Préserver la mixité des usages sur les canaux de Paris

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Sur le réseau fluvial des canaux de Paris, les activités industrialo-portuaires et de loisirs sont en concurrence pour l’occupation des terrains au bord de la voie d’eau. La Ville de Paris est propriétaire et gère un réseau fluvial de 130 km de voies navigables qui traverse les départements de Paris, de Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne, de l’Oise et de l’Aisne. C’est le seul réseau fluvial français d’un tel linéaire appartenant à une collectivité locale. Son exploitation est assurée par le service des canaux, service technique aujourd’hui rattaché à la direction de la voirie et des déplacements de la Mairie de Paris. Ce réseau comprend les canaux Saint-Martin, Saint-Denis, de l’Ourcq, du Clignon, la rivière d’Ourcq canalisée et les rivières canalisées secondaires que sont la Collinance, la Gergogne, la Thérouanne et la Beuvronne.

« La partie à grand gabarit, ouverte au fret, se réduit à environ 20 km », précise Pierre Chedal-Anglay, chef du service des canaux. Elle compte notamment les 6,6 km du canal Saint-Denis qui relie le canal de l’Ourcq à la Seine en traversant le 19e arrondissement de la capitale, les communes d'Aubervilliers et de Saint-Denis ainsi que les 10 km du canal de l’Ourcq dit à grand gabarit entre Paris et Les Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Ils peuvent accueillir des bateaux de type campinois (700 à 800 t), supérieur en tonnage aux bateaux de type Freycinet (350 t) qui eux peuvent emprunter le canal Saint-Martin. Le canal Saint-Denis compte 7 écluses et 6 biefs. Les 10 km à grand gabarit du canal de l’Ourcq sont sans écluse.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, le trafic de marchandises est important sur les canaux Saint-Denis, de l’Ourcq et Saint-Martin, dépassant 3 Mt annuelles dans les années 1920, qui mouillent dans des territoires alors industriels. Le bassin de la Villette est le troisième port fluvial de France avec un trafic significatif de pâte à papier pour l’usine Clairefontaine, toujours installée au bord du canal Saint-Martin. La darse du Millénaire est un point d’arrivée pour le charbon et des pondéreux. Les installations portuaires, à l’image de Pantin, sont alors connectées au chemin de fer, compte tenu de la proximité des réseaux ferroviaires de l’Est et du Nord parisien.

Au cours des années 1970 et 1980, c’est le temps de la désindustrialisation pour les plaines Saint-Denis et de l’Ourcq et le trafic chute continuellement. Jusque dans les années 2000, les communes tournent le dos aux canaux qui traversent des friches industrielles. C’est le temps pour les murs des entreprises en déshérence de se couvrir de graffitis, les canaux sont des vitrines du Street Art. Les territoires autrefois industriels en sont à chercher comment se reconstruire en tirant parti de l’aménité du plan d’eau.

Un regain d’intérêt pour les terrains bord à canal

Saint-Denis fait du Stade de France une locomotive pour initier des programmes d’activités tertiaires et de logements et réaménage les rives du canal Saint-Denis. « La présence d’activités industrialo-portuaires est difficile à concilier avec cette reconquête urbaine, rappelle Pierre Chedal-Anglay. Ainsi au bassin de la Maltournée, à proximité des escales pour le Stade de France, nous avons tout de même réussi à maintenir une activité industrielle de tri de déchets du BTP mais son avenir reste incertain dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ». Dans les années 2000, la mairie de Pantin lance des projets urbains le long du canal de l’Ourcq, d’abord autour des grands moulins magistralement réhabilités, puis autour de l'ancien bâtiment des douanes appelé aussi « Magasins généraux ». Reconverti à usage de bureau, ce bâtiment accueille depuis 2016 différentes entreprises. « Il faut noter que la stratégie de la mairie de Pantin par rapport au canal a consisté à spécialiser les rives avec le maintien des activités industrialo-portuaires sur la rive droite, au nord, plus éloignée du centre-ville tandis que la rive gauche a été re- qualifiée à usage d’habitats, de bureaux et de loisirs », souligne Pierre Chedal-Anglay. Cette destination des rives a permis d’implanter le technicentre du TGV Est européen, une blanchisserie industrielle et, à moyen terme, permettra de reconstituer l’atelier des canaux à grand gabarit aujourd’hui au sud. Elle a permis la reconstruction en 2016 d’une centrale à béton. Une démarche similaire a vu le jour du côté du canal Saint-Denis avec une rive gauche dédiée davantage au portuaire et une rive droite aux équipements de loisirs, promenades, etc. « Cette évolution était un compromis qui semblait acceptable et accepté par les collectivités et par le service des canaux, précise Pierre Chedal-Anglay. Mais la pression s’accentue toujours davantage en faveur de l’implantation d’activités de loisirs et liées au tourisme au détriment des installations portuaires industrielles dont l’effacement est alors toujours possible ». Il en est allé ainsi pour le canal Saint-Martin où le trafic fret est à zéro ainsi que pour le bassin de la Villette qui accueille désormais 11 péniches d’animation, une halte nautique de 24 anneaux et où la baignade est autorisée depuis l’été 2017 dans les limites d’un ponton aménagé. « Il y a une surexploitation du canal Saint-Martin où il n’y a plus aucun trafic fret ainsi que pour le bassin de la Villette pour des activités touristiques aux dépens de tout autre usage, notamment la logistique urbaine », souligne Pierre Chedal-Anglay.

