La représentante permanente de la France à l’OMI ne s’en cache pas. Compte tenu des échéances et des conditions de travail, les négociations entre les États membres et autres parties prenantes sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre risquent d’être compliquées. La réunion du groupe de travail technique se tiendra la semaine prochaine, dans la perspective de celle du Comité de protection de l'environnement marin de l’OMI prévue, elle, mi-novembre.
La parole de représentants français à l’OMI est rare. Il y avait quelques informations à picorer dans l’intervention de Geneviève Jean-Van Rossum à l’occasion d’un atelier organisé par Armateurs de France le 15 octobre et consacré à la propulsion vélique.
« La session du Comité de protection de l'environnement marin (MEPC), mi-novembre, sera déterminante pour consacrer ou non la capacité du secteur maritime à mettre en œuvre, à partir de 2023, des mesures effectives de réduction des gaz à effet de serre qui soient conformes aux accords de Paris à l'horizon 2030 », a posé Geneviève Jean-Van Rossum, la représentante permanente de la France à l’organisation de réglementation du transport maritime. Et elle a reconnu que depuis le début de l’année, « les travaux ont marqué le pas dans le contexte de la pandémie puisqu'à partir de mars, tous les travaux des comités techniques ont été suspendus et, par la suite, nous avons passé l'été à établir de nouvelles règles de procédure pour travailler en virtuel puisque désormais toutes les réunions se déroulent en visioconférence. » Les joies du multilatéralisme obligent, les travaux n’ont donc repris qu’en septembre et dans un cadre allégé « parce que les réunions ne durent plus six mais trois heures pour des raisons liées aux fuseaux horaires et aussi à la disponibilité des interprètes. »
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Pression croissante
Au regard des pratiques à l’OMI – il a fallu trois ans pour faire adopter le texte sur la réduction de la teneur en soufre dans les carburants marins (moins de 0,5 %), norme entrée en vigueur le 1er janvier 2020 –, l’interruption de huit mois accroît la pression sur les États membres de l'OMI pour qu'ils conviennent très rapidement des efforts à faire pour atteindre la décarbonation du transport maritime dans un délai d’à peine une à trois décennies.
Pour rappel, l'OMI a acté en 2018 des objectifs de réduction de 50 % des émissions absolues de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 2008. Il s'agit donc désormais d’adopter de manière urgente des mesures permettant d'atteindre cet objectif. D’autant que la dernière étude de l'OMI sur l’évaluation des gaz à effet de serre, publiée en août, a tiré la sonnette d’alarme. Elle indique que les émissions de carbone du transport maritime ont encore augmenté de près de 10 % entre 2012 et 2018 et qu'elles représentent désormais 2,89 % du CO2 émis au niveau mondial, tous secteurs confondus alors que ce taux était de 2,76 % en 2012.
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Mécanique de l’horloge
Dans ce contexte contraignant, les négociations avec des centaines de délégués des États du port, du pavillon, constructeurs, armateurs et ONG, chacun derrière son écran d'ordinateur, promettent d’être épiques. D’autant que les huis clos informels dans les couloirs ne pourront pas non plus assurer leur rôle d’amortisseur des chocs.
Or, lOMI ne peut plus se permettre de perdre trop de temps. Certaines questions doivent être réglées au plus tard en 2023, date à laquelle le transport maritime doit sérieusement commencer à concrétiser ses ambitions de décarbonation pour être dans les clous des Accords de Paris sur le climat.
Aussi, le secteur des transports maritimes, en particulier, subit actuellement une forte pression de la part de l'UE pour que cela se fasse non seulement plus rapidement mais aussi avec plus d’ambition. Le Parlement européen a voté majoritairement pour soumettre le transport maritime au système d'échange de quotas d'émission de l'Union, le SCEQE, à partir de 2022. Les eurodéputés souhaitent également une réduction des émissions de carbone de 40 % d'ici 2030 quand la stratégie de l’OMI est à plus longue portée.
Veiller à ne pas créer des biais
Lors de cette atelier, la représentante à l’OMI a tenu à souligner le « rôle central de la France » dans les négociations qui s’annoncent et qui consistent à fixer des objectifs. « Nous proposons des mesures de réduction des émissions à court terme basées sur des objectifs. Nous souhaitons établir un mécanisme obligatoire qui garantisse une égalité de traitement entre les armateurs et les navires, des mesures qui soient efficaces, contrôlées de manière effective par les États du port et pas seulement les États du pavillon. Et nous souhaitons surtout agir à la fois sur les facteurs opérationnels et aussi sur des aspects technologiques. Il est en effet essentiel que les mesures adoptées ne soient pas des freins à l'innovation technologique. »
Si le travail à l’OMI ne conduit pas à traiter de technologies à proprement parler – « car on constate une évolution rapide des modes de propulsion disponibles » –, l’institution chargée d'établir des normes pour la sécurité, la sûreté et la performance environnementale a en tête que, dans le cadre de ces discussions, « certains paramètres ou facteurs techniques pourraient avantager ou désavantager telle ou telle technologie. Notre intention est de veiller à ce que l'approche adoptée lors de l'établissement des lignes directrices [ces dernières détaillent les mesures techniques à prendre, NDLR] soit neutre au niveau des technologies utilisées », explique-t-elle.
