En mai, le dérèglement de la ligne régulière a atteint son seuil critique

En mai, les chargeurs et les armateurs n’ont pas fait ce qu’ils auraient voulu. Mais ils ont en commun un certain « quoi qu’il en coûte » en se montrant tous deux disposés à payer cher, les uns pour des navires, les autres pour des places à bord. La demande insatiable a fait bondir l'indice Freightos Baltic Global Container Index (FBX) de près de 20 %. Récapitulatif du marché.

Quoi qu’il en coûte. Il n’y a pas que les transporteurs qui se montrent disposés à payer chèrement des navires pour répondre à une demande échappant à tout entendement comme le marché vient d’en livrer une preuve. La frénésie est telle qu’un panamax – une unité comprise entre 4 000 et 5 299 EVP – aurait été négocié récemment entre 100 000 et 145 000 $/j pour un emploi de 80 jours, selon Alphaliner. Il s’agirait du S Santiago, un navire de 5 060 EVP construit en 2006, propriété de Cyprus Sea Lines que VesselsValue évalue à 38,48 M$. C’est dire qu’avec les 145 000 $, le propriétaire du porte-conteneurs affrété va récupérer en à peine quatre-vingt jours 11,6 M$, soit un tiers de sa valeur. 

Le navire est devenu une denrée précieuse car rare mais l’espace à bord l’est tout autant. Et les digues psychologiques (de prix) chez les chargeurs semblent avoir sauté. Ils sont apparemment enclins à mettre le prix pour que leur fret puisse embarquer, redoutant plus encore d’avoir à payer le stockage dans les entrepôts.

Machine à consommer

Voilà plusieurs mois que la machine à consommer s’est emballée sans se consumer et en se renouvelant en permanence. Les stocks des détaillants sont au niveau du plancher, mais prométhéens, ils s’épuisent aussi vite qu’ils se restaurent.

La flotte inactive est au plus bas et il faudra attendre quelques années (horizon 2023) pour que l’offre afflue sur le marché. Les caisses renflouées par des taux de fret et d’affrètement bloqués au zéphyr, les exploitants de navires et propriétaires de flotte ont mis en sommeil l’austérité budgétaire pour « se lâcher » sur les achats de navires neufs.

Pas moins de 55 navires d'une capacité moyenne de 6 256 EVP ont été commandés entre le 1er avril et le 25 mai (dont 22 par le seul armateur français CMA CGM) alors que 97 navires avaient déjà été commandés en mars, selon le décompte de l’organisation professionnelle représentant les armateurs BIMCO.

Depuis le début de l'année, quelque 229 navires d'une capacité totale de 2,2 MEVP ont fait l’objet de contrats signés avec les chantiers alors que les livraisons se sont bornées à 393 566 EVP. Le marché attend cette année 480 000 EVP. Cependant, les livraisons de 2021 à 2022 ne devraient apporter qu'une croissance marginale à la capacité de la flotte mondiale. « La majorité du tonnage nouvellement commandé devant être livré en 2023, la croissance de la flotte devrait ralentir l'année prochaine avant de revenir en force en 2023, année où nous prévoyons déjà la livraison de 1,5 MEVP », assure l’association.

Dérèglement logistique

En attendant, et à ce niveau, le dérèglement logistique est critique. Le récapitulatif du mois de mai est éclairant. Les taux Asie-Méditerranée ont été les premiers à franchir la barre des 10 000 $ pour un conteneur de 40 pieds (FEU) depuis le début de la pandémie, avec une augmentation de 27 % en mai et de 44 % depuis le début de l'année. Les tarifs Asie - côte Est des États-Unis ont, eux, augmenté de 18 % pour atteindre 7 328 $/FEU tandis que ceux entre l’Asie et l’Europe ont clôturé le mois à 9 871 $/FEU (+ 27 %), soit plus de six fois et demie leur niveau d'il y a un an.

L'encombrement des ports européens, la concurrence pour l'obtention d'équipements et la redistribution de certaines capacités sur d’autres trade ont fait grimper les tarifs entre l’Europe et la côte est-américaine de 27 %, à 4 046 $/FEU, et vers la côte est de l'Amérique du Sud de 35 %, à 2 054 $/FEU. C’est dire que les taux sur les deux routes ont plus que doublé depuis le début de l'année. La demande ne faiblissant pas outre-Atlantique, les taux entre l’Asie côte ouest des États-Unis ont également augmenté de 11 % en mai et de 28 % depuis le début de l'année, pour atteindre 5 379 $ pour un conteneur de 40 pieds.

Coûts réels

Mais les coûts réels supportés par les chargeurs pour obtenir de l'espace sont en réalité bien supérieurs et peuvent représenter des milliers de dollars de plus avec des tarifs majorés premium. Les offres des compagnies maritimes « all inclusive » au cours de la semaine du 29 mai se seraient ainsi, selon les sources du marché, établies entre 12 000 et 13 000 $ pour un transport en juin de l'Asie du sud-est vers la côte ouest des États-Unis et de 15 000 à 16 000 $ pour les chargements vers la côte est.

Les tarifs majorés peuvent donc représenter plus du double des tarifs FAK (Freight All Kind, tarification qui donne un prix à l’unité quel que soit le type de fret). Mais sans aucune garantie quant à la date d'expédition des marchandises à en croire certains car les départs de certaines marchandises dites premium, donc prioritaires, ont été manifestement reconduits à plusieurs reprises. Certains transporteurs maritimes traiteraient désormais plus de marchandises premium que de FAK ou de conteneurs à taux fixe.

Bien qu'ils paient des taux au comptant plus de cinq fois supérieurs au prix de l'année dernière, nombreux sont ceux encore plus inquiets à l'idée de payer le stockage dans des entrepôts (surtout asiatiques) pour des marchandises qui ne peuvent être expédiées faute d’espaces sur les navires et plus encore de conteneurs disponibles.

De ce fait, le prix à payer pour expédier leur fret ne serait plus le problème, certains chargeurs se disant prêts à mettre 15 000 $ par conteneur, selon des transitaires. Un grand détaillant américain aurait proposé de payer 15 000$/FEU et plus pour chacun des 100 conteneurs qu’il cherchait à charger en juin à tout transitaire capable de lui trouver de l’espace sur un navire au départ de la Chine pour les États-Unis.

Règne de la réservation

L’approche de la haute saison et les niveaux de stocks de détail historiquement bas ne laissent présager aucune détente sur le marché. Et ce, selon certains, même si avec l’ouverture progressive des économies, les centres d’intérêt de consommation des nord-américains vont inévitablement se déplacer vers un autre pôle de gravité : les loisirs et les services.

Pour autant, les analystes sont nombreux à penser que les porte-conteneurs resteront pleins pendant un temps pour absorber les mois de suspension des échanges, les arriérés et les retards accumulés par les pénuries répétées de main-d'œuvre, la réduction des capacités logistiques, la congestion des ports, la mise en quarantaine des marchandises…, bref tout ce que cette crise « extra-ordinaire » laisse en héritage.

Tant que les exportateurs asiatiques seront prêts à payer très cher pour qu’on leur renvoie les conteneurs vides de façon à les remplir et les réexpédier in extenso vers les États-Unis, « ce sera le règne de la réservation en fonction de son caractère lucratif », confie un industriel. 

Adeline Descamps

 

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