Golfe de Guinée : le Nigéria déploie un arsenal lourd contre la piraterie

Le Nigeria a lancé officiellement son programme Deep Blue dont il est question depuis plusieurs mois. Le pays, qui exerce un leadership régional naturel, dispose d’une enveloppe de 195 M$ pour actionner des moyens militaires maritimes, aériens et terrestres. Dans un effort coordonné avec d’autres États de la région et... l’UE.

L’information est connue depuis plusieurs mois. Il s’agit cette fois du lancement officiel du programme antipiraterie Deep Blue qui prend la forme d’une combinaison coordonnée de forces terrestres, maritimes et aériennes pour sécuriser les eaux nigérianes le long du golfe de Guinée où transitent 20 000 navires par an et l'infrastructure pétrolière du pays. Un plan à 195 M$. 

La zone, qui s’étend sur 6 500 km des côtes du Sénégal à l'Angola, s’est substituée à la Somalie dans la hiérarchie des zones les plus dangereuses pour la navigation. Les prises d’otages (135 personnes et 84 navires en 2020), les détournements de navires et les attaques avec armes y sont concentrés. La sophistication des attaques, leur caractère violent et l’extension du périmètre d’intervention (à une zone située à plus de 200 miles nautiques de la côte) suscitent des inquiétudes de plus en plus vives dans la communauté maritime. Depuis décembre, les assauts armés se sont multipliés contre les navires marchands par une piraterie qui s’est professionnalisée, si bien qu’elle en appelle à la mobilisation de moyens militaires. 

Piraterie : une réponse militaire dans le golfe de Guinée ?

Des moyens et une loi

En attendant, le Nigeria enclenche officiellement son programme antipiraterie qui vient renforcer les capacités de sa marine nationale avec de nouveaux moyens d’intervention, dont deux avions de surveillance maritime Cessna Citation CJ3 de l'agence nigériane d'administration et de sécurité maritimes (NIMASA), trois hélicoptères AW109, quatre drones Tekever, 17 vedettes d'interception rapides, deux navires de mission spéciale et 16 véhicules blindés pour les patrouilles côtières. L'unité de sécurité maritime est composée de 600 soldats spécialement formés.

Pour coordonner les efforts, les Nigérians ont mis en place un centre de commandement et de contrôle basé à Lagos qui assurera également la liaison avec les autres efforts de sécurité régionaux. Le pays a également légiféré en promulguant une loi antipiraterie, la première du genre dans le golfe, qui permettra de poursuivre pénalement la piraterie et les autres infractions maritimes. Mais selon les observateurs internationaux, le système judiciaire, considéré comme peu fiable, ne permettrait pas aux pirates de se voir condamnés.

Avant les cérémonies de lancement, l'unité de sécurité maritime (MSU) du projet, composée de membres de la marine, de l'armée de terre, de l'air et de la police nigérianes ainsi que des services de l'État, a effectué des exercices de simulation. Le programme a également une valeur symbolique en tant que « première stratégie intégrée de sécurité maritime en Afrique occidentale et centrale visant à lutter contre les menaces permanentes de piraterie », est-il énoncé. 

Golfe de Guinée : nouvel appel à la mobilisation (militaire) pour éradiquer la piraterie

Appel à la mobilisation collective

La plupart des grandes associations internationales du secteur ont salué l’initiative. « Le projet Deep Blue peut changer la donne dans la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée, et nous félicitons le Nigéria d'avoir lancé le projet malgré les importantes difficultés présentées par la crise sanitaire », a indiqué Guy Platten, le secrétaire général de l’ICS, International Chamber of Shipping. 

Les représentants du Bimco (association d’armateurs représentant plus de 60 % du tonnage mondial) et d'Intertanko (exploitants de vraquiers), ont également souligné, chacun dans ses termes, les efforts nigérians et y voient une « occasion pour développer l'ordre public en mer en coopération avec les forces internationales dans la région », estime David Loosley, secrétaire général du Bimco. 

