Dans le classement mondial des premiers pays d’armateurs par le nombre de navires et la valeur de leur flotte, réactualisée chaque année par VesselsValue, il y a toujours un intrus façon « cherchez l’erreur » et des valeurs sures.
L’intrus. Dans le précédent classement, la Suisse, totalement inconnue jusqu’alors au bataillon des pays propriétaires de navires, émergeait au dixième rang. La valeur de sa flotte s'était alors élevée à 54 Md$, et un peu moins de la moitié (25 milliards) était le fait de 431 porte-conteneurs, cadeau du boulimque armateur genevois MSC, qui a opéré un raid sur les navires neufs et de seconde main depuis août 2020.
Cette année, c’est Hong Kong qui endosse le rôle en entrant dans le classement avec flotte dont la valeur a atteint 44,7 Md$, porté par un investissement massif dans le secteur des vraquiers (13 Md$), soit plus d'un quart de la valeur totale de la flotte.
Une inattendue. L’inflation de la valeur des vraquiers s'est imposée dans toutes les catégories, notamment les capesize de 180 000 tpl (+ 32,14 % d'une année sur l'autre), passant de 42,53 à 56,2 M$. La cote des flottes de vraquiers des dix premiers pays totalise plus de 220 Md$. Ils ont incontestablement animé le marché l'an dernier.
Une attendue. La perte de valeur dans les porte-conteneurs d’au moins 60 Md$ était anticipée. Le refroidissement de l'humeur du marché a eu un impact sur leurs prix en chute de l'ordre de 20 % dans ses différents segments. Seuls les armateurs basés à Singapour ont gardé le même niveau d’investissement. En revanche, en Allemagne, pays de porte-conteneurs, la valeur des actifs a été quasiment divisée par deux, en passant de 32 à 17 Md$ en un an.
Une inconnue. Sortie du classement en 2022, Taïwan, qui compte pourtant trois grands armateurs de porte-conteneurs (Evergreen, Yang Ming et Wan Hai, soit les numéros sept, neuf et onze mondiaux), n’y revient pas l'an dernier.
Des paramètres intangibles. La Grèce reste un grand pays de pétroliers, la Corée du sud et la Norvège, de méthaniers, et l’Allemagne de porte-conteneurs.
À quelques exceptions près, la liste des dix premiers pays d’armateurs est invariable. En Europe, la Grèce (troisième pays mondial), la Norvège, le Royaume-Uni et l’Allemagne figurent parmi les nations riches par la valeur de leur flotte mais la France n’y est pas.
Un trésor de guerre de plus de 1 000 Md$. En février 2022, leur flotte était estimée à 980 Md$. En février 2023, elle valait 1 110,54 Md$. En février 2024, la fortune consolidée des armateurs domiciliés au Japon, en chine, en Grèce, aux États-Unis, à Singapour, en Corée du Sud, en Allemagne, en Norvège, au Royaume-Uni et à Hong Kong, est évaluée par VesselsValue à 1 040 Md$.
Dans les grandes lignes, le Japon, qui était repassé devant la Chine au premier rang mondial dans le précédent classement, y reste. La Grèce, les États-Unis, Singapour conservent leur place respective au troisième, quatrième et cinquième rang. L’Allemagne (ex-numéro six) perd en valeur et se trouve en bout de classement (9e). La Corée du Sud, qui avait perdu de l’influence, retrouve un sixième rang, portée par les investissements dans les méthaniers, devant la Norvège et le Royaume-Uni.
Le Japon ancré en haut du podium
Le Japon, qui présente d’ordinaire une structure de flotte équilibrée (entre vraquiers, porte-conteneurs, tankers et méthaniers), a vu sa flotte (206,3 Md$ d'actifs) s’apprécier de 10 Md$ par an ces deux dernières années, également répartis entre ses quatre grandes catégories.
Avec un bataillon de méthaniers évalué par VesselsValue à plus 37 Md$ et 202 unités, l’archipel détient à ce jour le plus grand portefeuille mondial de ces navires. L'archipel détient aussi la plus grande flotte de navires de transport de GPL (13,4 Md$, 344 unités) et de véhicules (22,9 Md$, 334 navires).
Le pays n’est en revanche plus le leader dans les vraquiers bien que ses ressortissants se soit enrichis de plus de trois milliards, à 56 Md$.
Des investissements importants ont été en outre réalisés dans les pétroliers, avec près de 100 navires ajoutés, augmentant la valeur globale de 15,5 %. « Les tankers se sont renforcées dans presque tous les sous-secteurs et toutes les catégories d'âge au cours de l'année dernière. Par exemple, les suezmax de 10 ans d'âge et de 160 000 tpl ont augmenté d'environ 19,8 % d'une année sur l'autre, passant de 53,43 à 64,01 Md$ », décrypte Rebecca Galanopoulos Jones, analyste de VesselsValue.
Chine : en tête pour les porte-conteneurs et les vraquiers
La seconde puissance économique mondiale reste un grand propriétaire de navires (6 084 unités, 204 Md$).
