Pierre Calvin, Routes de France : "Nous souhaitons qu'une partie des recettes soit affectée à l'entretien des routes"

Pierre Calvin, président de Routes de France.

Crédit photo Brigitte Cavanagh
L'effondrement du pont Morandi, à Gênes, le 14 août, a relancé la polémique sur l'état du réseau routier et son entretien. Quid du réseau français ? Pierre Calvin, président de Routes de France, syndicat professionnel qui représente 90 % des entreprises du marché des industriels et entrepreneurs du secteur des infrastructures de mobilité, a répondu à nos questions.

Quelles pourraient être les retombées d'un drame similaire à celui de l'effondrement du pont de Gênes sur le sol français ? Comment éviter cette éventualité ? Autant d'interrogations auxquelles a tenté de répondre Pierre Calvin, président de Routes de France. Cet organisme est un syndicat professionnel qui représente 90 % des entreprises du marché des industriels et entrepreneurs du secteur des infrastructures de mobilité et de l’aménagement urbain. Il tend au quotidien à fédérer tous les acteurs de l'écosystème routier : des industriels aux usagers en passant par les responsables politiques et économiques.
 

L'Officiel des transporteurs : Quelles sont vos réactions suite au drame de Gênes ?

Pierre Calvin : Dans un premier temps, nous avons besoin de calme. D’avoir avant toute chose des pensées pour les victimes et leurs proches. Nous avons souvent tendance à aller un peu vite. On a parlé de conception, de réalisation, de foudre sur des haubans, d’exploitation, de gestion de l’ouvrage et notamment du manque de maintenance. Il faut laisser faire l’enquête, et nous serons en mesure de tenir compte des conclusions. Par ailleurs, on se focalise sur Gênes aujourd’hui, mais il n’est pas à exclure que ce type d’incident se produise sur d’autres ouvrages. Enfin, cela met en évidence l’importance de l’infrastructure. Que ce soit en termes de sécurité, mais aussi de ce qu’elle apporte. Car, au-delà de l’impact social de l’accident, on va avoir des problèmes de circulation, de congestion, de pollution, économiques également, notamment liés au port de Gênes, qui est important.

L'OT : Avons-nous également, sur le réseau français, des infrastructures de ce type, en mesure d’avoir un tel impact sur le TRM ?

P. C. : Nous avons peu de grands ouvrages de ce type, car ils coûtent très cher. Mais s’il fallait aujourd’hui repasser le trafic du viaduc de Millau dans la ville de Millau, cela poserait problème, car il a été un aspirateur à trafic. Nous avons modifié les choix des transporteurs et des usagers pour se déplacer aux alentours de Millau. Beaucoup sont venus sur l’autoroute car le viaduc a énormément simplifié le trafic. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on est sur un contournement, c’est pour cela que nous poussons à sortir le trafic de transit des zones urbaines. À Gênes, c’est flagrant. On va de nouveau mélanger le trafic de transit avec le transit local et cela va inévitablement poser des problèmes énormes. Autre exemple, le viaduc A15 (Gennevilliers, ndr), qui a connu un effondrement partiel d’un mur de soutènement. S’il avait été plus que partiel, nous aurions eu une coupure du viaduc A15, qui aurait engendré de grosses difficultés en matière de transport. Déjà, le fait d’avoir  deux voies de circulation en moins cause d’énormes bouchons aux heures de pointe.

L'OT : Quels échos vous font vos adhérents, vos partenaires, votre réseau ?

P. C. : Il y a différents sujets. Au début de l’été, nous avons rencontré des problèmes d’approvisionnement de bitume, des chantiers arrêtés, etc. Or, si nous voulons entretenir nos réseaux, cela nécessite de planifier correctement les choses, notamment la production de tous les composants qui permettent de faire cet entretien. Ensuite, il y a eu le rapport de l’audit effectué sur le réseau routier national non concédé, qui a été assez alarmant. Nous avons beaucoup travaillé sur les conséquences de l’audit. Car nous crions haut et fort, depuis maintenant plusieurs années, de faire attention à l’entretien de notre réseau car se dégrade à vitesse grand V, ce que cet audit a permis de confirmer. Et puis il y a eu Gênes, qui montre les conséquences d’un manque d’entretien, sous réserve, encore une fois, que ce soit le seul problème. Mais même dans le cas contraire, cela pose des soucis en termes de sécurité et de pérennisation des ouvrages. Donc, ce qui remonte du terrain, c’est beaucoup d’inquiétude. Nous avons diffusé des émissions de radio et tous les auditeurs appelaient en demandant si les ponts et viaducs ne menaçaient pas de s’effondrer. Là encore, je pense qu’il faut relativiser. En France, nous avons cette capacité à analyser la qualité de nos ouvrages et de nos routes pour pouvoir éviter d’avoir ces problèmes. Il ne s’agit pas d’un problème technique, mais avant tout d’un problème financier.

