Trois bateliers témoignent de conditions de travail difficiles dans le Nord-Pas-de-Calais. Si l’activité est dense, les capacités de chargement sont toujours limitées et les navigations contraintes. La concurrence s’intensifie et essouffle les indépendants. Un article extrait du dossier spécial « axe Nord » du magazine juillet-août-septemre 2022 de NPI.
Depuis la fin de l’année 2021, la reprise d’activité pourrait satisfaire de nombreux artisans. Mais l’état du réseau ne permet toujours pas d’en profiter pleinement. En juin 2021, trois bateliers nous avaient dressé un état des lieux sévère. Nous les avons revus. Tous ne signalent aucune amélioration sur le manque de place et sur l’entretien. Avec la reprise du trafic, les points durs du réseau se font encore plus sentir.
Les Freycinet répondent de moins en moins à l’appel. Olivier Delcourt traverse régulièrement les canaux du Nord-Pas-de-Calais avec son 38 mètres : canal de Calais, de Saint-Quentin, la Lys. Il charge du charbon, des pois, beaucoup d’orge pour le malt, des cailloux, du sable. « Sur le canal de Calais, les chargements de cailloux sont à la peine, on bute souvent sur une écluse. C’est dommage, il y a un volume important que nous ne pouvons pas charger. Idem pour la Lys où le manque d’entretien freine les navigations. Il y a aussi toujours trop d’algues sur le canal de Saint-Quentin ». Pour lui, « le petit gabarit est délaissé. Il y a une volonté de le faire disparaître pour manque de trafic. Mais cette année, nous n’avons aucun problème pour charger. En revanche, pour aller, par exemple, vider à Nancy au départ de la région parisienne, ce n’est plus possible. De plus, depuis les années de sécheresse, le mouillage est encore plus limité. Je ne comprends pas pourquoi des contrats sont passés avec les collectivités pour faire des vélos-routes, alors que nous naviguons dans un réseau lamentable ». Un coup de gueule souvent repris par les confrères.
Didier Carpentier travaille de moins en moins sur ce réseau. Pour lui, la communication et l’affichage politique d’un réseau à grand gabarit ne correspondent pas à la réalité. Avec son bateau de 110 mètres, d’une capacité de 2500 tonnes, il charge occasionnellement 2000 tonnes pour accéder au Nord de France (mouillage restreint en Belgique). Mais « la plupart des trafics ne vont pas au-delà de 1000 tonnes, sauf pour quelques frets comme le colza ». Pour remplir son bateau, il privilégie les grands axes.
Sur le grand gabarit, Olivier Delcourt charge des colis à Dunkerque pour Paris. Il fait le même constat d’un décalage entre un classement grand gabarit, les tarifications et le potentiel de chargement. « Avec des ponts si peu adaptés et le mouillage garanti à 2,5 m, ce n’est pas du grand gabarit. Le ballast nécessaire pour passer sous les ponts coûte en temps et en argent. On ne sera jamais optimum ».
Les points durs persistent. « Le canal de Dunkerque à Valenciennes a été réalisé, à l’origine, pour les gros convois de 140m sur 11,40m. Aujourd’hui, l’état des berges et les profondeurs au niveau des écluses ne permettent plus la navigation pour ces gabarits. Même sur la partie Escaut, il n’est pas rare de se prendre des coups ». L'artisan voit là un manque d’engagement : « Trop d’économies ont été faites sur ce réseau. Même aujourd’hui, les moyens investis sont trop faibles. En exemples les enrochements : des travaux à bas coûts dangereux pour les bateaux ».