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Global Cap difficile à mesurer
Enfin, autre information délivrée entre deux propos : « En début d'année 2020 est entrée en vigueur le Global Cap, c'est-à-dire la baisse de la teneur en soufre des carburants. C’est une première étape pour lutter contre les émissions polluantes des navires. Elle doit avoir un impact important mais, compte tenu des circonstances liées à pandémie, elle sera très difficile à mesurer. » Ce qui s’appelle un avertissement ou une précaution oratoire…
Adeline Descamps
Rappel des négociations en cours à l’OMI
Plusieurs propositions, scindées en deux grandes approches d’ordre opérationnel et technique, doivent être débattues à l’OMI dans les jours et semaines à venir au cours de deux réunions stratégiques. La ligne de crête est fixée. Pour réduire les émissions de CO2 dans le transport maritime international et ainsi se conformer aux objectifs de l'accord de Paris sur le climat, il a été décidé de réduire l'intensité carbone d'au moins 40 % en 2030 et de 70 % en 2050, date à laquelle les émissions de gaz à effet de serre devront, au minimum, avoir diminué de moitié par rapport à 2008.
Après maints débats, le cadre est désormais plus ou plus moins stabilisé. Une première approche défend un ensemble de mesures opérationnelles, parmi lesquelles un objectif de réduction obligatoire (pourcentage à définir) par navire en fonction de son type, de sa taille et de son potentiel de réduction. Les moyens pour y parvenir seraient laissés à la libre appréciation de l'exploitant ou du propriétaire du navire. Le Danemark, la France et l'Allemagne sont à l'origine de cette proposition avec une échéance à 2023.
L’autre logique privilégie la voie technique : les navires existants doivent se conformer à des critères spécifiques d'efficacité énergétique basés sur le type et la taille dans un indice appelé EEXI. Ce dernier s'inspire de l’EEDI actuel, qui vise à garantir l'efficacité des nouvelles constructions. La proposition, portée par le Japon et la Norvège, est soutenue par plusieurs pays ainsi que par les principales organisations de transport maritime telles que le BIMCO (armateurs), ICS ou encore Intertanko (opérateurs de vraquiers). Elle entrerait en vigueur en 2022.
Enfin, la Chine et le Brésil sont à l'origine d'une autre formule qui vise à attribuer une cote aux navires en fonction de leur efficacité énergétique mais qui ne peut pas suffire à elle seule.
A.D.
UE : Un accord sur des objectifs climatiques en décembre
Information rapportée par Reuters. Les pays de l'Union européenne, qui ont discuté le 15 octobre pour la première fois d'une modification de l'objectif actuel de l'UE consistant à réduire de 40 % d'ici 2030 les émissions de gaz à effet de serre des Vingt-Sept, ont reporté à décembre la finalisation d'un compromis sur la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. C’est le temps qu’ils jugent nécessaires pour disposer d'informations supplémentaires sur les conséquences pour chaque pays de l'objectif qui sera défini.
Pour la Commission européenne, l'UE doit parvenir d'ici 2030 à une réduction d'au moins 55 % de ses émissions par rapport à leurs niveaux de 1990 si elle veut atteindre l'objectif d'un niveau zéro d'émission nette de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Tous les pays souscrivent à cet objectif sauf la Pologne, particulièrement dépendante du charbon. C’est d’ailleurs ce pays qui réclame l’analyse justifiant le report.
Les parties prenantes de la CE ont aussi confirmé que l'objectif pour 2030 serait atteint « collectivement ». Une équation pour répondre à la problématique de pays comme la République tchèque, qui se dit incapable de réaliser individuellement une réduction de 55 %.
Une fois que les dirigeants des 27 États membres seront parvenus à une position commune sur un objectif pour 2030, il leur faudra conclure un accord avec le Parlement européen, qui souhaite pour sa part une réduction des émissions de 60 %.
Environ la moitié des 27 pays de l'UE, notamment la France, l'Allemagne, ou l'Espagne, disent soutenir un objectif d'« au moins » 55 %.