Suez et Panama consentent des gestes commerciaux pour limiter la fuite des navires

 

Grande opération commerciale. Les porte-conteneurs font des infidélités aux canaux de Suez et de Panama et en économisent les droits de passage. Ils de plus en plus nombreux à emprunter la route, plus longue, par le Cap de Bonne-Espérance, que le prix historiquement bas du pétrole rend particulièrement attractive. Pour juguler leur évasion, les isthmes égyptien et centraméricain réagissent en offrant ristournes et facilités.

Les deux routes maritimes majeures pour le commerce mondial n’ont pas tardé. Il aura fallu à peine trois semaines entre le moment où les premiers « détournements » de navires ont été repérés – les CMA CGM Alexander Humboldt et CMA CGM Chile qui opèrent sur des services Asie-Europe – et l’annonce de coups de rabot sur les péages.

Alors que l'Autorité du canal de Suez (SCA) avait déjà accordé le 30 mars une réduction de 6 % sur les droits de passage pour les navires en provenance d'Europe du Nord et de Méditerranée vers les destinations asiatiques, elle concède de nouveaux gestes commerciaux. La première salve de rabais ne s’est manifestement pas révélée suffisante pour endiguer la désertion de la clientèle. Elle accorde cette fois des ristournes, allant jusqu'à 75 %, pour les unités se dirigeant vers l'Est à partir de la côte est de l'Amérique du Nord. Les navires transportant du vrac liquide en direction de l'Asie à partir de l'Algérie, de Tanger et de l'Europe du Nord bénéficient d'une réduction de 17 % tandis que ceux vers le nord-ouest de l'Europe ont droit à un rabais plus modeste de 6 %. Avec effet immédiat, la nouvelle politique tarifaire sera effective jusqu'à la fin du mois de juin.

Le canal de Panama a également ajusté son système de paiement « pour soulager la trésorerie de ses clients pendant la pandémie », indique l'Autorité du canal de Panama (ACP) dans un communiqué. « À compter du 4 mai, nous mettrons en œuvre de façon temporaire des assouplissements en termes de paiement anticipé des frais de réservation. » Jusqu'à présent, les navires devaient, pour transiter, s’acquitter des droits dans les 48 heures suivant la réservation. Désormais, les navires pourront régler la redevance jusqu'à leur entrée au passage. La mesure sera levée le 1er septembre 2020. « Elle répond à une demande de nos clients », a ajouté l'autorité portuaire.

Le passage par le cap de Bonne-Espérance : mauvais signal ?

Sauve-qui-peut

Les deux passages, dont la fortune repose sur leur raccourci (plus de 6 000 miles nautiques) entre Asie et Amérique du Nord et entre Asie et Europe, l’un en évitant d’avoir à contourner l’Afrique par le cap de Bonne Espérance, l’autre les eaux tumultueuses du Cap Horn, tentent ainsi d’endiguer l’érosion. Car depuis les premiers navires de CMA CGM, d’autres porte-conteneurs ont également tracé via le cap de Bonne Espérance. Maersk et MSC, partenaires au sein de l’alliance 2M, y ont envoyé plusieurs unités opérant sur des services vers l’est (AE-6/Lion entre Europe du Nord-Asie-côte Ouest des États-Unis, AE-2/Swan). Ocean Alliance et THE Alliance y ont également envoyé plusieurs porte-conteneurs.

Depuis la fin mars, Alphaliner a tracé au moins 20 navires détournés de leur route habituelle. Et de manière plus inattendue, trois traversées vers l'ouest entre l'Asie et l'Europe ont été opérées par CMA CGM. En outre, neuf porte-conteneurs en direction de l'Europe et de l'Asie et huit en direction de la côte est des États-Unis et de l'Asie ont également emprunté la route la plus longue. Un manque à gagner pour l'Autorité du canal de Suez (SCA) estimé à 10 M$, hors l'annulation du nombre historique de rotations sur les routes Asie - Europe et Asie - Côte Est des États-Unis depuis février.

