« Tendre le plus possible vers une notion de réseau unique sur une série d’itinéraires »

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Entreprises fluviales de France (E2F) par la voix de son président délégué général livre son analyse du contrat d’objectifs et de performance de Voies Navigables de France, signé avec l’État fin avril 2021. NPI : Que représente le contrat d’objectifs et de performance (COP) de VNF pour E2F ? Didier Léandri : Les relations entre l’établissement VNF et l’État n’étaient pas régies par un COP dans la période précédente mais par un plan stratégique et si le Parlement n’avait pas imposé dans la loi d’orientation des mobilités l’obligation d’en établir un, par un parfait parallélisme avec le ferroviaire, nous en serions toujours à courir année après année après un budget sans capacité de projection, c’est-à-dire sans stratégie. Le COP est, au-delà d’un exercice de programmation, et peut-être pour la première fois, un projet de transformation industrielle. NPI : Quelle analyse des ambitions affichées pour le fret et le tourisme (10 milliards de tkm/75 millions de tonnes de marchandises, 3 milliards d’euros de retombées économiques pour le tourisme au lieu de 1,6 milliard évalué en 2019) ? D.L. : Ce sont des hypothèses qui nous semblent plausibles au regard de l’orientation des marchés, tant dans le fret que dans le tourisme. E2F souhaite que ces indicateurs, en définitive, assez peu représentatifs des avantages socio-économiques de la voie d’eau, en particulier le premier, soient complétés par d’autres qui reflètent la performance du service rendu : externalités, fiabilité, notamment. NPI : Les moyens pour atteindre ces ambitions sont-ils suffisants ?

D.L. : L’ambition du COP donne, et c’est un fait nouveau, de la visibilité pour les dix années à venir. Visibilité sur les étapes de la transformation et la trajectoire financière associée.

Aux termes du COP, trois périodes vont se succéder : la période du plan de relance 2021-2022, j’allais dire confortable grâce au plan de relance, la période 2023 à 2026, pour laquelle le compte n’y est pas, j’ai en mémoire l’objectif du président de VNF Laurent Hénart en termes d’investissements, de régénération, de modernisation à hauteur de 350 millions par an pendant 10 ans. Je ne ferai pas de commentaire sur la période postérieure à 2027, hors de maîtrise à ce stade.

Le COP n’est ni plus ni moins que l’équivalent d’un Plan à Long Terme (PLT) que connaissent les entreprises du secteur privé astreint à une revue annuelle, il obéira dans ces conditions à des ajustements réguliers, espérons-le à la hausse.

Tout dépendra des premiers résultats obtenus, du portage politique et de la mobilisation ainsi que de la cohésion des parties prenantes sur le projet.

NPI : La diversification des recettes de VNF inscrite dans le COP est-elle une solution pour le financement à long terme ?

D.L. : Sur le moyen et long termes, elle l’est assurément, en particulier s’agissant de la redevance hydraulique, aujourd’hui pleinement à la main de l’établissement dans la fixation de son montant. Son rendement actuel ne reflète absolument pas le bénéfice qu’en retire les usagers.

On m’objectera que tel est également le cas des péages. Une affirmation qui reste à étayer notamment au regard d’un niveau de service -rendu et perçu- que nul ne sait aujourd’hui mesurer avec précision. Quand bien même le serait-il, et c’est précisément l’ambition du COP, et une ambition à laquelle nous souscrivons sans réserve, encore faudrait-il que le niveau de péage, car c’est bien de cela dont nous parlons, soit mis en cohérence avec la stratégie de report modal de l’État maintes fois réaffirmée. VNF n’est pas une société anonyme mais un opérateur public au service d’une politique elle-même publique.

Quoi qu’il en soit, l’évolution du modèle économique de VNF prendra du temps. Je ne vois pas en l’espace de deux ans une modification telle qu’elle nous permette de nous satisfaire d’une dotation AFITF réduite et c’est bien ce que sous-tend la trajectoire actuelle du COP.

Je comprends, en revanche, qu’il nous faut préparer dès maintenant la deuxième période que je qualifierais de moyen terme en prévision de laquelle il faudra que VNF ait fait la démonstration de l’efficacité du contrat.

NPI : Quels sont les éléments « concrets » du COP que retient E2F ?

D.L. : Nous constatons, au regard des indicateurs mis en place, une véritable volonté de l’établissement de se positionner en prestataire de services industriel et touristique, en agissant, à la fois, sur la compétitivité des transporteurs, via la fiabilisation et la disponibilité des ouvrages, sur la mise à disposition du domaine public fluvial aux opérateurs, touristiques ou industriels, s’inscrivant dans une nécessaire logique portuaire et donc en impliquant les territoires, et enfin, sur la pérennité du réseau et de ses ouvrages pour garantir l’activité économique et la fourniture hydraulique, selon le niveau de service proposé, tout en préservant l’environnement. Tout est dit.

Sur ces bases auxquelles nous souscrivons pleinement, l’établissement est face à deux défis majeurs, qui peuvent soulever un certain nombre d’interrogations.

Le premier concerne les niveaux d’enfoncements nécessaires aux activités économiques sur une partie du réseau, car il faut maintenant intégrer les règles nouvelles du code de l’environnement. L’établissement intervient aujourd’hui dans un cadre contraint. Rétablir certaines sections de réseau au niveau de service décidé sera donc plus difficile à réaliser, essentiellement pour des questions de coût de régénération.

