La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a relayé auprès du Gouvernement, dans une lettre du 24 avril 2020, une série de mesures adaptées aux secteurs portuaires et maritimes pour passer le cap de la crise et favoriser la relance. Ces propositions ont été bâties après une suite d’auditions des différents acteurs de ces deux secteurs. « L'objectif de ces consultations était double : d'une part, évaluer le fonctionnement des différents maillons de la chaîne du transport maritime de marchandises, depuis les chargeurs jusqu'aux manutentionnaires en passant par les services portuaires ; d'autre part, dresser un premier bilan économique des conséquences de l'épidémie de Covid-19 sur ces secteurs et voir quelles mesures de soutien peuvent être mises en œuvre pour les accompagner face à cette situation inédite », a précisé le sénateur Michel Vaspart lors de la réunion de la commission le 22 avril 2020.
Dans leur lettre adressée au Gouvernement, les sénateurs indiquent que les mesures nécessaires s’articulent autour de trois points :
-un renforcement du soutien au secteur portuaire et maritime et une meilleure prise en compte de ses spécificités dans les dispositifs transversaux adoptés depuis le début de la crise ;
-la définition rapide d’une organisation robuste pour concilier le déconfinement, la reprise des activités de transport de passagers et le respect des gestes barrière ;
-la mise en place d’un plan de relance spécifique pour le fret et l’inclusion du transport maritime de passagers dans un plan de relance « tourisme ».
Des situations variables d’un port à l’autre
Parmi les demandes concrètes présentées dans le courrier au Gouvernement, il y a le gel des redevances domaniales, l'exonération de taxes et droits portuaires.
Les sénateurs précisent : « Sur ce volet, de fortes disparités sont observées : les trois ports de l’axe Seine (Haropa) ont décidé de reporter les dates de paiement des redevances domaniales, pour les échéances comprises entre le 1er mars et le 30 juin, au 10 juillet 2020 ; le port de La Rochelle s’est engagé dans une démarche similaire ; le GPM Nantes-Saint-Nazaire (demande des manutentionnaires le 27 mars) a annoncé qu’il étudierait les demandes au cas par cas ; à Dunkerque (demande des manutentionnaires en date du 9 avril par courrier), Bordeaux (demande en cours) et Marseille (demande en date du 6 avril, pas de réponse), aucune décision de report n’a été prise. »
Les sénateurs ajoutent : « En application du Code des transports, la décision de report des redevances domaniales et des droits de ports relève au premier chef des directeurs de ports et la DGITM ne souhaite pas, à ce jour, transmettre une instruction nationale. Elle recommande des accords de place portuaire au cas par cas. L’article 20 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 apporte une première réponse, qui doit cependant être confortée et amplifiée. »
Surveiller les mouvements capitalistiques
Les autres mesures listées dans la lettre au Gouvernement sont :
- la mise en place de discussions avec les assureurs, d’une part, pour garantir le paiement immédiat des indemnités pour des sinistres constatés avant la crise, et d’autre part, pour prendre en compte, dans les contrats d’assurance, les pertes financières résultant d’une immobilisation des navires durant l’épidémie de Covid-19 au même titre que les risques de guerre. Une intervention du groupement d’assurance de risques exceptionnels (Garex), avec l’appui de la caisse centrale de réassurance de l’État (CCR) serait opportune ;
- une extension temporaire (6 à 8 mois, renouvelables) du dispositif d’exonération de charges patronales (Enim et Urssaf) prévu par la loi pour l’économie bleue aux entreprises de pilotage, remorquage et lamanage dans les ports. Le coût pour les finances publiques s’élèverait à environ 2,5 M€ par mois ;
- l'organisation de discussions avec les banques pour mettre en place un moratoire de 18 mois pour le remboursement des dettes et des intérêts. Un moratoire de 6 mois aurait été annoncé par la Fédération bancaire de France, il convient de s’assurer de la réalité de cette annonce et d’envisager une extension de ce soutien ;
- la prolongation du prêt garanti par l’État (PGE) jusqu’à l’été 2021, un élargissement des dépenses éligibles et un assouplissement de ses conditions (maturité sur trois, quatre ou cinq ans). Un rehaussement de 15 à 30 M€ du plafond du prêt « Atout » de la Banque publique d’investissement (BPI) serait également opportun ;
- une meilleure prise en compte des spécificités du secteur maritime pour les mesures de chômage partiel (problématique des délégués de bord et des équipages « double » pour assurer la continuité de l’exploitation des navires) ;
- la possibilité pour les opérateurs de transport de passagers de proposer des avoirs à leurs clients plutôt que des remboursements.
Les sénateurs alertent également le Gouvernement sur deux points supplémentaires :
-La concentration dans le secteur des armateurs se renforce et il convient de surveiller les mouvements capitalistiques impliquant des armateurs français, pour préserver la souveraineté nationale.
-La situation critique des entreprises assurant les liaisons Transmanche. Un courrier a été adressé au Premier ministre par deux compagnies le 2 avril 2020, sans réponse à ce jour.
« Absence de stratégie nationale portuaire »
La lecture du compte rendu des échanges de la commission qui a conduit à la rédaction de la lettre au Gouvernement montre que, pour les sénateurs, le plan de relance à bâtir doit « non seulement soutenir les entreprises mais, plus important encore, préserver le mouvement de verdissement et de développement durable dans lequel ce secteur s’est engagé depuis plusieurs années ».
Les propos montrent également que les travaux de la mission sur la gouvernance et la performance des ports maritimes, présidée par Martine Filleul avec comme rapporteur Michel Vaspart, se poursuivent. Quelques informations ont été données sur cette mission.
Michel Vaspart a indiqué : « La mission que nous avons menée avec Martine Filleul nous a conduits à observer plusieurs problèmes, notamment l'absence de stratégie nationale portuaire. Il n'y a pas non plus de stratégie européenne pour le moment. Dans les grands ports maritimes français, les directeurs disposent d'une large autonomie, les conseils de surveillance fonctionnent plus ou moins bien en fonction de la personnalité du directeur du port et de leurs membres. Notre rapport de mission formulera un certain nombre de propositions sur ces points. Sa publication a bien entendu été décalée compte tenu du contexte sanitaire. Je pense qu'il faut donner à chaque port des objectifs définis par son conseil de surveillance, mais aussi par l'État. De surcroît, il faut impérativement définir une stratégie européenne face aux concurrents asiatiques. »
Concernant la situation sociale dans les ports, il a poursuivi : « Dans le cadre de la mission d'information, nous avons effectué plusieurs déplacements, dans les sept grands ports maritimes de métropole et celui de Paris, ainsi qu'Anvers et Rotterdam. La question sociale dans les ports est revenue en France dans la quasi-totalité des places portuaires, sauf à Dunkerque où la situation est historiquement différente. J'évoquerai ce sujet dans notre rapport de mission d'information avec des propositions concrètes. »
Martine Filleul a ajouté : « Autant je partage la préoccupation d'un plan de relance pour l'ensemble des activités portuaires, autant je souhaite insister sur le fait qu'il faut conditionner les aides au verdissement, favoriser les projets qui vont dans ce sens et surtout ne pas réduire l'ambition sur la diminution des rejets et la décarbonation. En deuxième point et pour aller dans le sens de Michel Vaspart, je souhaite évoquer le tourisme maritime et fluvial. Ces deux secteurs souffrent particulièrement de la crise sanitaire que nous vivons, et des aides doivent être mises en place. »