Ce constat fait de la difficulté à maintenir des activités industrialo-portuaires en zone urbaine dense a amené la Ville de Paris à adhérer à la Charte d’amélioration des ports (CAP) qui a pris la suite de la charte « Sable en Seine ». CAP vise à une meilleure insertion des installations portuaires à caractère industriel dans leur environnement, et demain, à celle des ports à usage culturel d’animation et de loisirs (Ical) dans un contexte de forte attractivité du fleuve et des canaux. Les signataires de CAP s’engagent dans une démarche d’amélioration continue en faveur d’une meilleure intégration urbaine, architecturale et paysagère des sites et installations, de la maîtrise de leurs impacts sociétaux et environnementaux, et de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. « Nous orientons nos partenaires et opérateurs à privilégier des sites multifonctions, à les rendre accessibles au public en dehors des heures d’activité industrielle ».

Des perspectives de trafic positives

Malgré la forte pression pour développer toujours davantage des Ical au bord du réseau fluvial de la Ville de Paris ou le transport de passagers et touristes, le trafic fret sur les parties à grand gabarit des canaux Saint-Denis et de l’Ourcq est reparti à la hausse depuis 2015 et les perspectives sont positives.

« Le trafic est totalement lié à la filière BTP et fluctue en fonction des projets en Île-de-France, explique Pierre Chedal-Anglay. Le trafic a atteint 750 000 t en 2015, 780 000 t en 2016 et 870 000 t en 2017. Précédemment, il avait dépassé le million de tonnes avec les travaux de prolongement de la ligne 12 de la Porte de la Chapelle à la mairie Aubervilliers ». 95 % du trafic est entrant avec des granulats, sables et graviers pour les centrales à béton installées au bord des canaux. Le trafic sortant concerne des déblais et des matériaux de déconstruction. Dans le contexte des travaux programmés par la Société du Grand Paris (SGP), le trafic attendu en moyenne annuelle sur le canal Saint-Denis est supérieur à 1,5 Mt à partir d’octobre 2018 et jusqu’en 2021, essentiellement des déblais de la ligne 16 du Grand Paris Express, puis redescendrait à 800 000 ou 900 000 t jusqu’en 2024. Après cette date, le trafic devrait de nouveau croître jusqu’à 2 Mt pendant 3 ans sur le canal de l’Ourcq cette fois avec les travaux de la ligne 15. « L’augmentation des trafics n’est pas anodine pour les canaux de Paris, poursuit Pierre Chedal-Anglay. De 25 bateaux par jour, on va passer à plus de 40 bateaux, essentiellement des barges poussées avec un horaire de navigation contraint de 6 h 15 à 19 h 30. Cela implique aussi de mobiliser les deux sas de chaque écluse sur le canal Saint-Denis, celui au gabarit Freycinet et celui pour les convois poussés et campinois. Pour faciliter le passage des écluses, nous allons rétablir un poste de gestion local à l’écluse n° 7 de la Briche, située à la confluence avec la Seine, en plus du centre de télégestion installé à l’écluse n° 1 du Pont de Flandre ».

Il faut aussi rappeler que la SGP a imposé l’utilisation du transport fluvial aux prestataires pour l’évacuation des déblais de chantier dans un environnement très contraint au plan routier. La SGP a fait du transport fluvial une option pour les apports de matériaux et des voussoirs. Cette option sera peut-être adoptée pour les implantations en Seine mais, pour le moment, elle apparaît improbable pour les autres projets vers Aubervilliers ou Saint-Denis.

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