L'OT : Justement, cette inquiétude, qui génère également du mouvement du côté du gouvernement, quel impact peut-elle avoir ?

P. C. : Les gestionnaires de réseaux sont des gens responsables. Mais il faut quand même souligner un chiffre important. Au cours des 5 dernières années, nous avons perdu 30 % d’activité. Nous avons diminué l’entretien sur l’ensemble des routes du réseau. Et nous ne sommes pas 30 % moins cher. Il n’y a pas eu de révolution technologique qui fait que le coût a baissé, nous avons simplement réduit le linéaire entretenu. Donc il est clair, et l’audit le dit bien, que si l’on continue sur ce rythme-là pendant 3 ans, nous allons devoir fournir deux fois plus d’investissement pendant 15 ans pour conserver le niveau d’entretien actuel (en sachant que d’ici là il y aura aussi une évolution du trafic). Or, le réseau se dégrade fortement. Nids de poule, fissures, etc. apparaissent de manière de plus en plus importante. Donc il y a urgence.

L'OT : Pensez-vous qu’une telle augmentation des investissements est vraisemblable ?

P. C. : Nous sommes persuadés que cela va être difficile. C’est pour cela que d’après nous il ne faut pas attendre mais rattraper le retard que nous avons pris au cours des dernières années. Bien ausculter tous les ouvrages, et anticiper les évolutions de circulations des années à venir. À partir de là, prioriser les réfections sur tel ou tel ouvrage. Après une phase d’audit importante, il faut se doter des moyens pour entretenir, en sachant que plus on attend et plus il faudra en mettre. La promesse de plus de travaux est certes bonne pour les entreprises, mais nous sommes avant tout des techniciens de la route et souhaitons que ce que l’on a construit soit pérenne et le plus sécurisé possible. Enfin, nous souhaitons préparer les mobilités de demain, et par demain, je parle d’un futur tout proche.

L'OT : Avez-vous des exemples concrets, en lien avec le TRM, de mesures à prendre pour préparer la mobilité de demain ?

P. C. : Deux exemples : D’abord, aujourd’hui, il existe des applications qui choisissent les meilleurs trajets pour les PL. Elles ne se posent jamais la question de savoir si leur choix de route a été construit pour supporter un trafic PL. Les applications orientent en fonction de flux, pas en fonction de la typologie de route. On dit souvent qu’un camion détruit beaucoup plus les routes qu’un véhicule léger, personnellement je dis plutôt qu’une route qui n’a pas été construite pour supporter des camions, se dégrade effectivement beaucoup plus rapidement, mais une route adaptée les supporte très bien. L’autoroute du Nord, c’est plus de 30 % de trafic poids lourd et elle tient, donc nous sommes capables de faire des routes qui supportent les camions. Ensuite, on parle en ce moment beaucoup de platooning. Je ne connais pas beaucoup de routes qui le supporteront. On va guider des camions à quelques centimètres près sur la voie, donc il y aura un effort très localisé sur la chaussée. On va également faire circuler les camions très proches les uns des autres, et le resserrement des passages des roues va entraîner une détérioration très forte des chaussées. Donc il faut bien qu’on adapte nos réseaux, avant d’avoir des trains de camions à certains endroits.

L'OT : Quelle est la marche à suivre pour l’adapter ?

P. C. : Encore une fois, cela passe d’abord par un audit. Avec les conclusions, nous avons les solutions techniques, – car les entreprises françaises sont des leaders mondiaux sur le marché des infrastructures – de conception et de réalisation. Plus nous aurons de visibilité sur la qualité de nos ouvrages, moins nous aurons de risque. Gênes est un cas spectaculaire, car il y a effondrement d’un pont et 43 morts. Mais sur une route, nous avons cela au quotidien. Quand vous avez une couche de surface totalement usée, cela veut dire qu’il n’y a plus d’adhérence. On va donc s’arrêter 2 fois moins rapidement qu’avec un revêtement en bon état et risquer des collisions, des sorties de route... C’est insidieux car on ne s’en rend pas compte puisque la route est toujours là ! Mais en fin de vie, la route a une distance de freinage multipliée par deux. Donc ce retard d’entretien, pointé par le rapport d’audit, ne concerne pas que les ponts et ouvrages, mais bel et bien l’ensemble du réseau…

L'OT : Pensez-vous que le budget que le gouvernement prévoit de consacrer à l’entretien du réseau est suffisant ?

