[Tribune] De quelle crise le Covid-19 est-il le nom ?

 

La pandémie mondiale et ses conséquences économiques ont besoin de trouver dans l’histoire des références et des parallèles qui peuvent éclairer le présent. Pour la crise sanitaire actuelle, ces références manquent. Le SRAS et le H5N1 n’ont pas eu les mêmes répercussions à l’échelle mondiale​ et la grippe espagnole appartient à un autre temps.

La crise économique provoquée par le Covid-19 est-elle assimilable à un autre événement de dépression historique ? Ces dernières semaines, celle des années trente, qui n’a de résonnance que dans la conscience historique américaine, a largement été convoquée.

L’histoire des crises économiques garde surtout en mémoire les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 et des passages à vide, comme celui de la première guerre du Golfe en 1991 et du  krach boursier des valeurs technologiques de 2000. En fait, la seule référence qui vaille reste la crise financière de 2008 (la crise des dettes souveraines de 2011-2013 est un épisode européen à dissocier) et les temps difficiles qui s’en sont suivis.

Le transport maritime vivait un micro âge d’or quand la récession s’est abattue. À la différence de la stricte discipline observée actuellement dans la gestion de l’offre et de la demande, les armateurs portent une lourde responsabilité dans le sort qui leur a été réservé. En maintenant une surcapacité et en résistant à ce que le marché dictait – à  savoir réduire le nombre d’opérateurs –, ils en paient encore aujourd’hui les conséquences. Les vracs secs peinent à sortir d’un marasme décennal et les conteneurs ont traversé une crise de deux ans, en 2016 et 2017.

À crise, crise à demi

La crise du covid-19 n’est pas une crise économique conventionnelle. La plupart des dirigeants du monde entier ont fait le choix, pour des raisons sanitaires, de mettre sous cloche une grande partie de l’activité économique et de suspendre totalement la vie sociale. Les crises précédentes étaient des ajustements brutaux du fonctionnement de l’économie libérale. Le confinement mondial est une « pause auto-imposée » de notre mode d’organisation contemporain.

Si l’on appréhende la crise par le prisme de la croissance, l’année 2020 supporte difficilement la comparaison avec 2009. Selon l’agence de notation financière Fitch Ratings, la baisse du PIB de la crise mondiale de 2009 était de 1,7 % quand celle du Covid-19 est de 4,6 %. Les États-Unis (- 5,6 %) et la zone euro (- 8,2 %) sont promis à une année difficile. Même pour la Chine, dont la croissance a été revue à seulement 0,7 %, le choc est violent. La liste des impacts est longue : affaiblissement de pans d’activités, marchés atones, taux de chômage, menaces alimentaires sur les pays les plus pauvres…

Les échanges internationaux sont touchés au premier rang. L’un des effets du confinement a été de rendre impossible la consommation dans bien des pays avec des effets boule de neige sur une partie de l’économie et au-delà du déconfinement. Pour le pétrole, l’OPEP  estime à 9 % la chute de la consommation mondiale, quand elle n’a été que 2 % en 2009, et de façon moins prononcée aux États-Unis (- 8 %) qu’en Europe (- 11 %). Même le populaire GNL devrait se contracter de 2,7 % selon une estimation de Wood Mackenzie.

Clarksons prévoit que la demande pour les vracs secs sera en repli de 2 %, sachant qu’elle était nulle en 2019 et à - 4 % en 2009. Le poids de la Chine dans le fer, le charbon et le soja conditionne ce pan de l’industrie maritime. Le minerai de fer vers la Chine reste cependant dans une sphère positive (+ 3 %). Les flux de fer et de charbon vers l’Europe, l’Inde et l’Asie du Nord-Ouest ne connaissent pas le même confort, pour leur part bien en recul. La vente de voitures neuves devrait être réduite d’un quart cette année en Europe et aux États-Unis. Pour les conteneurs, les effets de la contraction mondiale ont été évalués entre 9 % et 12 % (Clarksons, Drewry, Alphaliner). En 2009, elle était de 11%.

Reste à savoir si la seconde partie de l’année sera suffisamment dynamique pour effacer les déficits de trafics de ses premiers mois.

Armateurs, une dépression gérable ?      

Pour les armateurs de tankers, la crise de 2009 avait fait chuter les taux de fret. Cette fois, le marché spéculatif et le stockage flottant ont maintenu pendant quelques semaines les taux de fret au plus niveau avant une normalisation des trafics pétroliers.

Le Baltic Dry Index, indice qui évalue le prix à payer pour transporter du vrac sec en considérant 26 routes maritime, est un miroir pratique. L’index a bel et bien chuté, mais à un niveau qui reste « acceptable » car, en réalité, depuis dix ans, la surcapacité fait régulièrement plonger le BDI. C’est l’appétit de la Chine pour les matières premières qui maintient le segment dans une situation « tolérable ».

Le désarmement des porte-conteneurs, qui représente presque 12 % de la flotte mondiale (551 unités), est sensiblement au même niveau qu’en 2009 à périmètre comparable. Enfin, le Shanghai Container Freight Index progresse en mai, mais sans avoir, au pire de la crise, plongé dans la zone noire connue de 2016 à 2017. Le Covid-19 est un gigantesque trou d’air, mais le maintien des flux et une discipline des taux devraient limiter les casses.

La globalisation maritime a atteint un palier. L’activité mondiale, qui n’avait affiché qu’une croissance de 1 % en 2019, devrait se contracter de 5 % en 2020 et sans doute rebondir en 2021, comme elle l’avait fait en 2010. Sans doute le Covid-19 ne changera donc rien à la maturité engagée des échanges internationaux par voie maritime en ce début de décennie.

Paul Tourret, directeur de l’Isemar, Institut supérieur de l’économie maritime

 

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