Rapport « INN-IN » pour la CCNR : innover malgré les embûches

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La nécessité pour la navigation intérieure d’innover ne fait plus débat. Mais sur la voie de l’innovation, de nombreux obstacles peuvent surgir, dont beaucoup ont un lien direct avec la nature même du secteur. Le rapport « Innovative Inland Navigation » ou « INN-IN » de chercheurs anversois, écrit pour la CCNR, en apporte l’illustration.

Des chercheurs de l’université d’Anvers se sont penchés pendant un an sur la problématique de l’innovation dans la filière fluviale et sur la question de savoir quels sont les facteurs de succès ou d’échec et comment les pouvoirs publics -des ports et du niveau local à l’Union européenne, aux instances internationales en passant par les commissions de bassin - peuvent la stimuler. Ils l’ont fait en ce concentrant sur quelques dossiers précis, comme la mise en œuvre de nouveaux concepts axés sur les voies navigables de faible gabarit (classes I et II), l’automatisation, l’utilisation du GNL comme carburant alternatif.

Leur rapport, écrit pour le compte de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), vient de paraître sous le titre « Innovative Inland Navigation » ou « INN-IN ». Il insiste notamment sur la nécessité de mettre en place une réglementation adaptée, évolutive, cohérente et technologiquement neutre pour permettre l’émergence de solutions innovantes économiquement viables et garantir un traitement égal entre les options disponibles. Il souligne aussi l’importance que peut avoir l’infrastructure.

Il précise que la complexité du cadre institutionnel - avec son grand nombre de niveaux qui se partagent compétences et responsabilités (fiscalité, aides, normes, infrastructures…) - peut constituer un frein pour qui cherche à explorer des voies nouvelles… ou trouver les subventions pour les tester. « Cette fragmentation du processus décisionnel rallonge le temps requis pour l’implémentation d’une politique d’innovation et peut – dans le pire des cas – empêcher la mise en œuvre d’une innovation par le marché ».

Dans le cas des plates-formes numériques pour l’affrètement de bateaux (e-barge booking), le rapport INN-IN pointe du doigt les difficultés que rencontre encore ce genre de marché virtuel, même si des initiatives comme Bargelink et 4Shipping semblent avoir tiré les leçons de l’échec de tentatives antérieures, qui ne pouvaient souvent pas s’appuyer sur une infrastructure numérique suffisamment développée tant à bord qu’à terre. Ainsi, des incertitudes subsistent quant à la validité juridique des transactions qui s’y concluent, sur le statut de l’affréteur digital, sur la confidentialité des données et sur le risque de fraude. Dans un secteur où la relation de confiance entre les parties est cruciale, ce sont des obstacles non négligeables. Au niveau plus pratique, il faut également tenir compte de la résistance des affréteurs conventionnels qui dominent toujours ce marché, de la couverture informatique parfois incomplète de parties du réseau fluvial et des coûts qui s’y rapportent quand le bateau sort de l’Union européenne.

Selon le rapport, la plupart des conditions requises sont à présent réunies et ces plates-formes offriraient bon nombre d’avantages, mais le système doit encore acquérir la masse critique - en termes d’offre et de demande- nécessaire à son bon fonctionnement. Il ajoute qu’un des risques réside dans une forte pression à la baisse des taux d’affrètement, surtout si le « petit » batelier se retrouve seul face aux chargeurs.

Une analyse de Watertruck+

La tentative d’innovation tant technologique qu’économique et opérationnelle initiée avec le projet de convois de poussage de petite taille visant à réactiver les voies navigables de très faible gabarit en renouvelant la flotte disponible pour les desservir s’est elle aussi heurtée à bon nombre d’obstacles qui se sont révélés jusqu’à présent difficiles à surmonter. Plusieurs projets ont été lancés au cours des douze dernières années pour atteindre ces objectifs louables.

D’après le rapport, plus de 5 M€ ont été dépensés à cette fin avant la dernière option prise avec Watertruck+.

