Y aura-t-il du fuel dans les ports après Noël ?

 

Depuis que la date de mise en œuvre du règlement de l'OMI sur les carburants marins « désulfurisés » est connue, deux questions hantent les armateurs et propriétaires de flotte. Elles persistent à quelques mois seulement de l’entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

 « Nombreux sont ceux, dans l'industrie du transport maritime, qui pensent que le produit ne sera pas là où ils en auront besoin. Nous pensons que le produit sera là mais…  à un certain prix », s’amuse le PDG d'Ocean Freight Exchange, une plateforme d’intermédiation dont les solutions sont dédiées à la gestion du bunker, considérant que l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation plafonnant le soufre contenu dans les carburants marins à moins de 0,5 % n’est pas « un événement unique en son genre ». Mais seulement, « une fois en 100 ans ». L’humour anglo-saxon, sans doute

Tour à tour, les grandes compagnies pétrolières présentent l’offre qui va permettre aux armateurs et propriétaires de flottes de continuer à s’avitailler, qu’ils aient opté pour le VLSFO (ou LSFO, fuel à très faible teneur en soufre, 0,5 %), le gazoil marin (MGO) ou le vieil HFO (heavy fuel oil, à 3,5 % de soufre), qui ne sera pas proscrit si les navires sont équipés de dispositifs d’épuration des gaz d’échappement… Voire le GNL pour ceux qui ont carrément franchi le rubicond, à l’instar de CMA CGM et de Brittany Ferries en France (cf. Le commerce de GNL se porte bien).

Et si la demande basculait massivement en faveur d’un carburant à 0,5 % de soufre

En attendant et depuis que la date de mise en œuvre du règlement sur le combustible de soute par l'OMI est connue, les deux principales questions qui hantent les armateurs et propriétaires de flotte sont à la fois comptables et logistiques : l’écart de prix entre les carburants conformes et leur homologue à haute teneur en soufre sera-t-il suffisamment important pour rentabiliser dans des délais raisonnables l’investissement dans les scrubbers ? Y-aura-t-il suffisamment de ports offrant du carburant conforme ? Et si la demande basculait massivement en faveur d’un carburant à 0,5 % de soufre, pourront-ils encore trouver partout du HFO dans la mesure où, dans ce cas, la terrible loi entre l’offre et la demande imposera sa main sur le marché ?  

À quelques mois de l’échéance, il semblerait que les armateurs soient toujours habités par les mêmes obsessions, bien que dans certains secteurs, dont le conteneur et la croisière, ils aient massivement opté pour le heavy fuel oil avec scrubbers (cf. Le couple HFO-scrubbers a la cote). Ont-ils été rassurés par les récentes prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qui estimait que la demande sera suffisamment forte pour inciter les fournisseurs de soutes à maintenir un niveau de HFO dans les principaux ports ? Certains représentants de compagnies pétrolières, dont Jérôme Leprince-Ringuet, le directeur général de Total Marine Fuels, ont pourtant indiqué que les propriétaires ayant choisi ce carburant doivent être conscients que la disponibilité des avitailleurs, du stockage voire même l’offre dans certains ports ne seront pas garantis partout et « qu’ils doivent se renseigner avant ».

Les armateurs opérant en tramping demandent une plus grande clarté

C’est bien ce qui inquiète au demeurant les acheteurs. Malgré les assurances données par les fournisseurs de carburant, les questions demeurent quant à leur disponibilité dans TOUS les ports, et notamment ceux qui ne font pas partie de la grande hiérarchie portuaire. Or, tous les ports ne s’appellent pas Singapour, lequel a publié une liste de pas moins de 49 fournisseurs agréés de combustibles conformes en toute sécurité, le risque de contamination des blend (mélanges) étant une autre angoisse. Et tous les navires ne sont pas des porte-conteneurs, réglés comme du papier à musique en escalant dans des ports et terminaux planifiés.

Des fédérations d’armateurs opérant en tramping ont d’ailleurs demandé une plus grande clarté et ont saisi le Comité de la sécurité maritime de l'OMI de façon à ce que les régulateurs prennent en compte les réalités de leurs secteurs.

Carte des ports où l'offre sera disponible selon BP

Liste des ports sélectionnés

Du côté des compagnies pétrolières, les informations se distillent au compte-gouttes et les volumes de production sont classés « défense » pour ce marché estimé à 250 Mt/an dont 185 à 190 Mt en fuel lourd.

