"C'est la course-poursuite aux prix les plus bas", constate Sébastien Poncelet, spécialiste des céréales chez Argus Media France (cabinet Agritel). Sur Euronext, "le blé est au plus bas depuis trois ans et demi". Le 5 mars, le cours s'est en effet clôturé à 183,5 €/t.
Partout, le blé chute "parce que le potentiel est toujours là en Russie et en Ukraine, qui vendent à prix cassés", explique Jon Scheve, de la société de conseil Superior Feed Ingredients. "En février, l'Ukraine a exporté plus de 7 Mt de céréales et oléagineux : elle fait mieux qu'avant la guerre", souligne Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage.
Symboles de la colère
Ces derniers mois, les agriculteurs ukrainiens sont devenus, malgré eux, l'un des symboles de la colère des fermiers européens. Ceux-ci accusent les céréales ukrainiennes de causer une chute des prix et réclament un durcissement des règles de l'UE sur les importations de cet acteur majeur du secteur.
Pour tenter d'obtenir gain de cause, des fermiers polonais bloquent la frontière ukrainienne depuis des semaines, entravant des routes commerciales importantes.
Selon les autorités ukrainiennes, 90 % des exportations agricoles ukrainiennes passent donc par la mer, une voie qu'elles comptent développer pour contourner le blocage polonais. Mais même avec ce couloir maritime, les conséquences du blocus polonais sont "énormes" pour l'économie ukrainienne, au-delà de la seule agriculture,explique Anna Derevianko, directrice du lobby European Business Association (EBA).
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Exportations ukrainiennes et russes en hausse
Selon les données de l'association de producteurs ukrainiens UGA, les exportations, essentiellement du maïs et du blé en cette saison, sont en hausse de 16 % par rapport à février 2023, et l'essentiel de ces produits quitte le pays par les ports de la région d'Odessa (72 %), ceux qui avaient été désignés par le premier couloir maritime négocié entre les deux belligérants sous l'égide de l'ONU mais que la Russie a dénoncé.
"Les prix russes baissent jusqu'à arriver au niveau des prix ukrainiens, et les prix ukrainiens baissent encore. Les acheteurs en profitent en retardant leurs achats et en faisant jouer la concurrence au maximum", analyse Sébastien Poncelet.
"L'offre reste abondante" et les récentes déclarations de Vladimir Poutine, qui a évoqué des exportations de grains supérieures à 65 Mt pour la campagne en cours, ont "renforcé le scénario de l'offre surabondante", relève Michael Zuzolo, de Global Commodity Analytics and Consulting.
Pas de craintes sur les volumes
Profitant de cette aubaine sur les prix, l'Algérie a acheté près de 900 000 t de blé tendre à moins de 230 $ la tonne (transport compris) pour juin. Elle avait payé 265,5 $/t pour son précédent achat à la mi-janvier.
"Une grande partie de ce contrat – avec origines optionnelles qui pourront varier jusqu'à la date de chargement –, sera probablement russe, mais on parle aussi d'origines française ou roumaine", indique Damien Vercambre.
Personne ne se précipite, car "il n'y a pas de craintes sur les volumes, ce qui n'est pas de nature à faire remonter les cours", estime le courtier. Jusqu'aux États-Unis, "on n'a pas une demande qui justifierait des prix plus élevés", signale Jon Scheve.
"Jusqu'ici, chaque fois qu'une information permet au marché de se redresser, les fonds se remettent à vendre. On n'en sortira que lorsque les pays de la mer Noire auront éclusé leurs stocks excédentaires", conclut Michael Zuzolo.
La rédaction (avec Sofia Bouderbala et Thomas Urbain)