Une réglementation trop stricte en termes de normes d’équipage, un besoin accru d’entretien des infrastructures, une approche trop « unimodale » à l’heure où la logistique se veut synchro- ou multi-modale et intégrée, un marché trop restreint ne créant pas la masse critique requise pour rendre le projet économiquement viable, des coûts fixes non négligeables,…

Watertruck+ doit encore apporter la preuve de sa capacité à vaincre les handicaps qui ont fait tourner court les initiatives précédentes.

Le rapport constate aussi qu’aucun investisseur privé n’a voulu s’engager à fond dans ce dossier, qui a d’ailleurs suscité des oppositions parfois fortes dans la navigation intérieure. Certains acteurs craignaient une perturbation subventionnée du marché, même si le but avancé est d’attirer vers la voie d’eau de nouveaux trafics et de faire concurrence à la route.

Les « Pallet Shuttle Barges » de Blue Line Logistics échappent à ce reproche, même si le transfert de flux palettisés peut être stimulé par des aides publiques.

Financé par des investisseurs privés, ce concept a démarré en 2014 en Belgique avec la mise en service de deux premières unités et s’est fait - non sans peine - une place pour le moment réduite sur le marché, grâce notamment au fait que la législation belge permet d’exploiter des bateaux de moins de 55 m avec un seul membre d’équipage, ce qui fait l’objet de restrictions plus fortes dans d’autres pays comme la France.

Le rapport pose la question de la durabilité de ce type de transport si les subventions au transfert modal de palettes viennent à disparaître.

L’automatisation est un développement « inévitable » et multiforme qui se manifestera par paliers et étapes. Comme ailleurs, il s’agira notamment de numériser et de « canaliser » les flux d’information nécessaires, de créer les plates-formes et l’infrastructure qui permettent de les intégrer et de les partager.

Comme ailleurs, elle permettra de répondre à des problèmes comme le manque croissant de main-d’œuvre, mais requiert des investissements conséquents de toutes les parties concernées alors que le marché n’offre pas des débouchés illimités. Comme ailleurs, il faudra mettre en place une réglementation adaptée à cette nouvelle donne, définir les responsabilités et harmoniser les régimes juridiques. « La principale question que soulèvent les innovateurs est le goulot d’étranglement réglementaire. Ils affirment que la technologie est déjà disponible », selon le rapport INN-IN.

L’automatisation s’accompagne aussi de défis spécifiques à relever pour équilibrer fiabilité, sécurité et productivité quand on l’applique à la navigation intérieure. Un exemple : le manque de standardisation de la flotte fluviale ajoute un seuil de plus à franchir quand on veut mettre en place des systèmes d’amarrage automatique. Il faudra en plus repenser infrastructures (soutage, etc.) et réseaux (communication, etc.), surtout quand on voudra franchir le cap de la navigation entièrement automatisée. Il faudra également changer les mentalités, convaincre un secteur parfois rétif à l’innovation, trop fixé sur son propre mode et qui ne parvient pas toujours à peser d’un poids suffisant sur le processus décisionnel.

Convaincre le secteur privé

Le passage à un carburant alternatif comme le gaz naturel liquéfié (GNL) soulève des interrogations similaires concernant l’absence d’un réseau de distribution suffisamment dense, les investissements requis, la taille du marché etc.

Le rapport ajoute des considérations additionnelles comme la volatilité du prix du GNL et sa corrélation avec les carburants conventionnels, le débat sur la réalité des atouts climatiques du GNL, la réduction de la charge utile qui découle de l’installation des réservoirs cryogéniques à bord des bateaux, les normes plus sévères en matière de sécurité avec des conséquences sur la formation des équipages et une surcharge administrative à la clé, etc. Le rapport estime toutefois que le GNL est « un carburant qui présente une solution alternative intéressante sur des trajets longue distance, dans une exploitation continue et pour les bateaux de plus grande taille ».

Les auteurs concluent sur une note positive : l’innovation dans la navigation intérieure est possible même si les exemples entièrement financés sur fonds privés n’existent apparemment pas.

Il faut toutefois créer les conditions nécessaires à sa percée et le rôle des pouvoirs publics à ce niveau est crucial pour surmonter les handicaps propres au secteur dont sa faible capacité à investir, la taille réduite du marché qu’il offre, et son besoin en solutions taillées sur mesure. Le chemin sera long, mais est-il concevable de ne pas l’emprunter ?

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