Le deuxième concerne la modernisation du réseau, question elle-même intimement liée à la réduction des effectifs de terrain, autre contrainte imposée par la puissance publique. La téléconduite, semble-t-il, est l’une des réponses apportées par l’établissement pour répondre à cette problématique. Mais la suppression des personnels de terrain laisse présager non seulement une fuite des savoirs et des compétences, mais également un questionnement en cas d’incident ou de panne sur un ouvrage ou un bief quant au niveau de mobilisation des moyens. La question de la proximité est ainsi posée.

Par ailleurs, nous retenons également que l’établissement distingue toujours le réseau à petit gabarit du réseau à grand gabarit, tout en y associant le fret pour le premier et le tourisme pour le second. Les niveaux de services proposés découlent d’ailleurs directement de ce postulat.

Nous croyons, au contraire, qu’il faut tendre le plus possible vers une notion de réseau unique sur une série d’itinéraires.

L’industrie du tourisme et notamment les croisières avec hébergement, et la taille des bateaux de plaisance allant en augmentant, les besoins en termes d’infrastructures pour l’activité touristique se rapprochent en effet de celles du fret et la logique de mutualisation doit prévaloir de même qu’elle prévaut sur la plupart des maillons de la chaîne : chantiers, motoristes, formation…

Nous relevons avec satisfaction, une volonté de création de filières de traitement des sédiments de dragage, une nouvelle économie circulaire vertueuse, ayant le double mérite de soulager les gisements habituels qui commencent à se tarir dans l’industrie du bâtiment, tout en permettant également le développement du fret fluvial. Cela nécessitera des aménagements du code de l’environnement, et un certain nombre de freins à lever, mais il y a là une ressource disponible quasi inépuisable et génératrice d’emploi.

Enfin, l’enfoncement n’est pas le seul problème, un nouveau fléau nous est apparu ces dernières années avec les algues invasives, une entrave particulièrement inquiétante à la navigation, pour toutes les unités flottantes quelles qu’elles soient.

NPI : Quelle analyse de la présentation faite sur les types d’offres de service en fonction des itinéraires ? Quelle participation à la concertation prévue ?

D.L. : La méthode proposée est celle de la concertation sur une période de deux ans pour procéder à un certain nombre d’arbitrage et de calage des niveaux de service. Nous allons, enfin, pouvoir parler vrai avec les différentes parties prenantes au premier rang desquelles les régions à condition que cette concertation soit organisée. Tout dépendra de la capacité de mobilisation collective pour révéler le potentiel de trafics. Soyez certain que la profession s’y impliquera. À cet égard, la démarche concertée Grand-Est, déjà engagée, ne nous rassure pas totalement car elle se focalise sur le tourisme, orientant, dès l’origine, les discussions sur un réseau à petit gabarit dédié à cette seule activité. Je vois grandir l’attente des acteurs de la filière et la volonté de VNF, des régions et de l’État d’y répondre. C’est une excellente chose.

Pour se préparer, E2F en association avec Agir pour le fluvial (APLF) lance une étude pour évaluer le potentiel de développement des liaisons interbassins. La question du maintien en navigation du réseau Freycinet et de la définition du niveau de service garanti par l’établissement public gestionnaire de la voie d’eau VNF sera au cœur de la concertation.

Dans un contexte de contrainte budgétaire durable, les avantages socio-économiques des activités de navigation sur le petit gabarit ne sont pas perçus par les décideurs comme pouvant justifier une remise à niveau complète du réseau, une perception que cette étude est destinée à nuancer.

Créer davantage de valeur

Le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud, a accordé un entretien à NPI sur le contrat d’objectifs et de performance qui se trouve en intégralité sur le site web npi-magazine.com. En voici des extraits.

« Le contrat d’objectifs et de performance de Voies navigables de France (VNF) était prévu dans la loi d’orientation des mobilités. La Cour des comptes l’avait réclamé plusieurs fois. Il n’y avait jamais eu de contrat entre l’État et VNF. En avoir un, c’est un événement important et le résultat de 10 ans d’effort », explique Thierry Guimbaud, directeur général de VNF.

Pour lui : « Le contenu du COP montre le partage avec l’État de l’ambition de ce qu’est Voies navigables de France dans les voies fluviales. La plénitude du rôle de VNF est consacrée dans ce contrat pour la première fois. Il rappelle clairement les trois missions-clés de l’établissement qui peuvent se résumer en quelques mots : logistique plus verte, territoires, eau ».

Il ajoute : « Les moyens d’investissement, sur la période décennale du COP, représentent 3 milliards d’euros pour le fluvial. Bien évidemment, ce n’est pas une décision budgétaire décennale à laquelle s’opposent toutes les règles de comptabilité publique. Mais c’est une orientation politique et ce n’est pas rien ».

Le COP prévoit d’élaborer une stratégie économique de long terme visant à diversifier les recettes de VNF et développer ses ressources propres. Pour Thierry Guimbaud : « Nous allons devoir doper les ressources propres de VNF. Il y a une richesse qui est là mais nous ne la captons pas. Nous avons 40 millions de recettes domaniales, pour un budget de 650 millions, la valeur des terrains de VNF a en gestion peut générer davantage. Nous voulons créer davantage de valeur et la partager »

Concernant la concertation sur les niveaux de services selon les itinéraires prévus par le COP et à conduire par VNF avec l’ensemble des parties concernées d’ici la fin 2022 : « Il s’agit de faire un état complet des territoires, en logistique comme en tourisme, sur lesquels on peut redéfinir des niveaux de service en fonction de l’existant et des projets. Il faut mener cette analyse pour mieux déterminer les besoins. En tant que gestionnaire d’infrastructure, VNF ne peut pas dire ni définir ni décider seul du niveau de service nécessaire. Cela n’a pas de sens ni de soutenabilité économique ou politique. Il faut donc le bâtir avec les territoires ».

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