P. C. : Il y a deux choses : le réseau routier national, et le réseau routier national non concédé, qui fait moins de 2 % des routes mais qui supporte presque 20 % du trafic. La ministre a déjà, pour ce réseau-là, fait augmenter le budget alloué à son entretien de 100 M€ pour cette année, donc il y a une prise de conscience au niveau du gouvernement. Ensuite, avec une progression, même si pour nous elle n’est pas encore suffisante, il est prévu, jusqu’à la fin du quinquennat, de monter jusqu’à 930 M€ par an, contre 660 aujourd’hui. Mais l’important n’est pas uniquement sur ce réseau-là. Sur le réseau urbain, les gestionnaires ont parfois pris le parti de réduire les dépenses d’entretien en partant du principe que la chaussée "peut tenir un an de plus". En effet, elle tient… jusqu’au jour où elle casse. Et là, cela coûte très cher, beaucoup plus cher que l’entretien. Aujourd’hui, 50 % des routes n’ont même pas de marquage. Quand on roule de nuit, par temps de pluie, ce n’est pas simple. 40 % des panneaux ne sont plus aux normes. Tout ce parc est en train de vieillir et plus nous allons attendre, plus cela va coûter cher, car au lieu de travailler sur la couche de surface, nous serons obligés de travailler en profondeur.

L'OT : À quoi donneriez-vous la priorité ?

P. C. : Il faudra d’abord surveiller les réseaux les plus structurants. Pas nécessairement ceux où passe le plus de monde, mais ceux qu’on ne peut pas éviter. Par exemple un pont, s’il n’y a pas d’autre pont avant 30 km, cela peut être un problème s’il n’est plus praticable (pour les services de secours, pour l’approvisionnement, pour aller à l’école, etc.). S’il y a des risques de perte de cohérence des territoires, il faut intervenir en priorité. Ensuite dans la nature des travaux, d’abord effectuer ceux de structure, lourds, et ensuite, ceux de surface.

L'OT : Cela fait partie du message de Routes de France ? Comment le faites-vous passer ?

P. C. : Au travers des médias, il nous arrive d’être présent, en radio ou dans les journaux. Ensuite, nous faisons de l’information auprès des maîtres d’ouvrage. Nous discutons avec les départements, les collectivités, les associations. Nous avons une organisation territoriale, avec des organes régionaux, qui dialoguent avec les gestionnaires de réseaux régionaux. Nous discutons avec la DCF (dirigeants commerciaux de France) ou l’AMF (Association des maires de France) par exemple. Nous proposons aussi de la formation et de l’information et notre public est en général très à l’écoute. Le seul obstacle est l’aspect financier. Ils n’ont pas toujours les ressources. Mais nous nous efforçons de réunir tous les acteurs qui utilisent la route (FNTR, Afilog, association des cyclistes...) à nos assemblées générales.

L'OT : Comment faire pour organiser la gestion du réseau non concédé en France ?

P. C. : Il y a des réflexions. Notamment pour essayer de l’intégrer dans la loi d’orientation des mobilités (LOM). Une solution a été de concéder une partie du réseau : les autoroutes. Ceci dit, il y a un péage. Les exploitants se dotent de moyens, c’est ce que nous réclamons aussi. C’est-à-dire, non pas qu’il y ait un péage, car je trouve qu’il y en a déjà un, au travers des taxes que l’on paye quand on circule, mais qu’une partie de cette recette soit affectée à l’entretien de la route, comme le font les sociétés d’autoroute, ou la SNCF. Sur la route, nous n’avons pas cela. Nous avons une recette qui va dans les caisses de l’État, à Bercy, et qui est 3 fois plus importante que ce que l’on peut dépenser sur tout le réseau. Nous n’en voyons pas la couleur. Nous souhaitons donc qu’une partie de cette recette soit affectée à l’entretien des routes. Aujourd’hui, les usagers de la route représentent 43 milliards d’euros par an dans les caisses de l’État. Ce sont 6 milliards de plus que ce qu’il y avait il y a 6 ans. A contrario, nous avons dépensé 4 milliards de moins. Ce n’est certes pas à nous de faire des équilibres budgétaires – il y a un gouvernement pour ça – mais ce qui est sûr c’est que si l’on n’a pas une affectation à un moment donné, nous aurons un problème. Nos aînés ont construit le réseau, nous l’utilisons, il ne serait pas très "développement durable" de laisser une ruine aux générations futures.

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