Sans dire à quel moment les carburants seraient disponibles, la 3e compagnie mondiale BP, qui vient de publier un rapport bien compromettant pour l'accord de Paris sur le climat en indiquant que les émissions de CO2 avaient connu au niveau mondial en 2018 leur plus forte hausse depuis sept ans (+ 2 %), a annoncé en mars qu'elle rendrait le carburant à 0,5 % disponible d'abord à Seattle, Panama (Balboa/Cristobal), Afrique du Sud (Cape Town/Durban/Richards Bay), Oman (Salalah), Amsterdam/Rotterdam/Anvers (ARA), Chine et Hong Kong, Singapour, Australie (Fremantle/Gladstone/Brisbane) et Nouvelle-Zélande.

Le géant texan ExxonMobil a fait part au même moment que du carburant désulfuré serait disponible au 3e trimestre de cette année dans les ports d'Anvers, Rotterdam, Gênes, Marseille, Singapour, Laem Chabang et Hong Kong. L’Américain a par ailleurs lourdement investi dans ses installations : il a planifié 1 Md$ en plusieurs phases à Anvers, envisage une modernisation toute aussi importante de ses unités à Singapour et au Royaume-Uni tandis qu’il a achevé, après deux ans de gros travaux, sa mue à Rotterdam (elle ne produit plus de fioul lourd) afin de se doter d’un nouvel hydrocraqueur produisant du diesel à basse teneur en soufre et des huiles de base de qualité supérieure (cf. ExxonMobil se dote d'une raffinerie « hyper-performante » à Rotterdam).

La 2e compagnie pétrolière des États-Unis derrière Exxon et 6e au niveau mondial, Chevron, a indiqué qu'elle proposera du 0,5 % d'ici la fin du 3e trimestre sans toutefois mentionner la précieuse liste.

 

Objectif : produire 10 Mt de carburant à faible teneur en soufre d'ici 2020

L’anglo-néerlandaise Shell, par ailleurs très investie dans le GNL, a annoncé mi-mai avoir finalisé 19 essais de son fuel à 0,5 % de soufre dans les principaux ports du monde. La compagnie doit mener d'autres campagnes de tests à Rotterdam et à Singapour. « L'expérience que nous avons acquise dans le cadre d’un essai réussi avec le pétrolier/chimiquier Silver Carolyn et d'autres nous assurent que les solutions correspondent aux attentes de nos clients » a déclaré Grahaeme Henderson. D’après le responsable du transport maritime chez Shell, les carburants n’ont pas impacté les moteurs, ont été aisément manipulables et sans charges de travail supplémentaires pour les équipes techniques.

La semaine dernière, c’est le géant énergétique chinois Sinopec, qui s’est distingué dans l’actualité en révélant son objectif de produire 10 Mt de carburant à faible teneur en soufre d'ici 2020 et 15 Mt d'ici 2023. L’Asiatique a garanti que Zhoushan et d'autres grands ports chinois seront couverts ainsi qu’une cinquantaine de grands ports étrangers, sans autres précisions. Dix raffineries du groupe devraient à terme produire du fuel à faible teneur en soufre, sachant que Shanghai, Jinling et Hainan raffinaient déjà depuis un temps du carburant conforme (cf. L'Asie ne manquera pas de LSFO).

Total privilégie les ports de l'ARA

Quant à Total, elle a précisé que son 0,5 % de soufre sera à disposition à partir du 4e trimestre de cette année. Total a privilégié dans un premier temps « les principaux ports de soutage de l’ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), de la France et de l’Allemagne ainsi que Singapour » (cf. Total évangélise son marché au bon usage des carburants).

Le groupe français semble toutefois plus intéressé par une diversification dans le GNL au regard de ses récentes manœuvres. Selon la compagnie nationale, sa production devrait se répartir entre 75 à 85 % de carburants à faible teneur en soufre, de 10 à 20 % à forte teneur en soufre, et jusqu'à 5 % de GNL entre 2020 et 2025. Une part faible mais « la meilleure option pour l'avenir parmi tous les carburants alternatifs », défend sans ambiguïté Jérôme Leprince-Ringuet.

Adeline Descamps

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