Le Bimco est à l’origine d’une initiative récente qui a fédéré plus de 300 signataires à ce jour, dont les administrations des États du pavillon, des armateurs, des affréteurs et des associations de transport maritime, tous appelant à une mobilisation collective pour mettre fin de toute urgence à ce fléau. Ils soutiennent même que, d'ici à la fin 2023, avec du volontarisme politique et quelques moyens militaires, le nombre d’actes de piraterie pourrait être réduit d'au moins 80 %.

Golfe de Guinée : l’UE s’attelle à la sûreté maritime

L’UE à la manœuvre depuis janvier

Les initiatives se sont multipliées ces derniers mois dans la région. Le 25 janvier, il a été décidé par l’UE d’éprouver le concept de présences maritimes coordonnées (CMP en anglais). « En tant que deuxième exportateur et troisième importateur au monde, l'UE est fortement tributaire du transport et des infrastructures maritimes. Toutefois, ce n'est pas seulement pour nous que la sûreté des voies maritimes est importante : à défaut, 90 % des biens actuellement disponibles risquent de ne tout simplement pas parvenir à leurs clients dans le monde entier. Un environnement maritime dont la sûreté est garantie est donc un bien public mondial qui nécessite une coopération internationale afin de parer aux menaces croissantes », justifiait lors du lancement le Service action extérieure de l’UE (SAE).

En termes de piraterie, l’UE est déjà engagée dans l'opération Atalanta en Afrique de l'est, à partir de la Somalie. Les résultats sont manifestement tangibles. Les incidents ont significativement diminué. Mais la situation en Afrique de l’ouest est très différente de celle qui prévaut dans la Corne de l’Afrique car aucun des pays du golfe de Guinée n’est un « État failli » et aucun n’autorise d’opérations militaires dans ses approches maritimes. « S’il est donc possible d’apporter un soutien aux forces armées locales dans leurs efforts pour lutter contre la criminalité maritime, une opération de l’UE dans les eaux territoriales d’États souverains n’est pas envisageable », indique au JMM une source qui travaille sur les questions de sûreté maritime au sein du ministère des Armées.

La France et le Portugal déjà engagés

Sous le concept de PMC, « il s’agit de recourir aux ressources navales et aériennes existantes des États membres pour accroître la capacité à agir », précise la lettre de mission du SAE. Naturellement, selon un autre principe cher à l’UE, haut lieu du compromis, la coordination se fera sur une base volontaire, les ressources restant subordonnées aux chaînes de commandement nationales.

L’UE promet un « instrument souple et léger » via une cellule de coordination au sein de l'état-major de l'UE et s’adossant au réseau MARSUR, bras armé technique de l'Agence européenne de défense. Il sera « en étroite collaboration avec nos partenaires africains de l'organisation de l'architecture de Yaoundé engagée dans lutte contre la piraterie maritime », précise le SAE.

La France et le Portugal ont déjà engagé des moyens dans cette initiative.

Rififi danois

En mars, la ministre de la Défense danoise Trine Bramsen a essayé d'obtenir, sans grand écho, le soutien d'autres pays européens pour lancer une mission navale conjointe dans le golfe de Guinée (nommée Initiative européenne d'intervention). Le parlement danois a voté en faveur du positionnement d’une frégate dans la région pendant cinq mois à partir de novembre 2021.

« Il est en effet bienvenu que le Danemark décide de rejoindre les pays présents dans la région depuis de nombreuses années : la France, depuis 1990 avec l’opération Corymbe, le Portugal, l’Espagne et l’Italie notamment, pour ne citer que les pays européens, poursuit notre interlocuteur qui requiert l’anonymat. Et ce déploiement s’inscrira dans le cadre de la CMP. Mais ces efforts militaires devront impérativement être complétés à terre par des actions de renforcement des capacités des États côtiers afin de pouvoir traiter également les causes de la montée de la piraterie. »

Adeline Descamps

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