3,2 MEVP au cours des trois premiers mois tandis qu'Anvers-Bruges a traité 3,1 MEVP, en baisse de 5,7 %.
Hambourg ne fait pas mieux avec un trafic général en perte de 10,2 % et de 15,9 % pour le conteneur (1,9 MEVP). « Le premier trimestre a été marqué par des conditions d'exploitation difficiles, principalement pour le transport de conteneurs. Les annulations d'escales et plusieurs grèves en mars ont affecté les opérations portuaires », a expliqué Axel Mattern, en charge du marketing de l'établissement portuaire.
Les ports de l’Europe du Nord, Royaume-Uni compris, ont connu eux aussi des grèves mais pour des revendications salariales dans un contexte d’inflation.
La récession « technique » annoncée en Allemagne n'est pas une bonne nouvelle pour les ports et le transport maritime, jetant une ombre sur les importations de la haute saison tout en portant un nouveau risque de contestations sociales.
Adeline Descamps
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