 

Dans le sillage de CMA CGM, d'autres transporteurs mettent le cap sur Le Cap

Avec la faiblesse historique des prix du pétrole et la chute brutale de la demande, le passage par le Cap de Bonne-Espérance redevient attractif par rapport à un transit par Suez par exemple, dont les redevances portuaires peuvent s’élever jusqu’à 800 000 $ pour les plus grandes unités. Outre l’économie sur les péages, les armateurs suppriment en outre temporairement des capacités dans un contexte d’offre excédentaire. Suez et Panama ne sont pas surpris. Il en a toujours été ainsi chaque fois que le pétrole a présenté des coups de mou. Ainsi, en 2016 et 2017, Suez avait accordé une réduction jusqu’à 45 % aux grands pétroliers ainsi qu’une réduction de 3 à 50 % pour les porte-conteneurs.

Immunisés contre l’épidémie

Pour l’instant, les « choke point » ont été relativement épargnés par l’épidémie. Suez, qui pèse 9 % du commerce maritime international (18 880 navires en transit en 2019), a vu le nombre de transits augmenter au premier trimestre 2020 de 8,4 % par rapport à la même période un an plus tôt. Selon l'Autorité du canal, les revenus se sont élevés à 458,2 M$ en février, contre 433,9 M$ au même mois l'an dernier.

Panama, ce cordon de quelque 80 km entre Pacifique et Atlantique par lequel transitent plus de 12 000 navires chaque année (12 281 en 2019), n’a jamais rapporté autant d’argent. Son exercice achevé en octobre 2019 s’était soldé par un chiffre d’affaires de 3,3 Md$, soit « 6 % du PIB du Panama et au moins 20 % des revenus de l'État », indique la direction. Même le manque à gagner de 30 M$ dû à la guerre commerciale sino-américaine ne l’avait pas fait dérailler. Au cours du premier semestre de son année fiscale 2020 (octobre 2019 – mars 2020), son tonnage était en hausse de 4,4 % à 258,4 Mt dont 82,1 Mt avec les porte-conteneurs et 41,8 Mt avec les vraquiers. Il avait alors engrangé 7 528 passages contre 7 029 prévus.

Suez - Panama, des concurrents, vraiment ?

Panama compte sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre

« Jusqu'à présent, nous avons enregistré des transits et des tonnages réguliers. Mais nous anticipons le fait que le transit des marchandises et des passagers soit affecté », avait alors commenté Ricaurte Vásquez Morales, administrateur du canal de Panama. Il expliquait en outre suivre de près « divers facteurs qui régissent le commerce mondial », mentionnant l'état des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine, la mise en œuvre des lignes directrices de l'IMO 2020, le prix du pétrole, la mise en œuvre des projets d'ajustement au déficit hydrique [le déficit historique de pluies a fait baisser le niveau d’eau dans les lacs qui alimentent le canal, NDLR] et « l'utilisation de routes alternatives, notamment le canal de Suez, le cap de Bonne-Espérance ».

« Il est probable que nous soyons touchés par la chute des prix du carburant, car elle affecte certes le canal mais aussi le transit des biens énergétiques [les porte-conteneurs restent les premiers usagers, mais le trafic des méthaniers est celui qui enregistre la plus forte hausse, NDLR]. Mais cette voie reste pertinente et présente encore de nombreux avantages, notamment pour le commerce de conteneurs entre l'Asie et la côte Est des États-Unis. En étant la route la plus courte, elle contribue également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'industrie maritime ».

Pour sa croissance future, l’infrastructure transocéanique va néanmoins devoir revoir ses plans. Il y a quelques mois, la direction indiquait compter davantage sur les paquebots que sur les porte-conteneurs. L’Island Princess ralliant Vancouver, sur la côte ouest du Canada, à Fort Lauderdale, en Floride, après 21 jours de croisière, avait symboliquement ouvert la nouvelle saison. Les Panaméens espéraient glaner 320 000 touristes de plus grâce au passage de quelques 250 navires de croisière.

Adeline Descamps


 

 

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