Y-a-t-il encore un marché sur lequel la Chine ne règne pas en maître ? Les importations de GNL couvriront environ 50 % de la demande asiatique de gaz en 2030 et alors que 75 % du GNL seront consommés par le secteur asiatique, indique Ryastad Energy.
Après une année 2020 terne, la demande asiatique de GNL a fermement renoué avec la croissance au cours des cinq premiers mois de 2021. « Nous prévoyons maintenant une croissance de la demande du pays de 11 Mt cette année, ce qui signifie que la Chine représentera plus de la moitié de l'augmentation de 18 Mt de la demande mondiale de GNL prévue pour 2021 et un peu plus d'un tiers de la croissance de GNL en 2022. La demande de GNL de la Chine étant soutenue par un soutien politique et des fondamentaux solides du marché du gaz, la première place de ce pays semble assurée pour les années à venir », assure pour sa part le groupe mondial de recherche et de conseil dans le domaine de l'énergie Wood Mackenzie.
Selon le consultant, la demande de gaz observée actuellement est en grande partie due à la performance économique globale de la Chine, portée par une croissance du PIB supérieure à 18 % au premier trimestre 2021 par rapport au premier trimestre 2020, même si l’effet de base n’est pas à négliger, 2020 étant une année blanche de ce point de vue.
Les importations chinoises ont augmenté de 30 % au premier trimestre par rapport à la même période l'année dernière et ne montrent aucun signe de ralentissement. Selon les données de suivi des navires, la Chine aurait importé plus de 7 Mt de GNL en mai (+ 35 % sur un an).
L’électricité, moteur de la croissance
L’électricité est clairement le carburant de cette croissance. Au cours des quatre premiers mois de cette année, la production d'électricité à partir de gaz a bondi de 14 % en glissement annuel. L'augmentation des importations de GNL est manifeste dans le sud de la Chine en particulier, car le gaz permet d'écrêter les pics de consommation.
La production d'hydroélectricité dans le sud-ouest de la Chine ayant été réduite par de faibles précipitations et la production d'énergie solaire étant inférieure aux prévisions, la province de Guangdong a connu une pénurie d'importations d'électricité. « Le resserrement des options d'approvisionnement en électricité dans le cœur industriel de la Chine s'est produit alors que la demande d'électricité augmente en raison d'une croissance industrielle solide tirée par les exportations et de l'arrivée précoce de températures estivales plus élevées », explique Xueke Wang, spécialiste du gaz en Asie-Pacifique pour Wood Mackenzie.
Problématique du prix qui bénéficie aux gazoducs
Mais avec un prix spot du GNL en Asie supérieur à 10 $/mmBtu (unité de mesure anglosaxonne, 1 million de Btu = 28,32 m³), les acheteurs préfèrent de plus en plus souvent le gaz par gazoduc, moins coûteux mais qui reste limité. Les producteurs d'électricité soumis à des pressions politiques pour garantir l'approvisionnement ont donc opté pour les importations de GNL, même à un coût plus élevé.
« Le GNL au comptant a été l'option d'importation de gaz la plus compétitive en Chine au cours des deux dernières années. Mais la hausse des prix a mis fin à cet avantage concurrentiel, et le GNL pourrait bien devenir une option d'approvisionnement désavantageuse en termes de coûts par rapport aux importations par gazoduc au cours des deux prochaines années », détaille l’expert.
Wood Mackenzie observe une croissance plus rapide des importations par gazoducs russes (+ 5 % en glissement annuel), ce gaz russe étant actuellement l'option d'importation la moins coûteuse à la frontière chinoise. « Mais cela ne suffira toujours pas à répondre à la demande prévue, et la Chine a besoin de beaucoup plus de GNL importé pour soutenir la croissance de la demande intérieure ».
Effet des tensions entre la Chine et l’Australie ?
Pour l’heure, les tensions internationales entre les grands acteurs du marché ne semblent pas avoir de prise. L'Australie reste le principal partenaire commercial de la Chine en matière de GNL, malgré une baisse des volumes à partir d'avril. La part de marché du vaste pays de l’Océanie a perdu deux points, passée de 45 à 43 % du total des importations de GNL. Des médias ont toutefois révélé que Pékin aurait demandé aux petits acheteurs de ne pas acquérir de gaz spot en Australie. La part de marché du GNL américain a en revanche encore augmenté, s’établissant désormais à 8 %, grâce à l'afflux de gaz dans les terminaux chinois de CNOOC et de Sinopec.
En tonnes-milles ?
L'explosion de la demande asiatique devrait doubler le nombre de tonnes-milles pour le transport de GNL d’ici 2030, indique Rystad Energy. Cela équivaudrait à un taux de croissance annuel de 8 % alors qu’il était de 6 % sur la période de 2015 à 2020.
« Des volumes plus importants et des distances de navigation plus longues sont à l'origine de cette augmentation de la demande de transporteurs de GNL au cours de la décennie actuelle », peut-on lire dans une enquête explosive sur les émissions de carbone réalisée par Ryastad Energy. Détonante car elle affirme que « si les exigences techniques proposées par l'OMI [les navires devront disposer d’ici 2023 au plus tard d’équipements permettant de réduire immédiatement leur intensité carbone : limitation de la puissance de l'arbre, du moteur…] sont appliquées à la flotte mondiale de transporteurs de GNL, le résultat net pour la planète sera négatif car les économies globales en termes d'émissions de CO2 des navires seront éclipsées par la pollution due au passage du gaz au charbon que ce changement entraînerait en Asie. »
Si la flotte mondiale de méthaniers répond à la demande croissante de tonnes-milles pour satisfaire les importations de GNL dont l'Asie a besoin cette décennie, l'adoption de la proposition de l'OMI priverait alors l'Asie d'au moins 9 milliards de mètres cubes (Gm3) de GNL pour la période 2023-2025 et de 13 Gm3 de 2026 à 2030, soutient l’analyse.
L'utilisation du charbon dans la production d'électricité a été un moteur important de l'augmentation des émissions de CO2 liées à l'énergie en Asie – de 8 à 17 Mdt entre 2010 et 2019 – alors que le même calcul pour reste du monde est passé de 16 à 17 Mdt au cours de la même période. Étant donné que l'intensité carbonique du charbon est deux à trois fois supérieure à celle du gaz par unité d'énergie produite, le passage du charbon au gaz dans la production d'électricité est un élément essentiel de la campagne mondiale de réduction des émissions.
Assez de méthaniers ?
« La croissance stupéfiante de la demande nécessitera la construction de beaucoup plus de méthaniers », soutient le norvégien. Sur la base de la distance moyenne parcourue ces dernières années, Rystad estime que la flotte actuelle et la capacité du carnet de commandes des chantiers navals ne seront pas suffisantes pour répondre à l'augmentation de la demande en tonnes-milles.
L’entreprise s'attend à un nombre record de 64 nouveaux navires livrés en 2021. C'est également le nombre nécessaire sur une base annuelle pour garantir une capacité suffisante et répondre à la demande croissante de tonnes-milles jusqu'en 2030. Or, les chantiers navals qualifiés peuvent actuellement construire environ 57 unités par an, estime-t-il.
Reste à savoir combien de temps la Chine restera le premier importateur mondial de GNL. « Compte tenu des fondamentaux gaziers du pays, elle le sera pendant de nombreuses années » assure Xueke Wang.
Adeline Descamps