Le pays de Xi Jinping est le plus important, à la fois en termes de navires et de valeur, en porte-conteneurs, bien que le portefeuille d’actifs (1 011 navires) ait perdu quelque 13 Md$ pour se fixer à 42,5 Md$. Il détient aussi la plus importante armada de vraquiers avec 1 576 unités et une valeur de 51 Md$ (+ 7 Md$ par rapport à l’an dernier).
« En raison de l'amélioration des fondamentaux du marché, les revenus des vraquiers ont été fermes, en particulier pour les capesize. Cela a eu un impact positif sur les valeurs qui ont augmenté d'environ 30,36 % pour des navires neufs de 180 000 tpl », ajoute l'analyste.
Grèce : détrônée par la chine par le nombre de pétroliers
Historique pays d’armateurs avec la prééminence de pétroliers dans sa marine marchande, la Grèce avait été sanctionnée, durant la période pandémique, par les revenus au plancher des pétroliers. Le pays a retrouvé son lustre. La valeur de la flotte de tankers est passée de 56 à 69,5 Md$ mais la Chine le détrône par le nombre de navires sans égaler sa valeur, trois fois moindre (22,1 Md$).
Les sanctions russes en cours et l'augmentation de la demande en tonnes-milles qui en a résulté soutiennent les revenus des pétroliers. La situation en mer Rouge apporte un coup de peps supplémentaire.
Le troisième pays par le nombre total de navires dans sa flotte et de valeur globale détient aussi le deuxième plus grande parc de méthaniers (143 navires avec 31,1 Md$), dont les valeurs campent à des niveaux élevés depuis 2022.
États-Unis : haro sur les paquebots
Pas de grand changement pour le continent nord-Américain avec une valeur de flotte de 99,9 Md$, soit 1 milliards de plus que l’an dernier. La moitié est liée aux paquebots (49 Md$), résultant de la présence sur son territoire des leaders du marché, Carnival, Royal Caribbean et consorts à Miami.
Moins connu, le pays exerce aussi un leadership dans le segment des rouliers avec la plus grande flotte en termes de valeur, soit 2,5 Md$. Mais en nombre (40 unités), ils n’égalent pas le Japon (84).
Singapour : deuxième pour les navires de GPL
Cette année encore, Singapour conserve la 5e place, avec une flotte d'environ 85,7 Md$ (et la 4e place en termes de nombre de navires détenus), due aux porte-conteneurs qui représentent près d'un quart de la valeur de l'ensemble. La Cité-État est aussi la seule à préserver son niveau dans ce marché en déconfiture.
Mais c’est surtout la montée en puissance dans le transport de gaz de pétrole liquéfié qui retient l’attention (+ 57 % en valeur par rapport au dernier rapport), ce qui le propulse au deuxième rang mondial par ce critère. Le continent nord-américain capitalise sur ses investissements dans les infrastructures de gaz.
Corée du Sud : sortie de classement en nombre de navires
Toujours au sixième rang mondial avec son portefeuille de 67 Md$, porté par les valeurs fermes de ses chers méthaniers, le pays est en revanche sorti du Top 10 en termes de nombre de navires possédés, dépassé par de nouveaux venus tels que les Émirats arabes unis, la Russie et les Pays-Bas.
Une catégorie devrait marquer son empreinte dans le prochain classement : celle des porte-voitures, HMM ayant passé une commande de six navires dont la livraison est prévue entre 2026 et 2028, et le secteur étant en plein boom.
La Corée du Sud occupe du reste un rôle central en tant qu'exportateur mondial de voitures.
Allemagne : la reculade
Outre-Rhin, c’est la grande reculade, de la 7e à la 9e place. Une part importante de sa flotte est traditionnellement constituée de porte-conteneurs, dont l’Allemagne possède le deuxième bataillon. Le retour à une normalisation après deux années exceptionnelles rejaillit sur les cotes qui ont chuté, dans le cas allemand, de 32,1 à 17,8 Md$ entre deux rapports (- 45 %).
Peut-être quelques réponses se trouvent-elles dans ces quelques propos entendus lors du Forum maritime allemand à Hambourg en fin d'année dernière.
« Au cours des dix dernières années, nous étions à la recherche d'argent, maintenant nous sommes à la recherche de projets qui rapportent. Les armateurs allemands sont désormais en mesure de diversifier leur flotte, d'investir dans d'autres segments de navires et de moderniser leur tonnage », assurait en novembre 2023 Arnt Vespermann, PDG de la compagnie maritime Offen Group
Pour l’ancien PDG de Hamburg Süd (racheté par Maersk), membre du conseil d'administration de la puissante association des armateurs allemands, Verband Deutscher Reeder (VDR), ses membres ont rempli les caisses grâce à la pandémie mais ce sont désormais les taux d'intérêt élevés qui freinent les investissements.
Jan-Philipp Rohr, responsable mondial des prêts au transport maritime à la Hamburg Commercial Bank (HCOB) a une autre explication. « Des armateurs ont profité des bonnes conditions du marché pour vendre certains de leurs porte-conteneurs ou pétroliers mais ont utilisé une partie du produit de la vente pour rembourser leurs emprunts ».
Adeline Descamps
*données arrêtées en novembre 2023
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