« Le premier semestre 2022 a été correcte pour les transports de vrac sec. Mais depuis juillet-août, il y une baisse, il manque notamment des céréales en lien avec la situation en Ukraine. L’envolée des prix des énergies pousse des entreprises à ralentir leurs activités, ce qui réduit les trafics pour nous », précise Bernard Theuret, disposant sur Rhône-Saône de trois bateaux (Bounty, Odin, Onetahi) auxquels s’ajoutent deux autres en affrètement.
Marc du bateau Helios (105mx9,50m), transportant lui aussi des vracs secs et des colis lourds, constate : « 2022 ne présente pas d’amélioration par rapport à 2021 », ajoutant au manque de céréales et à réduction d’activité des industries, la disparition progressive des flux de charbon. Il navigue sur le canal du Rhône à Sète, dessert Fos, Lyon, Chalon-sur-Saône, Pagny. Pour lui, « ce qui nous manque sur ce bassin, par rapport à la Seine, ce sont les matériaux de construction, les terres ».
Tout devient de plus en plus imprévisible
Michel Sanvert transporte des conteneurs sur son bateau de 135m entre Fos et Lyon (aller-retour) : « En 2022, le nombre de rotations s’est maintenu mais le volume a baissé. Il y a toujours de l’import mais moins d’export. Pour 2023, il n’y a pas de visibilité, on est peu inquiet avec tout ce qui se passe, à l’international, la crise énergétique… ».
Cette incertitude est partagée par les deux autres artisans-bateliers. « La vision est floue même à trois mois, surtout pour les céréales, le charbon, dit Bernard Theuret. On a toutefois des demandes de devis pour des transports en 2023 de produits autour de la valorisation, de la trituration ». Pour Marc : « Tout devient de plus en plus imprévisible même si l’activité sur le Rhône a toujours été variable avec des périodes alternant bonnes et mauvaises années. C’est aussi un bassin fermé. On parle beaucoup des atouts du fluvial mais les actions et décisions concrètes ne sont pas là. Le changement climatique influe aussi sur le rendement et la qualité des céréales ». Il rappelle l’absence d’entretien des infrastructures fluviales en France depuis plusieurs décennies, citant en exemple l’absence de dragage sur le canal du Rhône à Sète où la profondeur n’est plus que de 2,30m, réduisant la capacité d’emport des bateaux. « J’ai participé à la concertation sur l’avenir de ce canal, je suis convaincu que les travaux ne se feront jamais, le coût est trop élevé pour remettre à 3,20m d’enfoncement et l’idéal serait 4m. Si les bateaux de commerce ne passent plus, 5 ans après, ceux du tourisme ne pourront plus y naviguer ».
Des difficultés récurrentes
Dans la suite des précédents échanges avec des artisans-bateliers de cet axe, l’accueil, l’attente, le traitement des bateaux fluviaux à Fos reste le point noir récurrent, plus particulièrement pour les vracs, un peu moins pour les conteneurs. « On est mieux servi à Sète ! ».
Il manque toujours des places de stationnement et d’attente avec eau et électricité notamment à Lyon où Michel Sanvert relève, une nouvelle fois, que toutes les entreprises installées au port Edouard Herriot et disposant d’un quai n’utilisent pas le fluvial. Il rappelle la nécessité du projet de relèvement des 4 ponts entre Lyon et Marseille qui empêchent de charger 3 couches de conteneurs, « pénalisant les clients et freinant le développement du fluvial ». Il s’interroge sur les actions entreprises suite à une réunion avec VNF et CNR à laquelle il a participé début 2022 sur ces sujets. Bernard Theuret alerte sur l’inflation des prix de la manutention dans plusieurs ports et sur des difficultés dans le contexte du renouvellement de plusieurs concessions. Comme point positif, il note le maintien du niveau d’eau à 3 m sur le Rhône cet été, qui n’a pas été affecté par la sécheresse à la différence d’autres fleuves.
Michel Sanvert interpelle sur la nouvelle réglementation imposée par la directive européenne sur la qualification des équipages : « Je navigue depuis 50 ans et on me demande d’obtenir une licence qui ne correspond pas à la navigation fluviale mais à celle en mer et n’a aucun sens pour accéder au port de Marseille. Si je ne réussis pas l’examen, on m’imposera la présence d’un pilote à bord avec les coûts afférents. Comment les répercuter sur les clients ? Je comprends le changement qui peut être utile pour les personnes en primo-formation mais pas pour ceux qui ont des années d’expérience ».