« L’étude Fluent est une démarche scientifique pour poser les balises du meilleur chemin possible de la filière fluviale vers la « décarbonation », a indiqué Thierry Guimbaud, directeur général de Voies navigables de France (VNF), en introduction du webinaire « Vert le fluvial » organisé le 17 mars 2023. Nous proposons aujourd’hui de mettre en visibilité pour les acteurs, publics et privés, le chemin long, compliqué mais indispensable qui va mener à une « décarbonation » totale ».
« L’enjeu est essentiel, a ajouté ce responsable. Aujourd’hui, le transport fluvial a encore un avantage compétitif certain en matière de « décarbonation » au volume transporté. Mais cet avantage va être remis en cause très rapidement avec l’évolution de tous les secteurs du transport. Si on ne veille pas à innover, à inventer des solutions, à définir un chemin, une feuille de route, cet avantage-là sera perdu. Aujourd’hui, nous préparons 2050. Et 2050 pour le fluvial, cela se joue maintenant, en progressant pas à pas ».
Les enseignements de l’étude Fluent
L’IFPEN a été choisie par VNF pour la réalisation de l’étude Fluent. Ses résultats, présentés lors du webinaire, sont issus des travaux d’analyse menés sur le bassin Rhône-Saône. Elle se décline désormais sur celui du Nord-Pas-de-Calais et de la Seine puis va s’étendre aux autres bassins. Elle doit s’achever à la fin de cette année 2023.
Joris Melgar, chef de projet, à l’IFPEN a précisé :
- « Dans nos résultats, on observe que le choix du vecteur énergétique est le levier principal pour la « décarbonation », le choix de l’architecture n’a pas d’impact significatif.
- Un changement de carburant est plus efficace que l’hybridation. Ce qui ne veut toutefois pas dire que l’hybridation n’est pas utile car elle permet aussi de se projeter et de s’orienter vers des solutions « décarbonées ».
- Il faut d’abord travailler sur le choix du vecteur énérgétique. La biomasse est l’une des bonnes réponses pour la « décarbonation » avec des carburants pouvant être utilisés sur des moteurs existants.
- Quand on raisonne sur un périmètre cycle de vie, notamment du puits à l’hélice, la biomasse permet de capter du CO2 de l’atmosphère, on se retrouve avec des solutions pertinentes d’un point de vue des émissions de gaz à effet de serre qui proviennent des carburants bio-sourcés ».
« C’est facile pour 2035, plus flou pour 2050 »
« L’étude Fluent se poursuit pour améliorer les futurs scénarios notamment sur l’hybridation, mieux la préciser, la prise en compte des autonomies, des encombrements, du poids. Ce sont des points sur lesquels on travaille actuellement pour des scénarios de verdissement de la flotte encore plus précis que ceux que nous avons déjà dégagés », a dit Cécile Cohas, chargée de recherche et innovation à la DT VNF Rhône-Saône.
Cette responsable a poursuivi :
- « En ce qui concerne les actions opérationnelles suite à cette étude, elles vont être déclinées dans le cadre des engagements pour la croissance verte portés par l’Etat. Nous, nous en retirons des recommandations pour la « décarbonation » à partir des différentes modélisations.
- C’est facile pour 2035, un peu moins évident pour 2050. Sachant qu’en 2035, l’objectif est – 35 % des émissions de GES et de polluants locaux à l’échappement alors qu’en 2050, l’effort de « décarbonation » c’est -90 % sur les GES et les polluants locaux.
- On va s’inscrire dans un mix énergétique, selon l’usage des bateaux, c’est certain. Pour un bateau de plaisance, les choix ne seront pas les mêmes que pour un automoteur. Pour une navigation en ville, les choix ne seront pas les mêmes que pour des trajets longue distance ».
Trois solutions d’ici 2035
Ces préalables étant rappelés, cette responsable a indiqué les trois piliers de la « décarbonation » du fluvial d’ici 2035 :
- Le branchement à quai des bateaux, l’installation de bornes est en cours (voir encadré). Cela « permet de diminuer de manière drastique les émissions de GES et de polluants locaux ».
