Le canal de Suez entravé mais libéré

Le porte-conteneurs Ever Given qui a mis un coup d’arrêt pendant une semaine à la circulation dans l’une des principales routes maritimes entre l’Europe et l’Asie, a été remis à flot et conduit vers le Grand lac Amer. La circulation a repris ses droits, tandis que le nombre de jours nécessaires pour que l’artère vitale redevienne fluide devient un sujet de spéculations. Les demandes d’indemnisation seront également au centres des débats à venir.

L’Histoire ne navigue pas en ligne droite. À l’issue d’une semaine sans grandes avancées, et alors que l’on promettait au porte-conteneurs échoué un ensablement profond ainsi qu’un enlisement durable de la situation, l’Ever Green a retrouvé sa flottaison à la faveur d’une nuit de dragage et d’une marée particulièrement haute. Le trafic a repris ses droits tandis que le navire a été conduit vers le Grand Lac Amer, à l'extérieur du chenal, pour une inspection approfondie de son état de navigabilité. 

« Notre équipe d'experts, en étroite collaboration avec l'Autorité du Canal de Suez, a réussi à renflouer l'Ever Given le 29 mars à 15h05 heure locale, lui permettant de se retrouver le sens de la circulation et de libérer le passage dans le canal de Suez », a indiqué Peter Berdowski, PDG de Boskalis, maison-mère de Smit Savalge à laquelle avait été confiée l’opération de renflouement aux côtés de son homologue japonais, Nippon Salvage. « La pression temporelle pour mener à bien cette opération était évidente et sans précédent », ajoute le dirigeant, conscient d’avoir œuvré sous le regard scrutateur du monde entier.  

Ever Given/Suez : une réorganisation précipitée dans le conteneur

Dragage à 18 mètres de profondeur

Quelque 30 000 m3 de sable ont été dragués pour renflouer le porte-conteneurs de 224 000 tonnes. Il a fallu déployer onze remorqueurs et dépêcher deux autres unités de grande capacité, de 220 et 240 t – les Alp Guard et Carlo Magna – pour dégager le navire dont le bulbe d’étrave s’était encastré dans la berge sablonneuse. 

Une fois l’inspection achevée, « des décisions seront prises concernant les dispositions à prendre pour la cargaison actuellement à bord », indique l’armateur taïwanais Evergreen, non propriétaire du navire. « Nous nous coordonnerons avec le propriétaire [Shoei Kisen Kaisha, filiale de Imabari Shipbuilding, NDLR] pour traiter les questions ultérieures une fois les rapports d'enquête sur l'incident terminés. » Le porte-conteneurs de 20 000 EVP, enregistré au Panama et géré techniquement par la société allemande de gestion de navires Bernhard Schulte Shipmanagement, fait l’objet d'un contrat d'affrètement à temps.  

 

Extrait du Lloyd’s : sept pages de navires s’amoncèlent sur une liste sans fin

446 navires doivent transiter

Selon la longue liste détaillée de sept pages publiée par Lloyd's List Intelligence, il y avait 446 navires en attente le lundi 29 mars à 15 heures aux deux extrémités du passage. Un flux que le président de l'Autorité du canal (SCA) Ossama Rabie ne désespère pas de juguler en « trois jours et demi environ ». C’est du moins ce qu’il a soutenu sur la chaîne locale de télévision Sadaa al-Balad.  

Chacun y va de son pronostic. Hapag-Lloyd estime à quatre jours le temps nécessaire pour absorber le surplus. Il faudra au moins six jours pour assainir la situation dans le canal de Suez, soutient Maersk auprès d’un média danois, alors que le leader mondial a jusqu'à 27 navires aux abords de la voie navigable. 

Lars Jensen, PDG de Sea-Intelligence Consulting anticipe des effets ricochet pendant pendant deux à trois mois sur le marché des conteneurs : probable montée des taux fret et nouvelles tensions dans les ports à l’arrivée, mis sous la pression des cadences. Pour rappel, le trajet Asie-Europe du Nord et retour s’étend sur 11 semaines tandis qu'un trajet Asie-Méditerranée nécessite neuf à dix semaines. Le trafic ayant repris, il faudra plusieurs jours pour résorber l'arriéré de navires à chaque extrémité du canal, puis une semaine pour que les porte-conteneurs en direction de l'ouest atteignent les ports d'Europe du Nord, comme Rotterdam, Anvers, Le Havre et Felixstowe. 

16,5 % des navires en service sur le trade Asie-Europe ont une capacité supérieure à 15 000 EVP et, lorsqu'ils font escale dans un port européen, ils déchargent et chargent souvent plus de 10 000 EVP, selon les données de IHS Markit, qui alerte sur l’exacerbation des congestions portuaires, déjà prégantes depuis mi-2020. « La congestion des principaux ports maritimes mondiaux a atteint un pic au second semestre 2020. Les navires nécessitant le chargement et le déchargement de plus de 6 000 EVP par escale passaient en moyenne plus de 83 heures au port, soit une augmentation de 20 % par rapport à l'année précédente », indique l’analyste à valeur de retour d’expérience. 

Ever Given/Suez : une bonne nouvelle pour les pétroliers ?

Des coûts qui restent à estimer 

Sur la base de la valeur approximative des marchandises qui transitent chaque jour, la Lloyd's List se hasarde à estimer le coût pour le commerce mondial à 400 M$ par heure. Nul ne s’aventure en revanche à établir une comptabilité des demandes d'indemnisation.  

La possibilité de recourir aux polices d'assurance du fret n'est pas non plus acquise car la plupart de ces assurances ne couvrent pas les pertes dues aux retards, ceux des navires en file d’attente mais pas non plus de ceux qui ont décidé d’emprunter la route plus longue du Cap de Bonne Espérance et qui arriveront plus tard que prévu. La plupart des polices d'assurance des marchandises comportent les clauses de l'Institute Cargo Clauses publiées par l'Institute of London Underwriters Wordings, qui exclut les « pertes, dommages ou frais causés par un retard, même si le retard est dû à un risque assuré ». 

L’opération de renflouement et les réparations nécessaires pour que le navire et sa cargaison puissent poursuivre leur voyage peuvent être classés en avaries communes si l’on s’en tient à la lecture stricte de sa définition : « toutes les pertes qui résultent de sacrifices extraordinaires faits, ou de dépenses engagées pour la conservation du navire, et les pertes de cargaison relèvent de l'avarie commune et doivent être supportées proportionnellement par tous ceux qui sont intéressés. » Toute la question est de savoir si l’infortune de l’Ever Given sera qualifiée d’opération de sauvetage en droit maritime ou de simple remorquage.

Adeline Descamps

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