- L’écoconduite ou écopilotage : adapter la vitesse aux contraintes de l’infrastructure et à l’état du trafic pour éviter une surconsommation de carburant.
- L’utilisation des biocarburants, des biomass to liquid (BTL) dont le HVO notamment. « Ce sont des biocarburants qui existent et sont prêts pour la profession », a relevé Cécile Cohas, rappelant que le HVO permet une réduction de 90 % des GES mais que des mesures et analyses sont en cours concernant les polluants locaux. « Notre objectif est de réussir à capter ces carburants pour la profession fluviale, un secteur de petite taille ». Il y a aussi un travail en cours pour lever les contraintes fiscales et douanières pour une utilisation dans le fluvial de ces BTL.
Des précisions sur les BTL et HVO
Concernant les bio-carburants (ou carburants bio-sourcés) :
- Il s’agit de ceux de « deuxième génération », c’est-à-dire issus du retraitement de déchets de biomasse auxquels on donne ainsi un usage de seconde vie. Ce sont des déchets de bois, de scierie, agricoles, mais aussi d’huiles de cuisson usagées, de graisse animale.
- Il ne s’agit pas des bio-carburants de « première génération » qui utilisent des produits cultivés (betterave, colza…) sur des terres agricoles. Il n’y a donc pas compétition avec les besoins pour l'alimentation.
L’intérêt des BTL et HVO est triple :
- Disponibilité de la ressource (déchets de biomasse),
- Maturité industrielle,
- Compatibilité avec les motorisations existantes.
Mais il reste plusieurs difficultés à lever :
- Organiser la collecte de la ressource (déchets de biomasse), et son acheminement jusqu’au lieu de production,
- Développer une production industrielle, aujourd’hui encore limitée.
- La concurrence entre les différents modes de transport, tous engagés dans la « décarbonation » et qui ont pris conscience de l’intérêt de ces bio-carburants. Sachant que la filière fluviale n’a pas le « poids » en termes de besoins que les autres.
Parmi les autres solutions évoquées, « le méthanol présente un rendement énergétique très intéressant pour le secteur fluvial. En revanche, il y a un risque à définir et à maîtriser en cas de déversement de méthanol qui peut remettre en cause la potabilité de l’eau. Une étude de risque complète doit être réalisée ».
Déployer des bornes électriques à quai
Les bornes électriques à quai permettent de couper les groupes électrogènes (réduction de CO2 et économie d’énergie) quand les bateaux sont amarrés en escale, d’autres servent à recharger des batteries. Elles sont destinées aussi bien aux unités de fret que de tourisme.
« VNF conduit une stratégie d’installation de bornes électriques à quai, a indiqué Aurélie Millot, directrice adjointe du développement, de VNF. Les gestionnaires d’infrastructures portuaires doivent s’engager pour équiper leurs zones et quais. VNF peut accompagner les ports intérieurs auprès d’Enedis pour des études ». Sachant que l’établissement peut aussi l’imposer dans les contrats de concession pour les ports auxquels il délègue la gestion.
Dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais, tout récemment, plusieurs bornes ont été déployées. La Saône est aussi concernée.
Sur l’axe Seine, VNF travaille en partenariat avec Haropa Port :
- Pour l’implantation de 70 bornes pour le fret d’ici la fin 2024. C’est le programme Borne&Eau. Un groupement Bouygues/Depagne a été désigné, a précisé Benoît Seidlitz, adjoint au directeur de l’aménagement de Haropa Port de Paris, le type de borne a été validé.
- Pour l’électrification des escales pour les bateaux de croisières avec hébergement : 3 au port de Javel (deux déjà en service, la troisième le sera en août 2023) et 1 à La Roche Guyon. « Ce sont des bornes complexes qui ont nécessité de nombreux essais pendant 1 an avec des bateaux différents ».
- Pour l’électrification des escales à passagers dans le centre de Paris : de premiers démonstrateurs ont été installés aux quais de Grenelle et de la Tournelle. Le déploiement sera progressif en lien avec le verdissement de la flotte de bateaux de tourisme parisien (lancé par la Communauté portuaire de Paris) afin de répondre au mieux aux besoins.